Encore un livre qui n'était pas du tout prévu dans ma liste à lire du mois (ni d'avril, mois durant lequel je l'ai entamé, ni mai où je l'ai tout juste terminé), mais qui m'a attiré l'oeil, d'abord en lecture d'une copine dans un challenge, puis dans le catalogue des nouveautés de ma bibliothèque. Il était en tout cas suffisamment intrigant pour que je m'y attarde… et disponible immédiatement, alors j'ai foncé !
Et j'avoue : lors des toutes premières pages, j'ai presque regretté cet emprunt compulsif. C'est que ça commence comme un conte tristounet, avec des orphelins plus malheureux et étranges les uns que les autres – ça fait penser à tant d'autres histoires du même genre, l'exemple qui me vient en tête est l'un de ceux que j'ai lus le plus récemment : «
Une seconde avant Noël » de
Romain Sardou. Oh ! j'avais bien aimé, mais là pour le coup, je n'avais pas envie d'un nouveau truc à la Dickens qui va faire pleurer dans les chaumières. Certes, ici c'est présenté avec une pointe d'humour qui ressort d'emblée, mais quand même : qu'avais-je donc été emprunter ?!
Et puis peu à peu, on entre dans l'histoire, et immanquablement on est séduit ! C'est que les aventures de ces cinq orphelins deviennent très vite trépidantes ! Elles suivent un schéma assez classique de passages pleins de débrouillardise qui conduisent à l'une ou l'autre réussite pour ces cinq orphelins, aussitôt mise à mal par l'irruption de plusieurs méchants récurrents, qui agissent parfois seuls, parfois ensemble. Un certain nombre d'éléments se laissent deviner très tôt dans le livre, mais l'autrice sème juste assez d'indices pour renforcer les présomptions du lecteur, sans jamais rien révéler de suffisant, pour que ça reste une certaine surprise. Et cela n'empêche pas des retournements de situation souvent cocasses et inattendus… et on frissonne en même temps que ces enfants abandonnés de tous mais qui veulent s'en sortir coûte que coûte, et toujours ensemble.
En effet, bien au-delà de ces aventures très rythmées, c'est aussi un roman positif plein d'espoir, qui laisse entendre qu'il ne faut jamais abandonner ses rêves et ses aspirations – à condition de s'en donner les moyens… et ensemble, c'est encore mieux ! Ainsi, l'autrice met en avant l'importance de la fidélité dans l'amitié – de façon sans aucun doute très « immédiate » et réaliste pour l'enfant lecteur, tandis que l'adulte ne manquera pas de se demander ce qu'il a fait de l'enfant qui vivait en lui, de ses amitiés disparues, et de ce qu'il attendait de la vie…
Ainsi, les personnages sont très bien campés, pour certains à la limite de la caricature mais cela fait partie des effets habituels d'un conte – que serait une aventure du genre sans la méchante directrice de l'orphelinat ? le titre indique qu'il s'agit de l'histoire de cinq orphelins, tous reconnaissables grâce à l'un ou l'autre détail physique et/ou un don particulier bien développé, mais c'est Milou qui est sous les feux des projecteurs, c'est son histoire qui est contée de bout en bout, tandis que celle de ses quatre compagnons est à peine évoquée. Pourtant, même si on pourrait parler d'un personnage principal par-dessus quatre personnages un peu plus haut dans la hiérarchie que des secondaires, ils sont néanmoins constamment unis comme les doigts d'une main, et au final on ne peut les imaginer l'un sans l'autre, ce qui fait toute la force de ce roman, et accentue encore la valeur de l'amitié indéfectible (qui a pourtant quelques petits ratés) que l'autrice souligne avec art et conviction.
Avec ça, la forme du livre est très sympa aussi, et je regretterais presque de l'avoir lu en version ebook telle que proposée par ma bibliothèque en ces temps de covid, alors que la version papier est sans aucun doute plus intéressante ! de nombreux chapitres se terminent ainsi par des extraits du carnet que tient Milou, avec toutes les théories qu'elle s'invente sur le pourquoi du comment de son abandon, et c'est alors présenté dans un tout autre caractère et une mise en page quelque peu différente : moi j'aime beaucoup ces « coupures » techniques qui font respirer le texte. de même, on a quelques (rares) illustrations qui agrémentent bien joliment l'ensemble !
La seule petite question que je me pose finalement, c'est pourquoi la traductrice a cru malin de laisser çà et là quelques expressions en néerlandais, sans jamais daigner les traduire – ni dans le texte, ni même en note de bas de page ! Je vois dans l'extrait Kindle de la version anglaise que c'est pareil en VO : ces rares expressions sont aussi en néerlandais, et pas davantage traduites… et alors ? le jeune lecteur anglophone pourra deviner – goedemorgen est proche de good morning, welkom de welcome ou kindjes de kids… mais pour le jeune lecteur francophone, c'est tout de suite moins évident ! (à moins d'avoir des notions d'une quelconque langue germanique suffisamment proche du néerlandais, mais ça ne court pas les rue) Or, je ne vois pas trop l'intérêt de laisser cela tel quel, sans la moindre explication – que ce soit une brève note de bas de page, un mini-lexique en fin de volume, ou même une mini-astérisque qui signalerait « en néerlandais dans le texte » ! Certes, une astérisque et plus encore une note de bas de page interrompent (brièvement) la lecture, mais rien de bien dramatique… et puis le jeune lecteur n'est pas plus bête que le lecteur adulte, et peut faire face à de telles « interruptions » qu'il trouvera de toute façon à foison dans ses lectures futures, quand il sera ado puis adulte…
De même, l'autrice joue avec certains mots, qui peuvent peut-être faire sens par comparaison si on parle/comprend une langue proche du néerlandais, tandis que le jeune francophone passera complètement à côté ! Par exemple, le jeune anglophone comprendra directement ce qu'est ce fameux « Poppenmill » - car mill, en anglais comme en (vieux) néerlandais, veut dire moulin. Ce lieu que les cinq enfants découvrent dans la crainte porte donc le nom très poétique de « moulin aux poupées » - mais ce n'est pas expliqué une seule fois, ni par l'autrice (qui jouait sans doute sur la compréhension de son lectorat anglophone par analogie), ni par la traductrice (et ça, c'est à nouveau très dommage) !
Mais bon, on est d'accord : ce ne sont là que des détails qui choquent quelque peu la traductrice qui est en moi, mais ce n'est pas du fait de l'autrice, et pour moi adulte qui parle anglais et néerlandais, ça n'a posé aucun problème (eh oui, je fais encore partie de cette génération de Belges qui devait apprendre le néerlandais en 1re langue étrangère… et pour ceux qui se poseraient la question : oui, le néerlandais des Pays-Bas est exactement la même langue que le flamand
De Belgique, avec certes quelques différences régionales, et à l'oral, les mêmes différences qu'il y aurait entre le français parlé par un Liégeois ou un Bruxellois, et celui parlé par un Marseillais par exemple…). Je dirais même plus : ces jeux de mots notamment dans les noms ajoutent de la saveur au texte, et c'est un peu dommage de passer à côté, mais ce n'est pas bien grave.