Un court ouvrage intitulé «
le Tendre Narrateur » de
Olga Tokarczuk qui rassemble le « Discours de Réception du
Prix Nobel de Littérature 2018 », suivi par « Les Travaux d'Hermès, ou Comment les Traducteurs Sauvent le Monde », conférence de Gdansk 2019, et une nouvelle « La Fenêtre », le tout traduit par
Maryla Laurent (2020, Les Editions Noir sur Blanc, 78 p).
« le Discours de Réception du Nobel » tout d'abord. Un premier point est qu'il est difficile de résumer et de condenser ces quelques40 pages en une dizaine de paragraphes. Il convent de citer presque tout le texte.
Sur un ton très posé, voire même affable, et se référant à sa propre vie,
Olga Tokarczuk propose sa vision des évènements et les grands traits de son évolution, ainsi que sa recherche d'une vie disons apaisée, et ceci à travers son approche de de la littérature polonaise.
Un peu de nostalgie avec ce rappel du « vieux poste de TSF, de ceux qui avaient un oeil vert et deux molettes, l'une pour régler le son, l'autre pour rechercher les stations ». Et puis très vite
Olga Tokarczuk en arrive aux liens qui relient l'enfant à sa mère. « J'étais certaine que, en tournant le bouton, c'était moi que maman cherchait. Tel un radar d'une sensibilité toute de tendresse ». Et cette relation, toute emplie de tendresse va devenir pour la petite fille, puis la femme, une présence affective plus qu'importante « un tendre narrateur, le meilleur au monde ».
« Celui qui contrôle et qui tisse le récit gouverne ». Et l'auteur prend l'exemple du roman actuel, de plus en plus « à la première personne », un « récit qui se concentre strictement sur le « moi » d'un auteur qui parle peu ou prou uniquement de lui-même ou de sa vision des choses »
Olga Tokarczuk fait la remarque que ces récits à la première personne ne sont pas seulement un artifice narratif, mais se place plus en plus souvent comme la source même du récit. Cela devient un brouhaha de voix innombrables, toutes à la première personne. Résultat cela revient à « instaurer une opposition entre le « moi » et le « monde » qui est à coup sûr aliénante ».
Se rajoute sur cette vision « à la première personne » l'influence des « fake news et contre-vérités » sur ce qu'est une fiction. Elle verrait très bien se mettre en place un nouveau type de narrateur, un narrateur à la « quatrième personne », non pas grammaticale ou éditoriale, mais comme le mode de narration qu'elle recherche, reliant le moi au mode, c'est-à-dire l'intime à l'universel. C'est ainsi qu'elle définit son « tendre narrateur », tout comme le narrateur, ou le scribe de la Bible, a été capable de faire passer le point de vue même de Dieu.
Pour cela, « Il nous manque un langage, des points de vue, des métaphores, des mythes et des fables nouvelles ». Contrairement à « civilisation occidentale [qui] s'est dans une large mesure construite et se fonde encore sur la découverte de ce « moi », à l'aune duquel elle mesure en premier lieu la réalité »
« La fiction a perdu la confiance des lecteurs depuis que le mensonge est devenu une arme de destruction massive, et ce en dépit du fait qu'il reste un outil primitif ». Elle assure qu'on lui pose souvent cette question incrédule : « Est-ce vrai, ce que vous avez écrit? » « A chaque fois j'ai l'impression que cela annonce la fin de la littérature ».
En fait, « Quelque chose ne va pas avec le monde ». « le monde se meurt et nous ne le remarquons pas ». Il reste « La tendresse [qui] est la forme la plus modeste de l'amour. C'est le genre d'amour qui n'apparaît pas dans les écritures ou les évangiles, personne ne jure par lui, personne ne le cite ».
« Les Travaux d'Hermès » ensuite pour parler de l'écriture et de son message.
Hermès « le patron, le protecteur, le dieu des traducteurs » est non seulement le dieu de la communication, mais celui des voleurs et autres filous. Très vite, pourtant, « le petit dieu s'esquiva du foyer pour voler les vaches. Il enveloppa les sabots du bétail avec du cuir afin de ne laisser aucune trace en cas de poursuite ». Tout comme un traducteur emploiera une métaphore pour faire passer l'image de l'écrivain.
Puis on en arrive à la chute de l'Empire romain et comment les « dirigeants arabes de la dynastie des Abbassides» fondèrent à Bagdad « une Académie qui se spécialisa dans la traduction » qui a ainsi sauvé les textes scientifiques de l'Antiquité. Puis, le vent de l'histoire soufflant dans l'autre sens, ce fut au tour de Tolède de traduire de l'arabe « vers les langues des chrétiens ». Il faut dire que « les moulins de l'histoire broient lentement, selon des principes qu'ils sont seuls à connaître ».
« Hermès et également un fripon. Personne ne sait aussi bien tromper son monde ou mentir ». Mais le rôle de la littérature est bien plus vaste, que ce soit de par l'écriture ou sa traduction, l'auteur ou son traducteur. Ce sont « les gardiens de l'un des phénomènes les plus importants de la civilisation : la possibilité de transmettre l'expérience la plus intime, la plus personnelle d'un individu à ses semblables pour la partager dans un acte surprenant de création culturelle ». Qui nous traduira un jour la signification des mains peintes sur les parois des grottes de Lascaux ou de l'Ardèche. Quel disciple d'Hermès parviendra à déchiffrer les signaux binaires portés par la sonde Pioneer 10 lorsqu'ils seront lus par quelque « petit homme vert » sur une planète hors du système solaire.
Et pour finir « La Fenêtre ». Une nouvelle ou un court essai de quelques six pages. « Par ma fenêtre, je vois un mûrier blanc. C'est un arbre qui me fascine ». On part donc d'une histoire de fenêtre, et très très vite, puisqu'il s'agit de la première phrase, Olga Tokarzcuk nous parle de ce qu'elle voit, c'est-à-dire un murier blanc. Bien sûr, « c'est une plante généreuse », on n'en douterait pas. Très vite aussi, on apprend que l'on se trouve juste après « le traumatisme de l'isolement ». Ce que l'on voit aussi de la fenêtre ? un voisin, un « juriste surchargé de travail ». D'où la question : « que cherchons nous vraiment ? »
« Nous avons cru être les maîtres de la Création, nous avons cru que nous pourrions tout faire et que le mode nous appartenait ». Il n'y a donc pas de réponse simple à la question posée.