Un roman noir certainement, entre romance, humour et drame, avec quelques touches de polar. Inclassable et glauque, assurément.
A quelques heures du réveillon du jour de l'An, Forlane et Quentin sont tous les deux au pied du lit conjugal dans lequel repose le corps d'Anna, épouse du premier et mère du second. Il semblerait qu'elle ait été étranglée mais le narrateur est incapable de se souvenir s'il est l'auteur du crime. La question qui se pose à ce moment-là est de savoir quoi faire du corps, qui est quand même là depuis deux jours. Et qui finira finalement dans le congélateur de la cave, où il restera.
Nous allons suivre Forlane, le troisième mari d'Anna, durant sa première année de deuil. Il va s'agir pour lui d'apprivoiser sa douleur, l'absence d'Anna et le manque qu'elle génère. D'autant qu'il va devoir dans ce même laps de temps faire avec la présence trop imposante des ex-maris d'Anna et de son frère Irvine, leurs égos mal placés, leurs dramas. Il devra aussi mener son petit monde, à savoir son employée Iris, son beau-fils Quentin et son meilleur ami Pierre.
D'abord, avant même de commencer la lecture de ce roman, le titre m'a frappée. C'est même en partie ce qui en a motivé la lecture. Ce sont les paroles d'une de mes chansons préférées de
Jacques Brel, La chanson des vieux amants, titre qui sied on ne peut mieux au récit :
Bien sûr, nous eûmes des orages
Vingt ans d'amour, c'est l'amour fol
Mille fois tu pris ton bagage
Mille fois je pris mon envol
Et chaque meuble se souvient
Dans cette chambre sans berceau
Des éclats des vieilles tempêtes
Plus rien ne ressemblait à rien
Tu avais perdu le goût de l'eau
Et moi celui de la conquête
Mais mon amour
Mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour
De l'aube claire jusqu'à la fin du jour
Je t'aime encore tu sais
Je t'aime
Moi, je sais tous tes sortilèges
Tu sais tous mes envoûtements
Tu m'as gardé de pièges en pièges
Je t'ai perdue de temps en temps
Bien sûr tu pris quelques amants
Il fallait bien passer le temps
Il faut bien que le corps exulte
Finalement, finalement
Il nous fallut bien du talent
Pour être vieux sans être adultes
Petit à petit, chacun des protagonistes va être au courant du drame. Chacun va y réagir à sa façon. Les liens avec Anna vont être disséqués. A commencer par ceux qu'elle entretenait avec le narrateur et avec son fils.
Parce qu'Anna n'était pas un oiseau que l'on pouvait garder en cage.
Anna avait la très désagréable et douloureuse habitude de s'enfuir après une dispute ou une contrariété. Quelques jours parfois, ou des mois. Une fois plusieurs années, en abandonnant son fils au narrateur. Anna a une personnalité borderline. Très fragile, trop sensible, excessivement instable, une vision d'elle-même plutôt floue, impulsive. Tous ont dû subir ses fugues. Fracassante Anna!
Forlane est complètement accro à Anna, quoi qu'elle lui inflige. Quand il la perd pour de bon, il est complètement déboussolé. Il perd la lumière de son existence. Il ne sait plus trop où est sa place, d'autant qu'il est partagé entre les codes sociétaux poussiéreux inculqués il y a quelques décennies et l'évolution des moeurs post #metoo. Il est d'une génération qui voit d'un oeil incrédule et perplexe l'émancipation de la femme, son rejet de la soumission imposée par le modèle patriarcal.
Quentin, 14 ans, et un adolescent fragile, sensible, renfermé. Traumatisé par les errances de sa mère et les abandons successifs de ses parents. Il a un fort sentiment de culpabilité vis-à-vis de sa mère.
Iris est un personnage ambigu, une présence permanente au second plan. On se sait pas trop quel rôle elle joue dans tout ça, même si on se doute qu'elle cache pas mal de poussière sous le tapis… Elle est appliquée, austère, mène la maison à la baguette. Elle sait comment arriver à ses fins mine de rien.
Pierre, Irvine et les ex-maris sont des drama queens. Ils jouent à la perfection leur partition tragique. Ce sont des mâles sur le retour. Ils aiment se tirer dans les pattes (ça évite d'aborder franchement les sujets les plus importants) alors que finalement ils sont tous solidaires. Pas un ne va manquer à l'appel. Parce qu'Anna a laissé son empreinte en chacun d'eux. Ils sont tous perdus parce que tous, ils l'ont aimée. Et tous, ils ont subi sans broncher, ou presque, ses débordements, ses fuites et ses retours. Ils ne savent pas trop comment réagir, prisonniers eux aussi d'une éducation obsolète, dépassés par l'imprévisibilité de celle qu'ils ont aimée. Comme Forlane, ils ont perdu leurs repères dans une société où les femmes se libèrent et prennent l'ascendant.
C'est un peu trash, très direct, parfois cru. L'auteur ne prend pas de gants et n'a aucune pitié pour ses personnages. Nous sommes face à des protagonistes « biaisés », dont aucun n'a de réaction logique et normale, et qui ont tous vécu une relation toxique avec Anna qu'ils continuent d'alimenter. C'est malaisant et glauque.
Un récit noir difficile à classer avec une touche de cocasserie. Il y a un côté voyeuriste malsain et morbide. J'ai beaucoup apprécié!
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