Ce premier tome regroupe les épisodes 1 à 9 parus de 1998 à 2000. Il s'agit du premier tome d'une série qui devrait à terme en compter 7. À ce jour (2013), les tomes 2 et 3 sont parus : (2) Sacrifice et (3) Trahison (1ère partie) et Trahison (2ème partie). Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc écrite, dessinée et encrée par
Eric Shanower (aussi connu pour avoir adapté les romans
Frank L. Baum ayant trait au Magicien d'Oz, par exemple
le magicien d'Oz dessiné par
Skottie Young, ou Adventures in Oz dessiné par Shanower). Son ambition est de raconter la Guerre de Troie à partir des récits mythologiques et en se conformant à la réalité historique établie par les découvertes archéologiques.
Le tome commence avec une carte de la mer Égée et villes alentour permettant de situer la région achéenne, mais aussi Troie, Ithaque, la Pythie, le mont Pélion, le mont Ida, Thèbes, etc. La première scène montre Pâris s'éveillant sous les coups de langue d'une vache du troupeau qu'il était censé surveiller. Il rentre chez lui et se fait morigéner par Agelaus, son père, pour sa fainéantise. 3 serviteurs du roi Priam arrivent pour demander qu'Agelaus leur remette son taureau blanc qui servira de prix dans des joutes à venir. Agelaus accepte, alors que Paris se rebiffe. Il décide de participer aux jeux, contre l'avis de son père pour gagner et se voir décerner ledit taureau. Une rixe un peu vive va le faire remarquer de Priam : l'histoire est en route. Bientôt un millier de navires mettront les voiles pour faire le siège de Troie (enfin, à la fin de ce tome).
Le tome comprend également 7 pages de postface rédigée par Shanower, 4 pages de glossaire des noms de personnages, 2 arbres généalogiques (1 pour les achéens, 1 pour les troyens), et 9 pages de bibliographie.
La postface permet de bien comprendre les intentions de l'auteur : composer une intrigue qui respecte au mieux les différentes versions (parfois contradictoires) de la mythologie, en préférant les textes les plus anciens, mais s'en s'interdire d'inclure des développements ultérieurs (tel Troïle et Cresside de
William Shakespeare). Shanower a également fait le choix de ne pas faire intervenir les dieux grecs, en tant que personnages incarnés. Ils constituent la religion des populations, mais ils ne se manifestent pas en tant qu'individus. Ce choix le conduit à imaginer des solutions qui s'avèrent satisfaisantes pour rendre compte de l'influence des dieux. Celle pour le jugement de Pâris est plus convaincante que celle pour la vision de Calchas ayant l'intuition d'où se trouve Achille. Cela lui impose également de s'en tenir à des visions pour les personnages (en rêve, ou au cours de transe), et de revoir la nature des éléments surnaturels (par exemple modifier le sens du mot centaure pour Chiron). le lecteur qui vient chercher l'exotisme du panthéon grec en sera pour ses frais. Par contre ce parti pris offre l'avantage d'éviter de tomber dans une représentation des dieux sous forme d'ersatz de superhéros ou d'entités surnaturelles de pacotille. Cela renforce l'approche naturaliste de Shanower.
Toujours dans la postface, Shanower indique qu'il a voulu raconter cette épopée en étant le plus réaliste possible, à savoir en étant cohérent avec l'état des connaissances archéologiques. Il cite en particulier les travaux de Manfred Korfmann (Troia: Archaologie eines Siedlungshugels und seiner Landschaft). le style de Shanower vise une représentation fidèle de ce que pouvait être la réalité à l'époque, avec un soin important apporté aux textures, aux bâtiments, à l'urbanisme, aux navires, aux vêtements, etc. le lecteur peut avoir une sensation proche de celle procurée par la lecture d'un tome de la série Alix où un encrage minutieux aura remplacé la mise en couleurs, avec une forme parfois un peu académique.
Dernière particularité assumée, Shanower a conservé la forme grecque de la majeure partie des noms, sauf quand il estimait que la forme latine était plus parlante. C'est ainsi qu'il désigne Ulysse par "Odysseus", mais il utilise la forme de "Achille", et non celle d'Akhilleus.
Pour les fins connaisseurs de cet épisode mythologique,
Eric Shanower propose une version qui permet de se faire une idée concrète approchant la réalité historique de son mieux (tout en restant relatif, puisque la véracité historique de la Guerre de Troie reste à établir), se tenant à l'écart des clichés des éphèbes en armures rutilantes. le traitement prosaïque de la religion (sans manifestation surnaturelle) fait ressortir le jeu des alliances, et les enjeux géopolitiques, dans un récit vivant. Les dessins permettent aux personnages de s'incarner, de rendre le récit plus vivant et aux lecteurs de mieux se projeter dans les situations (avec une mention spéciale pour l'interprétation matoise d'Ulysse).
Pour les lecteurs plus néophytes se souvenant vaguement du jugement de Pâris (c'était qui déjà les 3 déesses ?) et se rappelant que le cheval de Troie était une sorte de ruse, cette lecture demande une concentration soutenue. L'usage des noms grecs, le nombre important de personnages (dont certains uniquement mentionnés), la complexité des relations familiales (les 2 arbres généalogiques exigent du temps pour pouvoir s'y repérer), et la géographie à assimiler (îles et villes grecques) requièrent de se rapporter régulièrement à la carte en début de volume, et au glossaire des noms pour être sûr de ne pas rater une lien essentiel à la compréhension des enjeux pour les personnages (ainsi donc Hélène avait déjà été enlevée une première fois et elle avait une demi-soeur ?). Sous réserve de soutenir l'effort mental requis, ce lecteur néophyte aura le plaisir de découvrir une histoire débarrassée de son aspect clinquant (les armures brillant au soleil) et irréaliste (ses dieux qui comptent fleurette aux vierges effarouchées et qui se battent entre eux) et de plonger dans un récit sophistiqué mettant en scène des personnages plein de caractère, dans des intrigues impliquant alliances, trahison, et stratégies complexes.