Passionnante cette enquête de
Jacques Semelin, - chercheur au CNRS, Historien – reconnu internationalement pour ses travaux sur les génocides et sur les violences de masse. Ses investigations représentent plusieurs années de recherche. L'auteur s'est immergé dans le sujet afin de mettre en évidence les différentes pistes qui ont permis la survie de 75 % de juifs en France malgré la politique antisémite de Vichy et celle génocidaire de l'Allemagne nazie. Ce chiffre important n'a jamais été traité par les historiens. Encouragé par Madame Veil, sans pour autant oublié Auschwitz, il était temps de se pencher sur les raisons de cette exception française.
A titre de comparaison, des écarts considérables existent entre la Pologne où la plupart des Juifs ont été éliminés et la Bulgarie où ils ont survécu du moins au sein du « vieux royaume », entre la Norvège (50 % des juifs tués) et le Danemark (5%), les Pays-Bas (75 %) et la Belgique (45 %).
Jacques Semelin nous dit « Cette résistance de sauvetage des persécutés eux-mêmes à laquelle se joignent des organisations surtout chrétiennes, a probablement permis de sauver en France une dizaine de milliers de personnes, principalement des enfants. Si admirable fut-elle, elle ne peut expliquer la survie de plus de 200 000 personnes. L'action des Justes, importante d'un point de vue mémoriel (ils sont environ 4000 en France en 2017) ne le peut davantage. Il faut explorer d'autres pistes. »
Ce qui rend vivante cette enquête, ce sont les témoignages d'individus ou de familles de français juifs ou étrangers qui au travers du récit de leur trajectoire de l'avant guerre aux années d'Occupation, démontre les stratagèmes qu'ils ont du inventer pour survivre que ce soit avec l'aide de la population non juive comme des petits gestes altruistes, comme de l'utilisation du silence afin de garantir la survie des persécutés.
Jacques Semelin s'appuie aussi sur des lettres, des journaux intimes, des photographies pour étayer ses propos.
Il n'est nullement question de nier la délation, l'antisémitisme, mais il est intéressant de comprendre comment une population, au début plutôt indifférente à ce qui se passe autour d'elle, plonge dans la philanthropie parfois par intérêt mais majoritairement par humanité même si aider les juifs peut devenir une façon de s'opposer à l'ennemi..
Il est indispensable de tenir compte du choc qu'a représenté, au début, pour une grande partie des français, l'Occupation. le 3 octobre 1940, Vichy promulgue un antisémitisme d'état avec le statut de personnes juives. L'état d'esprit de la société bascule avec l'insoutenable Rafle du Vel d'Hiv ! La violence physique entre dans le quotidien et se fait de plus en plus prégnante à l'égard de femmes et d'enfants, les prises de conscience se multiplient, soulevant ainsi l'indignation de la population. Je soulignerai le sermon de Monseigneur Jules Saliège, archevêque de Toulouse, qui dénonce ouvertement, le 23 août 1942, la persécution des Juifs. Son appel sera largement diffusé et entendu par la population.
Cette enquête vient apporter une contradiction au livre de
Michael Marrus et
Robert Paxton qui reste le livre de référence mais qui ne tient pas compte de ces 75 % de juifs survivants bien que depuis, une nouvelle édition ait ajouté une quarantaine de lignes sur ce sujet.
Pour ceux qui sont intéressés par ce sujet comme je le suis, cette enquête reprend le parcours de la société française depuis 39, la France vaincue est divisée par deux! le gouvernement s'expatrie à Vichy tandis que le nord est sous l'Occupation allemande. Nous retrouvons ce que nous connaissons tous, en plus approfondi évidemment.
Ce qui m'a particulièrement intéressée ce sont les chapitres consacrés à la survie des personnes persécutées, la façon dont elles mettaient en place leur pratique de survie grâce à leur seul instinct ou grâce à l'aide des non juifs. La zone libre, les campagnes, les coins les plus reculés représentaient un abri possible alors que la zone nord représentait l'antre du démon. Captivant les chapitres consacrés aux Justes, les mains tendues des agriculteurs, les enseignants, les concierges, les prêtres ou les pasteurs, sans oublier les filières, en un mot tous ces anonymes qui, du simple petit geste a un investissement plus conséquent, ont participé à la survie des juifs. Il est évident que les Juifs français, assimilés depuis très longtemps, ont pu plus facilement bénéficier de ce tissu social avec lequel, ils avaient fusionné, ce fut plus compliqué pour les juifs étrangers qui parlaient à peine le français voire pas du tout. D'après les témoignages, le port de l'étoile jaune, rendue obligatoire dans la zone nord en 1942, a suscité, majoritairement, de la compassion.
En un mot, c'est une enquête très documentée, méthodique, précise, très fluide, qui permet de mettre en évidence cette survie des juifs en France multifactorielle et aussi de revoir certaines idées toutes faites sur la France sous l'Occupation.
Serge Klarsfeld en a écrit la préface.
Je remercie « Fleurdubien » pour son excellent billet qui m'a donné envie de lire ce livre particulièrement enrichissant, accessible à tous, remarquable par sa qualité quant à la recherche de la vérité.