Le visiteur :
Eric Emmanuel Schmitt
Je relis cette pièce pour la nième fois et j'y découvre encore quelques trésors.
Quatre personnages seulement pour ce joyau de pièce de théâtre au très riche contenu philosophique.
Freud lui-même qui va rencontrer un Dieu auquel il ne croit pas.
« Dieu n'existe pas. le ciel est un toit vide sur la souffrance des hommes. »
« Croire, c'est un désir de bête traquée, c'est le regard du chevreuil acculé au rocher par la meute et qui cherche encore une issue. Dieu, c'est un cri, c'est une révolte de la carcasse. »
« L'athée n'a plus d'illusions, il les a toutes troquées contre le courage. »
Anna sa fille qui aime son père plus que tout et ne comprend pas la passivité des juifs face à l'agression nazie.
Le nazi.
Et enfin l'Inconnu, personnage essentiel, « orphelin de naissance » et qui « n'oublie jamais rien sans avoir de souvenirs » comme il dit !
Nous sommes en 1938 : l'Allemagne nazie vient d'envahir l'Autriche.
À Vienne,
Freud âgé et malade, inquiet et torturé pour sa fille qui vient d'être emmenée par la Gestapo, reçoit la visite chez lui d'un Inconnu.
Entre
Freud, tel Saint Thomas qui ne croit que ce qu'il voit, et l'Inconnu va s'établir un dialogue d'une intensité étrange au cours duquel sont évoquées les grandes questions philosophiques : conscient et inconscient, le Bien et le Mal, la liberté de l'Homme face à la Toute Puissance de Dieu, la foi (« la foi doit se nourrir de foi, non de preuves), intuition et raison.
Avec des phrases choc telles que : « Il fut un temps où l'orgueil humain se contentait de défier Dieu ; aujourd'hui, il le remplace. »
Toute la scène 8 est d'une rare intensité, un moment d'anthologie.
Un texte magnifique, riche d'un humour subtil malgré le tragique de la situation.
Par exemple devant le cancer dont souffre
Freud, l'Inconnu lui dit :
« Malade…, le vilain mot, comme un coup de main que la santé donnerait à la mort ! »
Et
Freud d'ajouter pour sa fille : « Vois-tu Anna, le drame de la vieillesse, c'est qu'elle ne frappe que des gens jeunes.
EES avec le talent qu'on lui connaît nous offre des dialogues somptueux, en toute simplicité, et avec habileté captive son lecteur dans ce thriller d'un autre monde qui devrait être étudié dans les lycées si ce n'est déjà fait.
« J'ai fait l'homme libre dit l'Inconnu.
Libre pour le mal ! répond
Freud.
Libre pour le bien comme pour le mal, sinon la liberté n'est rien, dit l'Inconnu. »
Bien sûr, EES ne pouvait oublier Mozart et fait dire à l'Inconnu :
« Mozart, à vous faire croire en l'homme… »
Cette pièce a été créée en 1993 à Paris et reprise en 1998. Avec un succès qui ne s'est jamais démenti.