Dans un précédent essai (
Pour elles toutes. Femmes contre la prison)
Gwenola Ricordeau proposait une réflexion sur l'abolition du système pénal (police, justice, prison) d'un point de vue féministe, fruit de son expérience personnelle, militante, entre la France et les États-Unis et de ses travaux universitaires en criminologie menés en Californie.
Dans Crimes & Peines, elle présente des textes d'auteur·es de la première vague de l'abolitionnisme pénal (Louk Hulsman,
Nils Christie et Ruth Morris) qui ont accompagné ses engagements politiques et académiques, et qui nous permettent à nous lecteur·rices de découvrir ces voix peu connues en France qui proposent des solutions pour éviter de recourir au système pénal.
Chaque texte choisi par
Gwenola Ricordeau est précédé d'une brève présentation qui permet de découvrir le parcours de son auteur·e, de contextualiser sa pensée, et ainsi nous faciliter la compréhension des idées clés de chacun·e.
Le texte de
Nils Christie (1928-2015) «A qui appartiennent les conflits?» nous explique que les victimes/auteur·es d'infractions sont dépossédé·es de leurs conflits par le traitement judiciaire du système pénal. Ainsi, le corps social perd l'opportunité de gérer un conflit de manière autonome qui permettrait de renforcer les liens entre chaque membre de la communauté. N.Christie propose alors que les conflits soient pris en charge par des tribunaux composés de non-professionnel·les qui se focaliseraient sur les victimes, plutôt que sur les auteur·es d'infractions, comme c'est le cas avec le système actuel.
Dans «Criminologie critique et le concept de crime», Louk Hulsman (1923-2009) analyse le préjugé qui lie le crime à la seule responsabilité individuelle, et défend une criminologie critique qui doit se concentrer «sur le poids autrement plus lourd des crimes des puissants». Pour cet auteur clairement abolitionniste, le crime est une construction sociale, produit d'une politique pénale qui n'a pas de réalité propre. Au lieu d'utiliser le terme de crime, il préfère celui de «situations-problèmes», soit des «événements qui nous détournent négativement de l'ordre dans lequel nous avons le sentiment que nos vies sont ancrées», qui devraient être traitées par différents niveaux de l'organisation sociale, sans avoir recours au système pénal.
Enfin, le dernier texte présenté par G.Ricordeau, «Deux types de victimes : répondre à leurs besoins» est signé de la quaker americano-canadienne Ruth Morris (1933- 2001) qui a participé à la création de la Conférence Internationale pour l'Abolition du système Pénal (ICOPA) dont la première édition s'est tenue en 1983 à Totonto. Pour cette autrice, le système pénal se désintéresse des besoins des victimes des violences interpersonnelles, comme des victimes des injustices systémiques (racisme, pauvreté, patriarcat, etc). Elle défend l'idée d'une justice transformative, qui «promeut la ''guérison'' de la victime, mais aussi de l'auteur·e et de la communauté, et repose sur des processus collectifs». Cette réappropriation communautaire des conflits, doit permettre de répondre aux cinq besoins principaux des victimes : obtenir des réponses à leurs questions ; voir leur préjudice être reconnu, être en sécurité, pouvoir donner du sens à ce qu'elles ont subi, et obtenir réparation.
Grâce à ce travail de présentation de ces auteur·es qui ont nourri les réflexions sur l'abolitionnisme pénal,
Gwenola Ricordeau participe une fois encore à diffuser dans l'espace francophone les idées et les combats contre le système pénal, et rappelle en conclusion, combien le renouvellement de la pensée abolitionniste s'est enrichie ces dernières années par les réflexions portées par les champs de recherche sur le genre, la race, la sexualité, le validisme, l'écologie ou le capitalisme, comme par les mobilisations militantes (Black Live Matters aux USA), en attendant le «soir où [l']on dansera sur les cendres de leurs commissariats, de leurs tribunaux, et de leurs prisons».