Bien que considéré comme une des voix les plus considérables de la littérature chilienne (en 2011, il reçoit à l'âge de 97 ans le célèbre prix
Cervantes), il aura fallu beaucoup de temps avant que l'oeuvre poétique de
Nicanor Parra ne traverse l'Atlantique et ne nous parvienne.
Publié en 1954, le recueil Poemas y antipoemas (
Poèmes et antipoèmes) ne sera traduit en français et publié qu'en... 2017, sous l'impulsion d'un autre poète chilien, Felipe Trupper. Une initiative saluée, qui m'a permis de faire connaissance avec le grand poète chilien.
La première impression en découvrant les poèmes de
Nicanor Parra, c'est l'accessibilité de l'écriture, du style utilisé, la fluidité de leur rythme, leur forme très libre. En relatant des souvenirs ou des scènes de la vie quotidienne, Parra marque sa volonté constante de dire, de témoigner.
Progressivement, d'autres poèmes vont suivre qui dans leur tonalité paraissent plus inquiets, plus revendicatifs, moins chargés de recherche de style. Ce sont les anti-poèmes.
Le préfixe anti marque chez Parra plus une pensée différente de la création poétique qu'une hostilité frontale ; il marque davantage une alternative à une certaine idée de la poésie que comme un positionnement ferme contre la poésie. L'anti-poème, c'est la mécanique d'un langage vivant, celui de tous les jours, en opposition aux procédés, aux signes utilisés par les poètes « alchimistes ». L'anti-poème, c'est la grande contribution de
Nicanor Parra à la littérature de langue espagnole.
Dans ces anti-poèmes, c'est toujours la même voix constante, celle de Parra. transformé en une sorte d'énergumène narratif, usant d'une voix corrosive, d'une lucidité et d'une ironie sans partage.
Si leur caractère dénote avec les premiers textes du recueil, je n'ai cependant pas été vraiment séduit par les anti-poèmes. Leur tonalité, leur forme ressemblait plus à une succession de récits, de témoignages d'un intérêt très relatif.
Reste le grand plaisir d'avoir découvert la poésie de
Nicanor Parra, libre et affranchie, authentique à l'extrême.
« Épitaphe -
De taille moyenne,
La voix ni mince ni grosse,
Fils aîné d'un instituteur
Et d'une couturière d'arrière-boutique ;
Maigre de naissance
Et pourtant dévot de la bonne table ;
Les joues creuses
Et les oreilles plutôt abondantes ;
Un visage carré
Où les yeux s'ouvrent à peine
Où un nez de boxeur mulâtre
Surmonte une bouche d'idole aztèque
– Tout cela baigné
D'une lumière entre ironique et perfide –
Ni très malin ni complètement idiot
Je fus ce que je fus : un mélange
De vinaigre et d'huile de table,
Une charcutaille d'ange et de bête ! »
.