Je n'avais rien lu de
Line Papin lorsque je l'ai entendu parler de ce livre à la radio.
J'ai eu tout de suite envie de rencontrer son écriture dans ce récit intime.
D'emblée le lecteur est confronté à cette écriture qui est à l'os, chaque mot est pesé dans cette façon d'adosser son récit à cette coutume du Vietnam : « On enterre les gens dans une tombe à leur taille pendant trois ans, au Vietnam. Puis, ce délai passé, la chair évaporée, on transvase dans un coffret plus chétif ce qu'il reste du corps : les os. Les cimetières sont donc faits de petits coffrets d'os. »
Trois générations de femmes, deux pays.
Treize ans après son départ elle revient seule dans ce pays qui la hante « pour tenter de réconcilier le passé et le présent, les deux continents et mes membres souffrants – pour tenter de me réconcilier. »
A dix ans elle est arrachée à son monde même si la mixité est présente et vécue, car son père est français, même s'il épouse ce pays qu'il aime, il impose aussi sa personnalité.
L'enfant passe d'une vie horizontale à une vie verticale.
Elle démontre très bien les différences, au Vietnam, il y a l'embargo, la vie difficile mais ceci est vécu dans la solidarité, la proximité, en France elle va vivre à la verticale. Chacun son monde, sa vie.
D'un côté tous sous le même toit, de l'autre une case pour chaque toi.
La petite fille a un lien très spécial avec sa grand-mère Ba et sa nounou Co Phai.
« Au Vietnam, tu avais cinq familles : ta ville, tes parents, ta nourrice, tes grands-parents, tes amis. »
Alors l'arrachement fût violent, les adultes n'ont pas su voir car ils poursuivent leur vie, leur route et les changements sont comme une évidence, il faut s'adapter.
Mais la petite fille a mal, jusque dans ses os. Il ne reste plus que cela d'elle, la mort rôde. Elle sera hospitalisée un an.
Cette période est magnifiquement restituée sans pathos, le lecteur ressent, il a l'impression d'assister à un bal de fantômes. L'anorexie c'est sa guerre à elle.
La disparition possible est là, omniprésente, palpable.
Son Vietnam a disparu…
Elle a circulé entre deux mondes avant de les engloutir pour nourrir sa plume.
Au fur et à mesure que les maux la rongent, les mots s'installent dans les creux. Car si des mains sont tendues, elles traversent le vide inexorablement.
Les mots, les images vont former un ciment.
L'ambiguïté, l‘ambivalence de ce qui nourrit, construit se dévoile sous nos yeux. Il n'y a pas de rejet, elle est les deux pays.
Elle dresse de magnifiques portraits de femmes sur trois générations.
Ce livre existe pour pérenniser ce qui n'est plus, pour fixer les fondations et montrer la chair reconstituée autour de l'os.
Cette écriture va à l'essentiel de la vie, de ces nuances, des blessures aux retrouvailles.
Il y a la distanciation entre les différents êtres, symbole des phases traversées pour intérioriser.
L'auteur à travers ce récit très intime, ne laisse jamais son lecteur en dehors, pas plus qu'il ne se sent voyeur.
Non il suit cette petite fille et lui dit regarde toute la richesse qui est en toi.
Tu es toutes ces femmes à la fois, elles vivent en toi mais tu es TOI enfin.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 27 septembre 2019.