Les
Tristes et les
Pontiques sont des oeuvres d'exil, dans lesquelles
Ovide à la fois pleure sa patrie et sa vie perdues, et proclame son regret d'avoir commis la « faute » qui l'a fait envoyer en exil par Auguste. de cette faute, nous ne savons rien. Il l'évoque rarement, de façon allusive : ses yeux auraient vu ce qu'ils ne devaient pas voir.
Les
Tristes et les
Pontiques nous offrent une vision impitoyable du pouvoir absolu et de l'absolue (et inutile) soumission pour revenir en grâce.
Ovide chante les louanges d'Auguste, le compare à Jupiter, le remercie de ne pas l'avoir foudroyé davantage ; il rampe. Dans les
Pontiques (plus exactement : Lettres du Pont), il écrit à ses amis pour les conjurer d'intercéder en sa faveur. Certains l'ont abandonné lors de sa disgrâce, d'autres correspondent avec lui mais ne veulent pas que cela se sache. A eux il pardonne, et écrit en laissant anonyme le destinataire d'une de ses lettres :
"Et je ne dirai pas qui tu es à moins que tu ne m'y autorises ;
Je ne contraindrai personne à accepter mes cadeaux.
Quant à toi, s'il te paraît dangereux d'aimer sans risque,
Celui que tu pouvais aimer ouvertement, aime-le en secret."
Il décrit le petit autel qu'il a installé chez lui, avec les statuettes de la famille impériale divinisée, auxquelles il rend un culte. Il prie, il supplie qu'on lui pardonne, ou du moins qu'on l'exile plus près de Rome, plus loin des barbares. Rien n'y fera : ni Auguste ni Tibère n'allégeront sa peine, il mourra en exil et sera enseveli en terre étrangère.
Car
Ovide est banni aux confins du monde romain (à six mois de route et de bateau de Rome, tout de même !), dans une région qui n'est pas totalement pacifiée, à Tomes, l'actuelle Constanţa en Roumanie. C'est un arrachement total, culturel, familial, amical.
Ovide se voit comme déjà mort : il dit à un de ses amis de « le compter aussi parmi les défunts ». On n'y parle pas latin, ou à peine, on y massacre la langue grecque.
Ovide apprend d'ailleurs la langue de l'exil, le Gète, et a parfois du mal à retrouver les mots de sa propre langue quand il écrit. le peuple environnant porte des braies, et non la toge romaine civilisée, se couvre de peaux de bêtes pour se tenir chaud, car la mer Noire et l'Hister (le Danube) gèlent en hiver. On marche sur l'eau, nous dit
Ovide. Aux alentours la guerre rôde. Les ennemis lancent des flèches dont la pointe est trempée dans du venin de serpent.
Quant à l'écriture d'
Ovide, il est toujours difficile de parler d'une traduction. Mais on repère tout de même le bercement du distique élégiaque, ce groupe de deux vers, l'un plus long que l'autre, semblable au ressac de la plainte, et la chute des différents poèmes touche au coeur. La langue est aussi plus simple et moins savante que dans
les Métamorphoses, par exemple, avec des métaphores tirées de la vie quotidienne, ou des références aux mythes (Méduse) qui expriment la douleur d'
Ovide : « Moi je suis celui qui en vain voudrait être une pierre ».
Ovide se voit tout de même comme un grand poète, mais il est déchiré entre son orgueil d'écrivain et son regret d'avoir écrit, surtout
L'art d'aimer, mis à l'index par Auguste. Il fait parler ses poèmes à la première personne, les envoie à Rome à sa place, ambassadeurs de sa douleur. Il promet l'immortalité de ses vers à sa femme et à tous ceux qu'il chante, tout en sachant qu'à lui, cela n'apportera rien : c'est comme s'il était célèbre dans la constellation des Pléiades, dit-il… Et nous qui le lisons et compatissons, nos savons que cela ne le ressuscitera pas. Mais nous le lisons.