Mon Coup de coeur
" le diable de se repose jamais"
Après "la chaise rose de
Virgile" et "
dentelle et salopette"
Agnès OLLARD publie son troisième roman.
Nous retrouvons sa plume alerte et sensible, cette sensibilité qui touche, émeut, bouleverse, fait jaillir tellement d'émotions et beaucoup d'humour. Une écriture intelligente, talentueuse mise au service de l'humain. A travers sa panoplie de personnages, c'est l'humanité qu'elle nous raconte. Avec profondeur, empathie, indulgence et générosité, elle balaie l'histoire de ce siècle, ses grands bouleversements, ses guerres, ses luttes, ses grandes causes.
J'ai été bousculée, émue par les destins tragiques, la douleur de ces femmes qui ont payé le prix fort, aussi parce qu'elles étaient des femmes.
Ce roman est puissant, poignant. Il fait réfléchir .... et longtemps après l'avoir terminé !
"La veille, le début de journée avait été détendu, presque joyeux. Paul lui avait donné rendez-vous pour déjeuner dans la délicieuse brasserie du Minage. le soleil réchauffait sans brûler et la petite cascade ricochait au milieu du jardin apportant une note de gaité dans cette fin de printemps. Elle avait vu Paul de loin, reconnu son pas allongé et l'élégance de sa silhouette mince. Il avait remonté ses lunettes, cligné des yeux à la lumière et par un geste familier avait passé la main dans ses cheveux blonds. Puis émergeant de cet instant suspendu où on s'abandonne à soi-même, il avait vu sa mère et avait souri. Ces moments étaient rares et Alex en dégustait chaque instant. Accaparé par ses responsabilités à la clinique, Paul bataillait avec un emploi du temps si contraint qu'un papier à cigarettes n'aurait pu s'y glisser. Mais en fait, il aimait cette urgence et tel un soldat, il ferraillait le temps, la maladie, la mort et il forçait la vie. Il n'avait pas le temps pour donner un lendemain à ses amours, pas le temps de l'immobilité, pas le temps pour s'attarder et pour goûter le temps. « Pourtant, ce temps que l'on croit immortel, court si vite ! » Pensa Alex en voyant son fils fendre le jardin à pas vifs pour la rejoindre. Après un baiser bref, comme de coutume, il regarda l'heure sur son portable et Alex le vit calculer le temps. « A quelle heure dois-tu partir ? » demanda-t-elle et Paul gêné, regagna le présent en disant « J'ai le temps ! »
Il fut délectable jusqu'au café, jusqu'au moment où Max s'invita dans la conversation avec son anniversaire, les cadeaux d'anniversaire et le souvenir des autres anniversaires.
« Vous faites toujours des histoires. » a dit Paul.
« Quelles histoires ? » a demandé Alex.
Alors, le soleil s'assombrit, la cascade, les oiseaux, le printemps et toutes les conneries de familles unies se mirent à grincer. Paul aimait son grand père. Point. Et personne ne pouvait le convaincre que ce Max qu'il admirait, était étranger aux autres. Où lui voyait de la tendresse, les autres ne voyaient que dureté et même cruauté. Deux paradigmes irréconciliables. Deux camps ennemis divisés. En quelque sorte l'amour de Max avait sauté une génération et la déception s'était installée dans l'entre deux. Acerbe, coupante, froide, irréparable, définitive. Oui, le père avait espéré un enfant qui le comble. Alex tout d'abord, jolie et délicate mais si empruntée qu'elle traversa la vie en s'excusant d'être sans grâce et sans talent, alors elle fut sans grâce et sans talent et quoique fasse Max, jamais elle ne leva les yeux vers le soleil et se contenta de regarder la poussière de ses souliers. Puis Léa est venue et Max a cru à la rencontre. Il aima d'abord cette exubérance effrontée qui allait bientôt se retourner contre lui. Elle était une panthère qu'on admire pour sa sauvagerie mais qui ne se laisse ni approcher, ni apprivoiser et encore moins dresser. Puis, il y eut Julien qui allait être enfin celui qu'il attendait. Un autre lui-même, en mieux. Mais ce fut Julien. Ce ne fut que Julien. Timoré et falot. Julien fut le dernier espoir avorté. Julien, mi-fille mi-mâle, mi révolté, mi-consentant, mi-doué, mi-idiot. Julien, demi partout, partout demi. « Comment voulez-vous ? » Disait Max sans pouvoir finir sa phrase, sans pouvoir dire qu'il ne pouvait comprendre et encore moins aimer cette progéniture si peu aimable. Et pourtant pour être juste, Max a essayé. Comme un jardinier maladroit, de toutes ses forces, il a lutté. Il a soigné les greffes, coupé les moignons, taillé les rejets, arraché les mauvaises herbes. Il a biné, brûlé, cisaillé, en vain, ses plantes végétaient. Alex baissait la tête, Léa levait la tête, julien était sans tête et sans couilles. Max avait juste oublié une chose. Il avait oublié une seule chose, l'essence des êtres. Il avait oublié l'eau et la lumière. Alors quand il ne put rien tirer de ces racines malingres qui ne donnaient ni sève, ni fleur, ni fruit, alors le jardinier mit un coup de pied dans la terre stérile et s'en fut dépité s'occuper d'affaires plus gratifiantes. Il s'enferma dans son bureau, ne s'adressant à ces orties qu'en haussant les épaules et en relevant un sourcil nerveux. Qu'Alex épousât ce minable de Pascal et se lançât dans ses romances de gare ne le surprit pas. Que Léa finisse caissière, bleu, blanc, rouge à Auchan ne le gêna pas outre mesure sauf à changer d'épicerie par orgueil. Que julien gribouille des pieds nickelés à longueur de journée fut chose acquise à défaut d'être comprise pourvu qu'on ne lui en parlât pas le dimanche à Rochebrune. Il avait Malinette et l'amour de Malinette, entier et inconditionnel pour le consoler. Puis vint un miracle. Il y eut Paul, ce petit enfant à qui il faisait les marionnettes font, font, font, avec qui il regardait
Fort Boyard à la télé et jouait à Spiderman à quatre pattes sous la table. Pourquoi lui ? …………
« Tu vois bien que même absent, il parvient à nous diviser et à gâcher ce moment. » Dit Alex.
Sans répondre, Paul regarde son portable, repousse sa chaise et pique un baiser sur la joue de sa mère.