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sur 413 notes
Deux jeunes filles se retrouvent co-chambres à l'université dans une ville de la côté est des États-Unis dans les années 70 : l'une est noire, Minette Swift, disgracieuse, antipathique et fille de pasteur ; l'autre est blanche, Genna Meade, riche, descendante du fondateur de la fac, affublée de parents ultra-libéraux distants. Tout ou presque les oppose et dès le début on apprend que l'une d'elle va mourir.
Avec ce canevas, J. C. OATES tisse alors une histoire captivante pour tenter de comprendre ce qui s'est passé. Bien sûr, comme l'opposition du titre le suggère, le racisme est présent, et la jeune fille noire est l'objet de brimades, mais qui les lui inflige ? le doute finit par s'installer : les étudiantes qui l'ont prises en grippe ou elle-même ? Genna, fortement culpabilisée par sa situation privilégiée, tente de venir en aide à Minette, qui refuse tout soutien.

Au-delà du thème évident du livre, je préfère penser que l'auteur a voulu surtout décrypter les tourments des adolescentes, leurs interrogations face à l'avenir, leurs sombres états d'âme, et tenter de cerner au plus près le quotidien de deux jeunes filles perturbées juste avant leur immersion dans la vie adulte.
L'écriture de J. C. OATES est comme toujours directe, précise, sans fioritures, son style percutant voire féroce, elle immerge son lecteur dans une histoire sombre et ambigüe qui ne laisse pas indifférent et qui est au demeurant fort bien construite.
J'ai lu ce roman il y a déjà quelques temps, et son souvenir reste tenace, preuve pour moi d'une force narrative certaine. Quand cet immense écrivain américain recevra-t-elle enfin le prix Nobel, pour lequel elle a été sélectionnée déjà deux fois ?
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Décolorés les messages du ciel,
Les évidences déteintes au soleil,
Fané le rouge sang des enfers,
L'Eden un peu moins pur, un peu moins clair,
Souillé, taché, le blanc des étendards,
Brulé le vert entêtant de l'espoir,
Ternis, les gentils, troublants, les méchants,
Les diables ne sont plus vraiment noirs,
Entre gris clair et gris foncé…

En demi-teinte, en clair-obscur JCO sonde, perfore, mine, ronge et ravage pareil au Caravage au nom de tout ce qui les sépare.
Fille Noire, Minette – Fille Blanche, Genna.
University Schuyler College, 1974
Première année d'études. Même chambre. Minette va mourir.
Malaise, « NEGROT GO HOME » Qui en veut à cette fille de pasteur ? Qui en veut à l'introvertie noire, très chrétienne, antipathique, boursière, renfrognée, butée, fermée et sûre d'elle comme une huitre avant que le couteau ne trouve la faille ?
Surement l'Amérique toute entière ou tout simplement ses voisines plus claires, moins foncées, plus chics, moins modestes ?
En tous cas pas Genna ! La fille blanche, très aisée, à la mère hippie déjantée et au père, avocat anti-Vietnam, anti-Nixon et activiste politique toxique. Elle est de surcroit, arrière-petite-fille du créateur de cette université guindée au code d'honneur rigoriste.

JCO décortique, analyse l'accablement, le harcèlement, le poids des relations familiales, les tensions raciales jusqu'à faire suer les mots et répandre l'odeur âcre du racisme.
Genna se doit de protéger Minette à tout prix, de par son éducation endosser la rédemption de son pays, s'absoudre de l'aisance que Minette ne connaitra jamais. Accepter sans vaciller de porter le fardeau oppressant des agissements et des manigances politiques de son père et de la défaillance et de la désinvolture de sa mère.

Ce roman est émouvant, captivant, parfois même envoutant, sa lecture demande une attention soutenue pour en saisir les finesses par le menu. Ne croyez pas qu'il soit un polar ni même un thriller, c'est une introspection dans les choix, dans les principes sournois, les volontés et les combats, dans la culpabilité et la bêtise comme JCO sait si bien l'écrire et le décrire, c'est un chant miné de la dissonance de deux destins, une symphonie raciale, un « Ebony and Ivory live together in perfect cacophony » dont JCO se fait la voix de tête. « This is The Voice » !!!
Et je te veux dans mon équipe…


Préambule de J.J.Goldman
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Ouvrir un roman de Joyce Carol Oates est tout sauf un geste anodin.
Aucun de ses textes (du moins ceux, nombreux, que j'ai lus jusqu'à présent) n'est banal. Aucun n'est lisse.
Ses écrits ont toujours un sens, un but, même si le chemin pour y parvenir n'est pas toujours rectiligne.

Le thème majeur de Fille noire, fille blanche est annoncé dans le titre de ce livre écrit en 2006, dans lequel deux étudiantes sont amenées à partager une chambre dans la résidence universitaire d'une université prestigieuse.
L'une est noire, l'autre est blanche.
L'une est boursière, l'autre est d'un milieu très aisé.
L'une est très croyante et fille de pasteur, l'autre est profondément athée.
L'une n'a que faire de la politique, l'autre vient d'une famille dans laquelle on croit à « l'amélioration de l'humanité par des moyens sociaux et politiques »
Minette (drôle de prénom !) et Genna sont radicalement différentes.

Joyce Carol Oates n'est jamais manichéenne et dans ce roman, spécialement, elle balade sur une ligne de crête son lecteur qui ne sait pas sur quel pied se tenir.
Tout aurait pu être simple : Minette, gentille étudiante, aurait été victime de racisme tandis que Genna aurait au mieux ignoré, au pire martyrisé, cette colocataire imposée qui n'est pas de son milieu social.
Oui, tout aurait pu être simple... mais simpliste et sans intérêt.

Minette n'est pas franchement sympathique. Elle est capricieuse et imprévisible. C'est elle qui se comporte comme une petite fille gâtée, et non Genna contrairement à ce que l'on pourrait attendre.
Lorsqu'elle est victime d'actes malveillants dont on ne connaît pas l'origine, je me suis presque dit qu'elle le cherchait un peu... avant de culpabiliser aussitôt.
Pire : lorsqu'au fil des pages ces actes se répètent, j'ai fini par me demander si ce n'était pas Minette qui mettait tout en scène... avant de culpabiliser aussitôt.
Joyce Carol Oates m'a mise dans une drôle de position. Une position très inconfortable parce qu'aucune réponse n'a été donnée aux nombreuses interrogations qui ont surgi dans mon esprit.
Mais cet inconfort a été stimulant. C'est lui qui m'a poussée à avancer... et à m'interroger encore.
Non, l'auteur ne donne aucune réponse, ou si réponses il y a, celles-ci sont tellement bien cachées que je ne les ai pas trouvées.
Mais peu importe : l'essentiel est le questionnement.

Fille noire, fille blanche... mais ne peut-on penser que ce qui sépare les deux étudiantes n'est pas la couleur de peau mais tout simplement leur personnalité ? Leur caractère, leur comportement ? Tout ce qui fait l'essence d'un être humain, finalement.
Fille noire, fille blanche... et si le titre était trompeur ? Cela ne m'étonnerait pas de la part de Joyce Carol Oates qui se joue de son lecteur avec brio dans ce livre déconcertant qui me trotte encore dans la tête quelques semaines après sa lecture.

PS : Si ce livre avait été mon premier roman de Joyce Carol Oates, je pense que je ne l'aurais pas aimé.
Là, avec l'habitude des écrits très particuliers de cette grande dame, j'ai sans doute perçu des choses à côté desquelles je serais passée sinon.
Je ne le conseille pas du tout pour découvrir cet auteur. À réserver aux "initiés" !
Merci à latina et Annette55 dont les commentaires m'ont inspiré ce post-scriptum.
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Adolescence difficile dans les États-Unis des années 70.

Un père avocat activiste et une mère hippie accro aux médicaments, Genna a vu passer toutes sortes de monde dans leur maison lorsqu'elle était enfant, ça complote, ça consomme des drogues et du sexe et ça n'a pas beaucoup de temps à consacrer à une petite fille.

Adolescente, elle va à l'université dans une institution fondée par la famille de son père. Ils sont riches, mais Genna ira dans un dortoir qui accueille les « boursières », celles qui sont méritantes, mais trop pauvres pour payer les frais de scolarité.

Genna aura pour co-locataire une fille noire, plutôt bizarre. Alors que Genna fait tout pour être acceptée et avoir des amies, cette Minette refuse tout contact et traite tout le monde avec une indifférence et refuse de se mêler aux autres. Elle se plaint d'être persécutée et reçoit un jour une lettre anonyme raciste.

Un roman au déroulement lent, axé sur les tourments intérieurs de Genna et sur la description des contradictions de la société dans laquelle elle évolue : héritière de l'époque psychédélique, de la Guerre du Vietnam, des manifestations et des répressions de 1968 et des Black Panthers.

Comme pour plusieurs oeuvres de Joyce Carol Oates, c'est une lecture qu'on ne peut pas qualifier d'« agréable », mais plutôt de troublante.
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J'avais pioché ce livre dans la bibliothèque de mon ex-belle-mère. Je connais l'auteur de nom, j'avais essayé plus jeune de lire « Les Chutes » mais je n'avais pas du tout adhéré à son style et abandonné assez vite celui-ci. Un de mes tout premiers livres abandonnés d'ailleurs… En le voyant dans sa bibliothèque, j'ai donc voulu lui redonner une chance, le résumé m'intriguait. Il a été sorti de ma PAL à l'occasion d'une LC avec Chabe37, à qui je l'avais pioché pour le mois de Juin.

On alterne les périodes dans le temps en compagnie de Genna, une jeune lycéenne blanche. Elle nous parle de sa vie, de sa famille de hippie, de son école, de sa colocataire noire… C'est long, trop de temps est pris pour présenter le contexte et pour ma part, particulièrement imbuvable. J'ai eu du mal à lire pendant la semaine car plusieurs grosses journées de boulot étaient prévues pour organiser une journée spéciale. du coup, le soir, j'étais trop crevée pour lire et je ne m'y suis réellement penchée que ce week-end. En relisant le résumé, je me demande bien pourquoi je l'ai pris, ce n'est pas du tout mon style de lecture. Peut-être à cause de l'auteur pour essayer à nouveau ou pour essayer de nouvelles lectures. À cause du titre, je pensais trouver un livre du genre de « Sweet Sixteen », récent coup de coeur sur la condition des Noirs au milieu des Blancs en pleine ségrégation raciale. Mais le style n'est vraiment pas le même et c'est long et insipide à lire. Malgré la LC , je ne vais pas me forcer à le finir… J'ai fini par le lire en diagonale tant je ne supportais plus le style de cette auteur, trop de choses répétées, trop d'informations pour replacer l'histoire dans un contexte historique… Ce n'est vraiment pas une période qui m'intéresse en plus… J'ai moins lu la fin en diagonale car je voulais quand même connaître l'incident qu'avait subi Minette, la couverture en donne une vague idée. Par contre, tous les passages sur les parents de Genna étaient allègrement sautés, une génération et des idées vraiment bizarres…

Comme vous l'aurez compris, ce livre a été une grosse déception mais ça fait toujours un de moins dans ma PAL. Par contre, maintenant, je fais définitivement un trait sur cette auteur, 2 essais que je n'ai pas pu lire jusqu'au bout, je pense que son style n'est vraiment pas pour moi. Je vous conseille néanmoins de la découvrir pour vous en faire votre propre idée, vu le nombre de livres à son actif, je pense qu'elle a quand même un certain succès. Pour ma part, je vais continuer à trier ma bibliothèque.

Sur ce, bonnes lectures à vous :-)
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"Fille noire, fille blanche" est un étrange roman non exempt d'une certaine sensibilité qui le rend attachant malgré une structuration narrative déconcertante et un style qui pour être talentueux n'en demeure pas moins intriguant.

Comme pour "La fille du fossoyeur", j'ai trouvé une certaine lourdeur de forme au récit et j'ai parfois eu du mal à avancer, sans pourtant vouloir renoncer à aller au bout de cette lecture exigeante.

Genna est blanche, issue d'une famille aisée, "radical chic" ; son père, avocat s'étant illustré dans de nombres combats, notamment contre la guerre au Vietnam. Minette est noire, fille de pasteur, boursière. Les deux jeunes filles font chambre commune en 1974 dans la résidence universitaire du Collège fondé par l'aïeul de Genna. Cette dernière, bien que consciente de ce qui les oppose, à commencer par la couleur de peau, décide que Minette et elle seront meilleures amies, voire soeurs. Mais le comportement de Minette et son évidente mauvaise volonté vont ébranler les convictions et la résolution de Genna.

"Fille noire, fille blanche" est un roman dans lequel deux solitudes ne parviennent pas à s'associer, reflet de deux mondes, de deux cultures contraintes de s'unir sous le dôme d'une même société. C'est une peinture qui mêle historique de l'oppression, sarcasme du fanatisme religieux, travers psychologiques et remise en question d'un système dont la modernité n'est que superficialité.

Le propos de l'auteure est parfois abscons, Joyce Carol Oates se plaisant à égarer son lecteur ou plutôt à lui faire prendre sa propre responsabilité dans l'interprétation de sa lecture. Elle nous livre ici un roman pessimiste qui intrigue tout en créant une certaine gêne.


Challenge PLUMES FÉMININES 2020
Challenge des 50 objets
Challenge ABC 2019/2020
Challenge MULTI-DEFIS 2020
Challenge Joyce Carol OATES
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Fille noire, fille blanche fait partie de ces lectures troublantes. Troublantes car elles s'ingénient à remettre en cause nos idées reçues. Pas de ces idées reçues que l'on considère comme des stéréotypes, mais plutôt de celles que l'on estime évidentes jusqu'à ce qu'on nous montre que comme toutes les vérités, elles peuvent être remises en cause."Certaines vérités sont des mensonges", c'est la phrase toute simple du père de la narratrice qui résume bien la philosophie du livre.

En effet, comment se dire que parfois la bienveillance et l'empathie peuvent être néfastes ? Que vouloir rechercher l'amitié de quelqu'un et faire tous les efforts en ce sens n'aboutit pas forcément ? Que l'on peut être noire et détester les anti-racistes militants ? Ce livre est là pour faire s'affronter deux stéréotypes (la fille de militants des libertés et la fille d'un pasteur noir) qui devraient pouvoir se compléter mais ont tant de mal à s'imbriquer. Elle décrit ainsi en creux deux positions qui, sous un vernis de recherche de solidarité ou d'amour du prochain, sont finalement assez figées et peu susceptible de s'adapter à une manière différente d'appréhender le monde.

Et tout cela est réalisé, grâce notamment à une narration à la première personne, tout en légers coups de pinceaux qui font ressentir cette incompatibilité douloureusement. On ne sait plus qui on doit plaindre des deux jeunes filles, on en vient parfois à être tout à coup énervé par les deux en même temps. Alors que le début de l'oeuvre nous fait pressentir un polar à l'envers avec une victime annoncée, le mystère s'épaissit finalement plus qu'il ne se résout. On assiste également à une belle description des relations parents-enfants complexes de l'adolescence même pour des jeunes filles finalement assez respectueuses des convenances et pas trop en crise. Comment en effet s'opposer à des parents qui prônent pour certains la révolte comme un aboutissement salutaire, pour d'autres l'amour inconditionnel du prochain et la joue tendue à l'agresseur ?

L'auteure parvient à nous faire ressentir la frustration diffuse de ces deux jeunes filles tout en passant un bon moment de littérature. J'avais lu Joyce Carol Oates il y a longtemps, je regrette de n'être pas plus assidu car son style est un cadeau pour qui aime la littérature qui cherche de nouveaux moyens de nous transmettre des émotions.
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L'immense talent de conteuse de l'auteure se retrouve ici, mais j'ai eu quand même une déception , par rapport à d'autres livres d'elle, bien plus marquants.

Comme dans le très intéressant " Je vous emmène", l'histoire se déroule dans une université, milieu que Joyce Carol Oates connaît bien. Cependant, il a été moins prenant pour moi.

Deux jeunes filles de dix-huit ans, fraîchement arrivées dans une université féminine réputée, sont les personnages principaux, voisines de chambre. L'une, blanche, héritière des fondateurs de l'endroit, la narratrice, veut , dès le départ, devenir l'amie de Minette, sa colocataire noire.

Cette dernière est tout, sauf sympathique. Arrogante, indifférente aux autres, elle aime se poser en victime raciale, quitte à fabuler... Et la narratrice, aux parents peu présents, plutôt déjantés, dans le style hippie chic, ne cherche qu'une chose: plaire aux autres, d'où un masque souriant cachant ses angoisses.

Les pensées de chacune, leurs contradictions intérieures, sont parfaitement décrites, comme toujours, mais comme elles sont agaçantes, ces deux filles! Je les ai trouvées peu supportables.

D'autre part, l'évolution vers le drame se fait lentement, il manque du peps à cette histoire. La fin ne m'a pas convaincue, par ailleurs.

Une lecture en demi-teinte, donc, ce qui m'arrive rarement lorsque je lis l'un des nombreux romans de l'auteure....
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Joyce Carol Oates est une auteure américaine prolifique, dont le roman le plus connu en France est sans doute Les chutes, qui a reçu le prix Femina étranger en 2005. C'est donc naturellement que j'avais commencé ma découverte par ce roman l'année passée avant de me plonger dans Fille noire, fille blanche.

Même ressenti que lors de ma première incursion dans son oeuvre : je comprends que certains lecteurs soient des inconditionnels au point que Joyce Carol Oates fasse l'objet d'un challenge spécifique sur Babelio. Elle se démarque par la fluidité de sa narration, l'originalité des scenarii et la complexité de ses personnages féminins.

Genna et Minette, étudiantes de première année, vont partager une chambre sur le campus. Genna est blanche, privilégiée, descendante du fondateur de l'université, fille d'un avocat activiste et d'une ancienne hippie peu aimante. Minette est noire, boursière, chrétienne, fille d'un pasteur et d'une mère qui lui téléphone souvent et lui envoie des colis de gâteaux faits maison.

Cette université est une institution qui a toujours participé à la lutte contre la discrimination, pour preuve, le fondateur était un soutien de l'Underground Railroad. Face aux premiers signes faisant penser à des actes racistes, c'est l'incompréhension, le déni et la recherche de coupables. Une ambiance délétère s'instaure. Joyce Carol Oates va nous emmener loin, très loin sur des chemins tortueux et inattendus dans le sillage de Minette et Genna.

Si vous n'avez encore jamais lu de romans de Joyce Carol Oates, laissez-vous tenter… Si vous participez au challenge solidaire 2022, intéressez-vous à cette auteure. Pour ma part, je sens que je vais poursuivre l'exploration de sa bibliographie !
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« Minette n'a pas eu une mort naturelle, et elle n'a pas eu une mort facile. » (p. 9) Ainsi s'ouvre le récit de Genna Meade qui raconte sa relation avec Minette Swift, sa camarade de chambre en 1974 au Schuyler College. Tout opposait les deux jeunes filles. Genna est blanche, Minette est noire. Genna est riche, Minette est boursière. Genna est timide et effacée, Minette est déterminée et vigoureuse : « Si des branches tombées lui barraient le passage, elle les écartait d'un coup de pied. » (p. 72) Très vite, Genna est fascinée par sa camarade et fait tout pour lui plaire, ne se décourageant jamais devant les rebuffades de Minette. Mais lentement, une amitié délicate et fragile se noue entre les deux jeunes filles et Genna prend le parti de Minette face à toutes les autres étudiantes. « J'étais sa seule alliée à Haven Hall. » (p. 157)

Minette s'attire rapidement l'inimitié de nombreuses pensionnaires de l'établissement, jusqu'au jour où elle retrouve un de ses livres vandalisés. « Une odeur d'air subtilement pollué se mit à flotter dans Haven Hall : suspicion. » (p. 96) Même si la jeune fille est odieuse pour beaucoup, il semble inconcevable que des résidentes de l'université la plus tolérante et la plus cosmopolite d'Amérique puissent faire preuve de racisme, de ségrégation et de violence. « Pour une université très libérale de femmes émancipées, Schuyler était un nid de traditions. » (p. 149) Minette endure les brimades, les moqueries et les insultes. Élevée dans une foi chrétienne très puissante, elle a le sentiment de devoir souffrir pour mériter sa place auprès du Seigneur. En connaissant la première phrase du texte, on sait que tout cela finira mal, mais il nous reste encore à comprendre la véritable histoire de la mort de Minette et à affronter une horreur plus grande que le simple harcèlement racial. « L'obscène : ce que, à l'instant où vous voyez, vous ne pouvez plus pas ne pas avoir vu. Et ce que vous continuerez à voir. Même si l'on vous arrache les yeux. » (p. 167)

Genna, la narratrice, écrit ce texte pour faire justice à Minette, mais également à elle-même et au passé. Pour elle, il est temps de raconter cette histoire sans le voile de la pudeur ou de la peur. Il est étonnant d'entendre Genna parler d'elle à la troisième personne : c'est toujours pour énoncer des faits sans ressenti, mais cela créé une distorsion dans le récit, comme si Genna (Generva de son vrai prénom) oubliait qu'elle était partie prenante de cette histoire. « Ma camarade était vierge, j'en étais sûre. En ce qui concernait Generva, j'en étais moins sûre. » (p. 135)

L'amitié entre Genna la blanche et Minette la noire est à la fois rebelle et désespérée. Genna se dévoue totalement à sa camarade qui se moque bien de cette affection. « Une fille noire qui se fichait à peu près d'être noire, et totalement de l'intérêt que vous lui portiez. » (p. 129) Mais pour Genna, cette amitié est précieuse parce qu'elle lui offre la possibilité de nouer un lien avec une personne extérieure à sa famille. La famille Meade est en crise depuis des années et Genna oscille entre une mère dépressive et un père absent. La jeune fille évolue dans un monde où les relations entre humains avortent ou pourrissent.

J'ai été très touchée par le personnage de Minette : sous ses airs de colosse, elle se débat dans la plus grande solitude. Elle ne refuse pas l'amitié de Genna par pure affectation et elle souffre d'une grande solitude dans ses tourments. Quant à Genna, si j'ai apprécié sa confession honnête, j'ai détesté sa couardise et ses trahisons. Après Délicieuses pourritures où elle peignait déjà le monde universitaire avec des couleurs sombres et perverses, Joyce Carol Oates offre un nouveau tableau très sombre du monde étudiant. Finalement, la couleur de peau de Minette est un prétexte : que la jeune fille soit noire importe peu, ce qui compte, c'est que son caractère est incompatible avec le reste du monde. Dans ce roman, la violence est moins fulgurante que dans les textes très courts de l'auteure, mais elle sinue entre les pages. Tous les évènements sont des coups de griffe et des douleurs sourdes qui s'ajoutent. Joyce Carol Oates s'y entend pour écrire des romans noirs et brutaux. Et c'est toujours un plaisir trouble que d'apprécier ces pages sordides.
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