Genre: Dystopie sirupeuse
J'ose une petite critique discordante, une petite fausse note au milieu d'un concert, que dis-je, d'une symphonie de louanges jouée par les maestro (maestri ?) de Babelio.
Quelques réflexions liminaires :
-Je n'ai pas adoré les deux livres précédents de
Celeste Ng, et, en y repensant, pour les mêmes raisons. Je les trouve très emballants au début, puis enthousiasmants, puis redondants, patinant vers une mièvrerie doucement opaque.
-Je suis épaté par le travail de
Julie Sibony, la traductrice, qui a du avoir du fil à retordre dans le choix de tout franciser,
poèmes et étymologies compris.
-Un livre faisant l'apologie des bibliothèques avec la bibliothécaire comme figure de la Résistance et la poésie pour Arme fatale est d'emblée un ultra-générateur de sympathie. J'avoue avoir trouvé cela un peu caricatural même si l'idée est généreuse et sans doute plus pédagogique que démagogique.
-J'adore les dystopies. Mais ,de l'aveux même de l'auteur, il s'agirait d'une « presque-dystopie » légèrement inspirée de la Servante Écarlate. Et de 1984, de Farenheit 451, de Minority Report, des Monades Urbaines etc.
Beaucoup de sources d'inspiration donc…
-L'enlèvement d'enfants pour les faire adopter ou les confier à des institutions est désormais heureusement bien connu : assimilation forcée des peuples autochtones, séparation des familles de migrants, lebensborn, persécution des familles d'origine japonaise et plus récemment paranoïa anti-asiatique s'accélérant depuis le Covid. Je crois que
Celeste Ng a voulu en faire une sorte de parabole dans le contexte politico-social des Etats-Unis d'aujourd'hui. C'est parfaitement louable mais je n'ai pas adhéré au tricotage (au sens propre du terme, à un certain moment du livre) du militantisme et de la poésie. C'est une merveilleuse idée mais j'ai trouvé la partition trop « soft », presque évanescente.
Bird, 12 ans, re-prénommé Noah, vit seul avec son père dans un univers ritualisé, où, à tout moment et à chaque instant on doit ré-affirmer son adhésion au PACT (Preserving American Culture and Traditions Art). Surtout si on est d'origine asiatique. C'est le cas de Bird. Son père pousse des chariots de livres à la bibliothèque universitaire de Cambridge ( Massachusetts) après avoir été prof de linguistique. La mère de Bird/Noah l'a abandonné il y a 3 ans. Il s'agit de Margaret Miu, la célèbre poétesse aujourd'hui vouée aux gémonies.
Bird va rencontrer Sadie, une adolescente rebelle, placée plusieurs fois et qui va disparaitre à son tour.
Grace à une histoire de chats japonais, d'une sorte de jeux de piste littéraire et poétique, Bird décide de retrouver sa mère . Il sera aidé par le fameux réseau secret des bibliothèques ( on pense à The Underground Railroad ).
J'ai donc été vite très emballé par l'histoire portée par sa belle combinaison de rudesse et de tendresse, de prose rude et de poésie léchée.
Un chapitre m'a beaucoup ému, celui où on découvre l'origine du vers « Nos coeurs disparus ». J'ai bien aimé un passage où il est question de tricotage d'arbres. Et puis j'ai trouvé la suite un peu gnan-gnan jusqu'à une digression épatante sur la poétesse
Anna Akhmatova.
Et je me suis alors dit qu'il manquait vraiment un souffle épique pour soutenir l'idée que la poésie soit une source majeure de résistance à tout pouvoir. On apprenait par coeur les vers d'
Akhmatova puis on les détruisait !!!
Celeste Ng essaie de nous faire croire que Margaret Miu ( poétesse fictive, rappelons-le) est de la même trempe. Ça n'a pas fonctionné pour moi malgré un bouquet final original à défaut d'être émouvant.
La poésie, j'en suis convaincu, peut changer notre vision du monde, et pour cela la force de sa transmission doit être puissante, bouleversante !
Car elle meurt doucement, irrémédiablement.