Je lis
Corinne Morel Darleux comme j'écouterais une bonne copine, toujours heureux de la revoir, quatre ans après
Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce. Elle parle de tout et de rien. Elle me raconte ses voyages, ses combats, ses inquiétudes écologiques.
En Inde, elle a gagné un lieu où se retirer en silence, qui n'appartient et ne dépend que de soi, où il est possible de rêver plus loin. Ce retrait est couplé à des rencontres avec des mouvements paysans et des collectifs de villageoises autogérés. L'auteure mélange les genres, chemine au cours d'une déambulation littéraire, politique et géographique. Sa valise est remplie de livres qu'elle cite abondamment, toujours en écho de ce qu'elle voit et ressent.
Celle qui fut une élue régionale, toujours essayiste et romancière (elle tient aussi rubrique dans le magazine belge Imagine), s'efforce de poser un regard nuancé sur les êtres et les choses, forgé depuis une retraite habitée, recul nécessaire à l'écart du monde frénétique. L'Inde offre cet écrin mais nul besoin de partir loin pour se sentir ailleurs, aux confins de la réalité. Ce qui compte, c'est d'être bougé.
Seule au sein du pays le plus peuplé du monde, la penseuse active découvre peut-être notre futur, si nous continuons à saccager les écosystèmes. le sud sera probablement le mieux capable d'encaisser le réchauffement climatique puisqu'il en éprouve déjà les effets et s'adapte. Les villages ruraux préfigurent notre avenir, où l'on vit de ce que l'on cultive et se contente de l'essentiel.
Il est urgent d'envisager le postcapitalisme, dit-elle. Plus on attend, plus ce sera compliqué. le propos innove ensuite dans trente dernières pages très politiques, destinées à faire progresser le discernement.
« Nuance, empathie, honnêteté et lucidité restent à mon sens les seules conditions. Avec ces munitions en bandoulière, on doit pouvoir écrire dignement sur tous les sujets et dans toutes les conditions. »
L'essayiste insiste sur la nécessite de changer de perspective, sans attendre les consignes ni que les conditions soient réunies. le dire, c'est le faire, -idéalement au sein d'actions collectives.
Planter un arbre fruitier, tracer une bande de ralentissement devant une école, retirer la pompe d'une mégabassine. Chaque femme, chaque homme, peut initier le changement, ici et maintenant.
Corinne Morel Darleux montre une pessimisme lucide, pas désespéré.Elle trouve dans le roman, la fiction, l'échappée nécessaire vers l'imaginaire, source de beauté et de répit. L'écriture permet de se reconnecter légèrement à l'inconscient. Elle en parle en exergue, confirmant le caractère atypique de ces écrits hybrides, reflet d'un esprit vagabond, propice à l'innovation. Sa plume est belle, sa parole juste, son propos mesuré.
À elle de conclure :
« Mais même quand le monde semble ruiné, il reste de la beauté à préserver, des combats à mener et des horizons à construire. »
Ainsi soit-elle !
P.S. Des citations nombreuses complètent cette notice.