Un homme parti en train de Madrid vers Málaga descend en gare de Cordoue, repart pour la station précédente de Pozzonegro, en autocar cette fois, car il veut y arriver vite et ne peut se permettre d'attendre le train du lendemain. Arrivé dans le village, il appelle aussitôt le numéro indiqué sur le panneau de vente d'un appartement situé près de la voie ferrée pour l'acheter comptant. Or Pozzonegro, un ancien centre minier à l'agonie, en dehors du supermarché de la chaîne Goliat à l'entrée du village et la station-service qui se trouve à côté est « déprimant, sombre, indéfini, sale, en demande urgente d'une couche de peinture et d'espoir ».
Qu'est-ce qui peut pousser cet homme qui pourrait être séduisant mais dont on dirait qu'il n'est pas parvenu à un accord avec la vie, un accord avec lui-même, à descendre du train à l'improviste et à se cacher dans ce patelin qui pourrait être le plus laid du pays ? Que ou qui fuit-il ?
Nous apprendrons que cet homme se prénomme Pablo Hernando, est un architecte renommé, et qui, s'il pouvait, formaterait sa mémoire et recommencerait à zéro.
Il pense pouvoir se couper du monde et se terrer dans cette petite localité au passé minier, cet appartement devenu sa tanière. Mais ses quatre associés inquiets préviennent la police ; celle-ci le localisera bien vite étant donné qu'elle le surveille depuis l'évasion de prison d'un certain Marcos Soto, l'inspecteur en chef demandant d'ailleurs à son second, « s'il ne trouve pas cela bizarre que ce dénommé Pablo Hernando soit parti vivre tout à coup, à… à… dans ce patelin de merde, en laissant tout, peu après que Marcos s'est enfui ».
Mais qui est donc ce Marcos, quel lien a-t-il avec Pablo, quels secrets porte-t-il ?
Obligé de sortir pour faire quelques provisions, Pablo va alors croiser sa voisine d'immeuble, Raluca, une jeune femme énergique, généreuse, un peu cabossée par la vie mais tellement solaire.
C'est elle qui va le prendre sous son aile et le ramener peu à peu à la vie, bien que ce ne soit pas gagné d'avance.
Cet homme dont le chagrin est immense n'hésite pas à s'inventer des vies pour donner le change, pour fuir ses responsabilités. Peur, culpabilité et honte lui deviennent insupportables. Mais Raluca par sa simplicité, sa spontanéité réussit à lever les doutes et les hésitations qui l'obsèdent.
J'ai particulièrement apprécié comment, à chaque fois que Pablo est saisi par la panique, il réussit, en se souvenant de notions de survie, de conseils pittoresques qui peuvent sauver des catastrophes, à affronter le danger.
J'ai trouvé également très intéressante la description des différents styles d'architecture que Pablo réalise et d'apprendre que
Rosa Montero a emprunté ces éléments à différents architectes qu'elle cite en fin d'ouvrage.
Un peu d'humour se mêle à la gravité du propos lorsque Pablo qui se désespère de ne pouvoir aimer, se sentant incapable de reconnaître l'alphabet amoureux, persuadé qu'il faut apprendre à aimer dans l'enfance comme on apprend à marcher ou à parler. « En résumé : Pablo ne sait pas le tagalog. Et il ne se croit pas capable de pouvoir l'apprendre ». le tagalog étant une variété linguistique du rameau des langues philippines dans laquelle se trouve « une débauche de g » !
Un des signes de sa transformation et de son retour à la vie est manifeste lorsqu'il découvre au milieu de vieux livres anciens un manuel de tagalog pour débutants et qu'il se décide à en apprendre un peu à ses heures perdues !
L'auteure sait magnifiquement restituer l'ambiance sombre de cette ville, aujourd'hui désertée et agonisante, les infrastructures abandonnées, où tentent de s'accrocher encore, et de survivre, quelques familles, dans des maisons miteuses ou des blocs d'appartements de quatre ou cinq étages misérables, avec en toile de fond, ces trains qui grondent la nuit, véritables ouragans métalliques. C'est également le monde du travail et les grands magasins sans oublier cette chaleur écrasante que l'auteure peint avec brio.
C'est au coeur de ce décor que des sentiments aussi divers que contradictoires vont se révéler. La gentillesse côtoie la méchanceté, comme la bonté, la méchanceté, ou encore l'amour, la haine ; un roman qui parle du Bien et du Mal, qui montre qu'un homme à terre peut retrouver le goût de vivre un roman où l'amour et l'espoir sortent vainqueurs !
La bonne chance, de
Rosa Montero est à la fois une sorte de fable, un thriller psychologique avec un suspense maintenu jusqu'au bout, un roman social, un splendide roman d'amour et surtout une ode à la vie. Elle nous rappelle que la vie peut être belle, pas complètement belle, certes, mais c'est la Vie, et avant tout un cadeau !
La bonne chance était le premier roman que je lisais de
Rosa Montero. J'ai été conquise et subjuguée par l'écriture de cette auteure. Une belle découverte, et ce, grâce à ma médiathèque attitrée qui a proposé cet ouvrage pour le Prix des lecteurs des 2 Rives 2022 qu'elle organise chaque année.
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