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3,6

sur 430 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
"J'avais eu une drôle d'enfance..."
Je n'ai que dix-neuf ans. Je suis assise sur le quai de la station Châtelet et je regarde le flux et reflux des voyageurs du métro. Je m'y perds, tous ces gens savent-ils dans quelle direction leurs pas les portent ? Moi j'hésite. Et parfois je me perds, attendant un signe, une lumière verte ou un mot gentil. Mais voilà un manteau jaune qui dénote dans cette marée humaine en mouvement. Ce manteau fait remonter des souvenirs qui jusqu'à présent étaient contenus dans la boîte en fer blanc, celle des biscuits ou du sucre. Moi j'y ai mis deux photos, des morceaux de papiers annotés d'une grande écriture et un carnet d'adresses ; tout _et le peu_qu'avait laissé derrière elle ma mère, avant de partir. "Ce jour de juillet où ma mère m'avait accompagnée à la gare d'Austerlitz et m'avait accroché au cou l'étiquette : Thérèse Cardères, chez Mme Chatillon, chemin du Bréau, à Fossombronne-la-Forêt, j'avais compris qu'il valait mieux oublier la Petite Bijou."
"Il y a une chose que je ne comprends pas. Pourquoi votre mère vous a laissée pour partir au Maroc ? Comme c'était drôle d'entendre quelqu'un vous posez les questions que vous étiez seule jusqu'à présent à vous poser à vous-même..." Et me revoilà, douze années plus tard avec toujours autant d'interrogations, même si je sais maintenant que "certains mots se gravent dans la mémoire des enfants et, s'ils ne les comprennent pas sur le moment, ils les comprendront vingt ans plus tard."
Le manteau jaune...
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Un livre bouleversant, parce qu'il m'est arrivé une de ces choses qui arrive parfois quand on lit des romans: une totale identification au personnage dont les émotions collaient parfaitement avec les miennes à l'époque où je l'ai lu. L'errance de cette fille, décrite avec une telle sensibilité, comme toutes les errances des personnages de Modiano, m'a laissée en larmes à la dernière page. L'écriture de Modiano est pour moi un mystère de fluidité et de vérité: Cela tient de la magie, on ne comprend pas comment le texte peut couler comme du miel et révéler en même temps avec une précision tranchante les sentiments les plus complexes à définir pour tout homme.
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Comme dans la chanson de Ferrat, la petite bijou, même si on ne l'appelle plus comme ça, ne s'est jamais guérie de son enfance.
Fidèle à son obsession des traces que laisse le passé au fil du temps, Modiano nous entraine dans le sillage d'un manteau jaune aperçu dans la foule, sur le tapis roulant d'un couloir sans fin de la station châtelet.
Dans le métro alors, il y avait des portillons automatiques et des poinçonneurs, comme celui des Lilas, en sortant, une cabine téléphonique, jamais bien loin, de la publicité sur les murs avec un diable soufflant du feu et un café tout près, avec le nom écrit en arc de cercle sur la porte, et des tables au fond, pour boire un kir, comme en cachette. Celle qu'on appelait la petite bijou, regarde dans le café la femme au manteau jaune qui boit son kir, elle va raconter à la première personne, la photo dans la boite à biscuits en métal et le visage de celle qu'elle pensait morte au Maroc et qu'elle croit retrouver devant elle dans ce café. Il y a bien sûr les souvenirs qui reviennent prendre leur place dans un puzzle jamais fini : le portrait de sa mère peint par Tola Soungourov, les histoires lues dans ce temps d'avant, la dernière carte postale reçue…
Le roman toutefois est loin d'une chronique des souvenirs perdus. C'est l'histoire d'une errance, dans laquelle le hasard n'est jamais fortuit. Au contraire, Thérèse, la petite bijou, inscrit ses pas dans ceux de sa mère. Tout d'abord consciemment dans une filature du manteau qui va durer plusieurs semaines, sans qu'elle trouve la force d'aller au bout de sa démarche. Puis dans une série de coïncidences, par lesquelles le passé s'introduit par effraction pour mieux éclater comme une bulle de savon, avec la légèreté de l'air.
Il y a le 11 rue Coustou où elle habite, ancien hôtel où habitait sa mère, il y ce Moreau Badmaev, poète polyglotte qui parle le persan des prairies pour faire rêver, il y a surtout cet appartement du Bois de Boulogne où elle va tous les jours garder une petite fille chez des gens riches et comme absents d'eux-mêmes. Elle se retrouve dans cette petite fille livrée à elle-même, et revit son propre abandon dans leur départ mystérieux, sans trace, sans signe, comme le chien perdu sans retour, de son enfance.
Cette errance n'est pas sans espoir, elle s'accroche à des bouées, la pharmacienne en est une et finalement, un peu grâce à elle, au bout du désespoir, les signes d'une vie nouvelle, prennent forme malgré tout.
La lecture de « la petite bijou » laisse un goût doux amer. Toutefois, au-delà de la tristesse qui se dégage du récit, il réussit à porter, une forme de résilience poétique et obstinée qui emporte l'adhésion du lecteur.
Je me suis laissée emporter avec bonheur.
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Nous sommes en 1967. La dame dans la cinquantaine porte un manteau jaune quand elle passe à la station Châtelet et que vous, Thérèse Cardères, que l'on appelait quand vous aviez sept ans la Petite Bijou, l'apercevez, dans la foule. Jaune, mais la couleur comme fanée. Vous la suivez, c'est si facile de suivre quelqu'un dans le métro à Paris, dans la foule. Car il s'agit peut-être de votre mère, que vous croyiez morte. Il n'y a pas si longtemps, une douzaine d'années peut-être, bref : toute une vie.

Elle habite, près de Vincennes, une banlieue pauvre et triste, s'arrête au café le temps d'un kir, on la surnomme Trompe-la-mort, autrefois on la surnommait la Boche ; quelle ironie pour vous qui la croyiez morte au Maroc. Il y a si longtemps, une douzaine d'années peut-être. Il est loin le temps du Bois de Boulogne de votre enfance, le grand appartement vide de la rue de Malakoff et puis le petit chien, un caniche noir, qui s'y est perdu quand elle l'a promené.

« Un chien. Un caniche noir. Dès le début, il a dormi dans ma chambre. Ma mère ne s'occupait jamais de lui, et d'ailleurs, quand j'y pense aujourd'hui, elle aurait été incapable de s'occuper d'un chien, pas plus que d'un enfant. [...] Dans ma chambre j'avais peur d'éteindre la lumière. J'avais perdu l'habitude d'être seule, la nuit, depuis que ce chien dormait avec moi. [...] Ce jour-là, ma mère est allée à une soirée et je me souviens encore de la robe qu'elle portait avant de partir. Une robe bleue avec un voile. Cette robe est longtemps revenue dans mes cauchemars et toujours un squelette la portait. [...] J'ai laissé la lumière toute la nuit et les autres nuits. La peur ne m'a plus quittée. Je me disais qu'après le chien viendrait mon tour. »

En 1967, seule à Paris, à presque vingt ans, vivant de petits travaux à mi-temps, vous voici confrontée à un passé dérobé, que vous pensiez enterré au Maroc.

Dérobé, ce passé ? Alors que vous vivez dans le même hôtel, près de la place Blanche où votre mère a vécu un temps, avant d'être connue sous le nom de comtesse Sonia O'Dauyé, elle qui s'appelait Sonia ou Suzanne Cardères, et maintenant Mme Boré. Cet hôtel se trouve d'ailleurs dans la même rue qu'un club de nuit, le Néant, où elle aurait dansé, votre mère, dans une revue obscure, avant de disparaître ?

D'autres personnages évanescents, les Valadier, Véra et Michel et leur petite fille -- oui, une petite fille en dissimule une autre, toujours le passé qui revient comme si... --, la grande maison vide au 70 du boulevard Maurice-Barrès, qui longe le Bois de Boulogne.

Dans le Paris de votre dépression, un regard se pose sur vous ; sans rien vous demander en retour, quelqu'un vous aide, vous écoute, s'inquiète de votre santé et met sa main douce sur votre front pour que vous dormiez, là ,sur votre lit, du côté de l'ombre. Pourtant, ces médicaments qu'on vous a procurés vous les avalez un soir, vous la Petite Bijou, pour vous défaire de ce passé obsédant et toujours élusif, mais vous vous réveillerez néanmoins, parce que, tout compte fait, le caniche noir ne s'est sans doute pas perdu.

Il y a les lieux chez Modiano : un Paris sans couleur sur quoi tranche le jaune d'un manteau usé ; mais il aussi le temps, le détail d'une époque : les biscuits Lefèvre-Utile, les annuaires du téléphone, le pneumatique, le métro, le Réseau.

Un voyage dans le temps ; celui d'une jeunesse -- la mienne, qui sait ? rappelez-vous gens d'ici et de cet âge l'Exposition universelle de 1967 : une jeunesse perdue ? Peut-être, mais c'est une autre histoire....
Lien : http://les-cendres-et-le-plu..
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La construction du livre est passionnante, opérant un aller-retour entre quelques lieux et quelques époques, dédoublant ce qu'a vécu la narratrice à travers une brève expérience de nounou. La narratrice a d'ailleurs une troisième incarnation dans le caniche de son enfance, lui aussi dédaigné et quitté sans recours.

Deux personnages lumineux, celui du traducteur et de la pharmacienne, traversent la vie embrumée de Thérèse Cardères et amènent pour elle un dénouement qui fait passer en quelque sorte au second plan sa quête initiale.

En écrivant à la première personne et au féminin, Modiano garde son ton, ses préoccupations coutumières mais leur confère une tonalité légèrement différente.

Un très beau roman, qui derrière le flou habituel modianesque laisse des sentiments bien précis au lecteur.
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On dit que Patrick Modiano écrit toujours la même chose. Je ne crois pas mais si c'est vrai c'est tant mieux parce que c'est excellent.
Modiano a une façon de lier le passé aux lieux, l'histoire à la géographie, qui lui est propre. Je l'imagine en train de feuilleter de vieux annuaires, des bottins, outils indispensables à la construction de son oeuvre.

Dans ce roman paru en 2001, la narratrice est une jeune fille qui se prénomme Thérèse mais lorsqu'elle était petit sa mère l'appelait "La petite bijou". Elle est née de père inconnu. Sa mère se prenait pour une comtesse. Pourtant elle était affublée d'un surnom la Boche qui augure d'une période trouble durant l'occupation.
Thérèse est seule comme abandonnée et une chape de mystères couvre toute son enfance. Alors lorsqu'elle croise à la station Châtelet dans le métro à Paris une femme au manteau jaune qui ressemble à sa mère, elle va la suivre. Son trouble est d'autant plus grand qu'elle croyait que sa mère était morte au Maroc il y a plusieurs années.
Elle ira jusqu'à Vincennes et osera interroger la gardienne de l'immeuble pour savoir dans quel logement elle habite. Mais la rencontrer lui semble insurmontable. Alors elle tente de se souvenir de son enfance solitaire comme celle de la petite fille qu'elle garde pour travailler.
Sa mémoire ne lui renvoie que des bribes de souvenirs, des sentiments de malaise ou de mal-être ponctués par des rencontres comme celle de la pharmacienne et le rythme, l'ambiance de Paris, du métro, du bois de Boulogne, de Vincennes ou encore de la place Blanche.
Une atmosphère légèrement anxiogène s'installe alors que Thérèse cherche un point fixe pour que sa vie cesse d'être un flottement perpétuel. du Modiano quoi.


Challenge Nobel illimité
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Elle fut un temps ”la petite bijou”, c'était quand elle joua un tout petit rôle dans un film où sa mère, poussée par un ami, avait fait actrice. ”Bijou” parce que maman avait soudain besoin d'un petit chien à ses côtés. Cela ne dura pas, les grimaces agacées et les colères reprirent, la petite ne reçut jamais d'amour, pas plus qu'elle ne connut un père.

On suit plus tard Thérèse seule dans Paris, mal logée, en mal de tendresse et de reconnaissance, avec au ventre la peur de tout, en quête de la moindre lueur apaisante : lumière verte d'enseigne de pharmacie, la lampe verte du poste de radio du polyglotte Moreau-Badmaev, les yeux verts d'une pharmacienne empathique. Un jour dans le métro, elle aperçoit sa mère dans un manteau jaune usé. le roman se lit vite, cent-cinquante pages, la gorge se noue parfois.

Jérôme Garcin (L'Obs, avril 2001) est élogieux à propos du roman de la jeune femme à l'abandon, dans lequel Modiano "prend le temps de regarder, d'écouter et d'accompagner avec une infinie délicatesse". le journaliste et écrivain écrit que "Jamais Patrick Modiano n'a mieux exprimé que dans ce roman somnambulique la quintessence de son art". J'ai tendance à rejoindre cet éloge.
Lien : https://christianwery.blogsp..
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Dès les premières pages, Patrick Modiano nous transporte dans le Paris qu'il connaît si bien. Nous sommes passagers dans le métro de la ligne 1 vers le Chateau de Vincennes !

Et la poésie associée au mystère de cette femme au manteau jaune nous accroche jusqu'à la dernière page.

Livre sombre, avec des éclairs d'espérance.

Un moment de grande littérature
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"La Petite Bijou" ainsi l'appelait sa mère qu'elle croit reconnaître dans le métro alors qu'elle la pensait morte depuis longtemps.
On retrouve les thèmes favoris de Patrick Modiano : les souvenirs hantés de l'enfance, l'abandon et la peur qui l'accompagne.
C'est l'histoire de l'errance de cette jeune femme dans Paris, toile de fond d'une quête de soi, l'évocation de son enfance meurtrie et sa soif de rencontrer celui où celle qui pourra enfin la voir et la faire exister, elle que sa mère n'a pas aimée.
Je l'avais lu il y a longtemps, et j'ai eu envie de retrouver ce récit à la fois si simple et si riche qui m'avait tant marqué.
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Quel livre grave et profond, et triste et effrayant... un Modiano très sombre avec un narrateur féminin... entre parents mal aimants voire mal traitants, mère abandonnique morte mais peut être pas, chien abandonné, angoisses dans un Paris hostile.... passionnant
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