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sur 466 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Modiano nous emmène cette fois dans la vallée de Chevreuse, sur les traces de ses souvenirs d'enfance. Trente ans après les faits racontés dans le livre, il avait alors dix-neuf ou vingt ans (1964 ou 65), il tombe sur une carte d'état major de la vallée de Chevreuse et s'aperçoit que les distances indiquées sont beaucoup plus petites que dans ses souvenirs. C'est l'occasion de se rappeler les évènement de ces quelques mois durant lesquels il fréquentait Camille dite Tête de mort, surnom choisi pour son humour noir et certains de ses amis.

On retrouve Modiano en pleine forme, qu'on adore ou qu'on déteste, et j'appartiens bien sûr au premier groupe, sans quoi je ne me serais pas précipitée sur son nouveau livre. Sous le nom de Jean Bosmans (Jean est son vrai premier prénom), il nous emmène dans son univers magique et flou. Jean accompagne Camille et Martine Hayward, une de ses amies dans la vallée de Chevreuse pour visiter une maison que Martine a loué car son mari qui tenait une auberge désaffectée a disparu. La maison s'avère être celle où Jean vivait tout petit, quinze ans auparavant. Il n'ose pas y rentrer et attend dans la rue, la propriétaire est toujours la même, une certaine Rose Marie Krawell, avec qui il habitait à l'époque. Camille fréquente des amis louches, des sortes de mafieux qui se rencontrent la nuit dans un appartement d'Auteuil qui appartient à la même personne, Jean y va quelquefois. La journée, ce logement est tout différent, il n'y a que Kim, la baby sitter du fils de René-Marco et le petit garçon, Kim met Jean en garde contre les visiteurs nocturnes qui ne sont pas des gens bien. le jeune homme finit par comprendre que ces individus le connaissent depuis son enfance et ne comprend pas ce qu'ils lui veulent. Durant l'été, se sentant menacé, il fuit Paris et se rend sur la Côte d'Azur pour écrire un roman sur cette histoire, après quoi il ne revoit plus aucun de ces personnages, mais il connaît le secret de René-Marco, il sait où est caché son trésor, mais ce dernier ne vaut plus rien aujourd'hui.

On retrouve dans ce livre tout ce qui fait la magie de l'univers de Modiano, comme dans la plupart de ses livres, des gens peu recommandables qu'il fréquente dans sa jeunesse, la fameuse ligne téléphonique désaffectée (qui change de numéro à chaque fois mais permet toujours d'entendre des voix du passé, datant de la deuxième guerre mondiale), cette fois le numéro est Auteuil 28-15, mais Kim lui conseille de préférer le numéro actuel car l'ancien donne aussi accès à des personnes qu'il faut éviter. La guerre est très peu évoquée dans ce roman, même si on comprend que les mafieux sont d'anciens trafiquants du marché noir.

La solitude du petit Jean, gardés par des personnes pas très nettes et l'absence totale de ses parents m'ont frappée, il semble complètement abandonné à lui-même. Il se met en quête de sa mémoire, mais ses souvenirs le fuient. Camille et se amis semblent en savoir plus que Jean sur sa propre histoire, ils mettent en scène le décor pour le réveiller.

L'écriture est précise, fluide et magnifique. L'auteur sait évoquer les lieux à demi-mots et nous entraîner dans son songe. Au début il se demande jusqu'à quel point on peut rêver sa vie, et on peut tous se poser cette question. Au fil des livres, une terre émerge des brumes, comme s'ils se passaient dans un Paris parallèle et mythique, qui ne change pas, loin de l'agitation de la ville réelle. J'aime passionnément ces chemins de traverse, je me sens chez moi dans cet univers onirique et flou, j'ai envie de visiter l'auberge en ruine dans la forêt, d'entendre les voix sur la ligne téléphonique d'autrefois. La magie opère à chaque roman, même si Modiano reprend les mêmes éléments arrangés autrement et qui complètent peu à peu la carte de ce pays perdu qu'il recherche si obstinément dans son oeuvre.

Je pense que je suis tombée amoureuse de ses livres car Paris évoque aussi de vieux souvenirs. Mon grand-père emmenait chacun de ses petits-enfants une semaine à Paris pour notre quinzième anniversaire (en 78 pour moi), il était amoureux de cette ville et nous la faisait visiter avec passion. Ce premier contact était très touristique bien sûr, on visitait tous les monuments incontournables, la Seine en bateau-mouche etc. Plus tard quand j'ai gagné ma vie, je suis aussi tombée amoureuse de cette ville, j'y allais trois ou quatre fois par an, j'aime particulièrement certains quartiers. Je n'y suis plus allée depuis dix ans et je ne suis pas sûre d'y retourner un jour, mais je garde une nostalgie pour cet endroit. Les romans de Modiano contribuent à la nourrir je pense. Chevreuse est un nouveau coup de coeur, qui enchantera les admirateurs complètera ma carte du « Pays perdu » qui existe quelque part au fond de mon coeur.

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Jean Bosmans, le personnage de ce roman fréquente une jeune femme surnommée Tête de mort. Elle l'entraîne souvent dans un appartement à Auteuil fréquenté par des personnes peu recommandables qui finissent par s'entremêler la nuit venue, sur les canapés. Ils se déplacent beaucoup l'un et l'autre, surtout dans Paris. Un jour, il accompagne Tête de mort et Martine dans la vallée de la Chevreuse car cette dernière doit visiter une maison. C'est la maison d'enfance de Jean. Les émotions remontent et il ne pourra entrer, attendant les deux femmes sur le trottoir d'en face. Les souvenirs affluent, d'abord confus, puis se précisent au fur et à mesure des présentations de certaines personnes connues de Camille Tête de mort et déjà présentes dans l'enfance de Jean. Est-ce de la manipulation ? Que lui veulent ces gens ? À deux reprises dans sa vie, ces souvenirs reviennent.

C'est mon premier Modiano et j'ai adoré pour plusieurs raisons. L'écriture fluide, magnifique et maîtrisée, donne le ton de l'ambiance un peu glauque et mystérieuse. Les balades dans Paris et la vallée de la Chevreuse, terrain familier de mon enfance, étaient un plaisir nostalgique. L'auteur joue avec la réalité des souvenirs d'un enfant devenu adulte. le temps, la distance, la chronologie d'un fait peuvent être trompeurs et distendus. C'est un labyrinthe où le personnage et le lecteur reviennent toujours au point de départ.

Se perdre dans sa propre histoire, dans son enfance et l'écrire c'est du grand art, non ?
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« Toute enfance est une patrie perdue » disait l'historien Jacques Frémeaux, « On est de son enfance comme on est d'un pays.» écrit Patrick Modiano à la page 87 de Chevreuse, son ouvrage le plus abouti et celui qui fait remonter mieux que ses autres romans le lecteur à sa propre nostalgie et à ses propres regrets.
Jean Bosmans est un écrivain en herbe, un jeune homme sans statut amené à côtoyer un groupe de gens établis dans cette société des années 1960 où tout semble possible dans l'euphorie encore vivace de l'après guerre.
Flou des règles sociales, absence de contrôles, rusticité des moyens de communication, lenteur des transports, facilité de relation entre les personnes, ambiguïté des relations homme femme, fausse sympathie d'une mixité géographique réelle dans les villes, espaces économiques et sociaux non délimités.
Modiano, comme le vieux camarade de classe que l'on rencontre vingt ans après et auprès duquel on surjoue les retrouvailles, et l'usage du tu te souviens, interprète cette partition avec bonheur, en se livrant sans pudeur, sachant qu'à la fin de l'histoire il partira et qu'on ne le reverra plus avant vingt ou trente autres nouvelles années...
Hésitations de l'adulte encore adolescent sur son avenir, méfiance vis à vis d'adultes qui savent, fuites éperdues vers un avenir qui le ramène au passé.
En effleurant à peine la toile, Modiano y dépose des touches de souvenirs et nous livre une aquarelle délavée dans laquelle, comme un myope clignant des yeux, le lecteur retrouve ses propres souvenirs et ses propres regrets.
La mort est présente dans le roman, elle marque la différence entre ceux qui restent que l'on n'a pas envie de revoir et ceux qui sont partis que l'on aurait aimé rencontrer à nouveau.
Les noms des personnages et des lieux ajoutent au réalisme parfois insaisissable de l'histoire, Michel de Gama, Camille Lucas dite « Tête de mort», Guy Vincent, Martine et Philippe Hayward, René-Marco Hériford, Rose-Marie Krawell, Docteur Robbes, l'hôtel Chatham, l'auberge du Moulin-de-Vert-Coeur, la centrale de Poissy, et Paris, la rue Caulaincourt, la gare Saint-Lazare, l'avenue Reille, la Tombe-Issoire, le parc Montsouris...
Un théâtre d'ombres que l'auteur compare aux mises en scènes du Musée Grévin proposant une fausse réalité tellement visible qu'elle en devient gênante.
Modiano conclut en nous donnant sa définition de la vie :
«Un avion glissait en silence dans le bleu du ciel et laissait derrière lui une traînée blanche, mais on ne savait pas s'il était perdu, s'il venait du passé ou bien s'il y retournait.»
Que dire de plus ?
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Un seul livre de P. Modiano donne l'illusion d'un condensé de tous les autres. Style, atmosphère et personnages atypiques propre à L ADN modianesque se retrouvent dans « Chevreuse » qui commence en automne sur l'air d'un refrain oublié et adopte la tournure d'une enquête où rien n'est forcément tiré au clair ! Ici comme souvent un écrivain narrateur, prénommé Jean une fois de plus, fait retour sur lui-même. Mais « Chevreuse » rend compte d'un supplément d'épure dans l'ensemble plus vaste d'une oeuvre fictive et mémorielle placée sous le signe du "fugitif" à contre courant et témoin de tous les âges et toutes les mémoires éparses ou fragmentaires de leur auteur depuis la parution de sa « vénéneuse » trilogie de l'Occupation (entre 1968 et 1972). Une oeuvre où Modiano se dédouble souvent questionnant sa mémoire gigogne et sa position d'écrivain en fouillant la forme lacunaire de la grande nébuleuse de l'oubli à travers des « êtres qui n'ont jamais eu d'assise au cours de leur vie, ni d'état-civil très précis » (« Livret de famille », p. 204) auxquels il donne une identité romanesque et avec lesquels, le temps passant, il semble avoir tissé un réseau d'indéfectibles liens. C'est particulièrement sensible dans « Chevreuse » où, parmi les personnages fantômes dignes de sa galaxie, trois individus aux faux airs de « déjà vus » et quelques femmes aux noms d'entraîneuses de cabaret ou de vedettes de seconde zone font face à cet écrivain narrateur vieillissant sur les traces de son passé (Jean Bosmans) et le troublent tant qu'il se persuade d'être poursuivi par eux depuis l'enfance. « Chevreuse » ordonne mieux que les autres romans le passage et « l'odeur du temps » (p. 17) qui ne ne s'y sont jamais mieux accordés avec la thématique récurrente de « L'Eternel retour du même » chère à l'auteur.

L'écrivain n'a jamais mieux fait vibrer les notations saisonnières qui parcourent tous ses livres, mieux surpris d'impalpables instants (comme par exemple, après des années d'absence, la permanence d'un rayon de soleil sur un mur, p. 91) ou mieux posé les objets de sa mémoire fuyante : calepins, boussole, jetons de téléphone ou montres-bracelets. le livre a l'enveloppe poétique commune aux autres et les contours d'un paysage mental d'une splendide vallée boisée du sud de l'ile-de-France capable d'abriter les souvenirs floutés d'une parcelle d'enfance et d'adolescence déjà évoquées par Modiano dans plusieurs livres précédents (« Livret de famille », 1977 ; « De si braves garçons », 1982 ; « Un pedigree », 2005). le rapprochement avec Proust fait par certains n'est pas extravagant. La profondeur ironique du regard vieillissant de l'enquêteur « Bosmans »/Modiano prend parfois les accents d'un testament littéraire : «  L'un de ses livres de chevet, avec les Mémoires du Cardinal de Retz et quelques autres ouvrages, était un traité de morale qui s'intitulait L'Art de se taire. Depuis son enfance, il avait toujours essayé de pratiquer cet art là, un art très difficile, celui qu'il admirait le plus et qui pouvait s'appliquer à tous les domaines, même à celui de la littérature. Son professeur ne lui avait-il pas appris que la prose et la poésie ne sont pas faites simplement de mots mais surtout de silences ? » (p. 99). Aujourd'hui très discret dans une époque qui raffole de visibilité et d'immédiateté, Modiano indifférent au reproche d'être pris en défaut d'imagination a confié récemment à une radio qu'en supprimant tous les titres de ses livres il n'en resterait plus qu'un. On espère simplement que « Chevreuse » ne sera pas le dernier.

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J'ai fait une énorme bêtise, une grosse bourde, un impair irréparable…
J'ai terminé « Chevreuse » il y a cinq jours et là, maintenant, au moment de commencer ma chronique, je me rends compte que j'ai complètement oublié le sujet du livre. Et quand je dis « complètement », ce n'est pas un effet de style, ni une posture modianesque !
Pas grave, me direz-vous, et vous aurez sans doute raison. On s'en moque totalement du sujet. Ce qui compte, c'est l'atmosphère. Et dans ce 44e roman, franchement, on est servi ! J'ai lu je ne sais où que dans sa jeunesse Modiano avait été un éthéromane assidu. Je ne sais pas si ceci a à voir avec cela (attention, je plaisante, hein, j'adore Modiano, j'ai moi-même la tête comme une passoire sans jamais avoir rien consommé - enfin, pas grand-chose...), mais franchement, dans ce dernier roman, son personnage (dont j'ai oublié le nom) semble atteint d'un Alzheimer +++ qui frise quasiment la parodie, un délice!
Il erre comme un somnambule dans les rues parisiennes, se demande « jusqu'à quelle limite on peut rêver sa vie », oublie le nom des gens, les confond, compose des numéros de téléphone à la « Auteuil 15.28 » au lieu des sept chiffres attendus (se désole d'ailleurs de la disparition de l'indicatif des anciens numéros qui permettait de savoir dans quel quartier on appelait « et cela facilitait les recherches »). Dans son esprit, les événements se superposent, les lieux se mélangent ou disparaissent de l'espace, voire des cartes : « tous les points de repère s'étaient effacés avec le temps, de sorte que ces deux événements, vus de si loin, lui paraissaient simultanés, et même finissaient par se mêler l'un à l'autre, comme deux photos différentes que l'on aurait brouillées par un processus de surimpression. » le passé revient sous forme d'éclats épars et opaques : « un détail en ramenait parfois d'autres dans sa mémoire, agglutinés au premier, comme le courant ramène des paquets d'algues en décomposition», les noms propres ont encore quelques résonances familières et lointaines, « il ne comprenait pas qui étaient exactement ces gens, et les explications de Camille manquaient de précision », les pages des agendas restent blanches, on peut téléphoner aux renseignements quand on ne sait pas, quand on ne sait plus... Les sensations sont-elles celles d'autrefois ou d'aujourd'hui ? Difficile de savoir : « Il se demandait s'il avait bien dit sur le moment : « Je n'ai jamais vu un printemps aussi beau à Paris », ou si ce n'était pas plutôt le souvenir de ce printemps-là qui lui faisait écrire ces mots aujourd'hui, cinquante ans après. Il y avait de fortes probabilités qu'il n'ait rien dit du tout. » La mémoire semble définitivement perdue, l'enfance s'estompe tout à fait : l'on atteint un degré supplémentaire dans l'oubli et la nostalgie s'empare des lieux, des êtres et des choses… Même la lumière n'a plus la même intensité…
C'est très beau, très triste aussi…
« À cette époque, il n'avait cessé de marcher à travers Paris dans une lumière qui donnait aux personnes qu'il croisait et aux rues une très vive phosphorescence. Puis, peu à peu, en vieillissant, il avait remarqué que la lumière s'était appauvrie ; elle rendait désormais aux gens et aux choses leurs vrais aspects et leurs vraies couleurs – les couleurs ternes de la vie courante. Il se disait que son attention de spectateur nocturne avait faibli elle aussi. Mais peut-être qu'après tant d'années ce monde et ces rues avaient changé au point de ne plus rien évoquer pour lui. »
Cette musique, je ne m'en lasserai jamais...
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Dans le temps suspendu de Modiano, le lecteur s'insère.
Les silences s'insinuent et la lecture se ralentit.

Suivre pas-à-pas le cheminement de Paul Bosmans dans ses retrouvailles ou plutôt essais de retrouvailles avec lui-même entraîne des allers-retours parfois sans retours puisque la mémoire, les souvenirs se mêlent et s'entremêlent.

Des fantômes d'êtres humains du passé, des êtres de chair du présent, glauques, doubles se profilent parmi les souvenirs et dans la vie de Paul Bosmans.

Ces jeux de mémoire et de miroir nous emmènent au tréfonds du Temps, « le temps retrouvé », le temps dissipé, le temps suspendu qui n'est pas le « temps immobile ».

Modiano, et c'est là le génie de l'écrivain, en quelques mots ou phrases (l'apparence est simple mais quel savoir-faire!) situe lieux, rues, personnes, ambiances, dédoublements et ce temps qui se vit, se perd, se retrouve, malmène, resurgit par un nom, des odeurs, des moments …

Et la magie est là et nous sommes au-delà de nous-mêmes dans ce monde qui est le sien, dans l'histoire trouble, dans ces lieux douteux, dans un univers prenant et si loin de nous, un monde de sensations, un monde en lévitation.

Superbe et parlant aux sens, ce livre occupe une place à part dans les lectures actuelles.
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Inconditionnelle de modiano il est vrai que cette critique est difficilement objective. Bref mais là encore ce fut une merveille dans le sens de la beauté du texte de l'ambiance brumeuse et nostalgique, mais il y a aussi une intrigue. En fait c'est comme si il y a une eeenorme nappe de brouillard devant vous vous passez la tête et vous êtes aspiré. Allez y tous ses livres sont sublimes
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Oh la la quand les septuagénaires Nobel français se tirent la bourre! L'an dernier c'était JMLC qui étincelait de sa Chanson bretonne", aujourd'hui c'est Patrick Modiano qui revient sur son passé encore mieux avec Chevreuse comme un bon vin qui vieillit bien .

Dans le ton singulier qui est le sien, Modiano revient sur son passé avec une histoire autant floue que profonde, écrémée par le temps. N'en n'aura-t-on jamais fini avec ces réminiscences dont certains manitous tentent de leur tordre le cou avec les résultats que l'on sait. Et si c'était seulement notre tropisme qui nous pousse à aller vers nos rêves d'avenir les plus grands ou ici tout simplement vers le monde de notre enfance qui nous est si cher.
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La magie opère encore, le récit de Patrick Modiano, à tâtons dans les images du passé, plonge le lecteur, en abîme, sur les traces de ses propres souvenirs vacillants. le partage se fait dans la légèreté des mots, de cette façon unique qu'à l'auteur d'écrire comme on esquisse un dessin au crayon. Il nous donne la clé p 49 : « lui qui depuis des années avait l'habitude de vivre sur une frontière étroite entre la réalité et le rêve, et de les laisser s'éclairer l'un l'autre, et quelquefois se mêler… » le passé a le flou du ressenti à fleur de peau, il s'inscrit dans des impressions fugaces, il se résume dans des à peu près, sans jamais le moindre effort pour préciser le trait. L'auteur s'y balade le nez en l'air et son livre est une invitation à le suivre. J'ai mis mes pas dans ceux de Bosmans, cet homme sans prénom (une seule allusion dans le récit) éternel orphelin de son histoire, 15 ans après, cinquante ans après, sans fin. Il nous emmène à Chevreuse et c'est d'abord un mot, comme un souffle, une douceur particulière, à partir de là, tout s'emboite : une chanson, des noms, des visages, dans le désordre. La maison de la rue du docteur Kurzenne sort petit à petit du brouillard, ses jardins en espalier, sa porte rouillée, une géographie d'allers et venues se met en place dans laquelle l'appartement d'Auteuil installe à son tour ses mystères. Un appartement en trompe l'oeil avec une double vie, des ombres la nuit, un enfant le jour, au nom peut être d'une innocence perdue. Comme Dans tous les romans de Modiano, les personnages tissent un labyrinthe improbable, certains sont des passeurs comme cette Mme Krawell, invisible propriétaire de l'appartement d'Auteuil et de la maison de la rue du docteur Kurzenne. Doucement l'intrigue prend forme et Modiano se plait à nous perdre dans ses méandres, Bosmans qui termine p 150 le livre qu'il est en train d'écrire, n'avoue-t-il pas alors : « entre la vie réelle et la fiction existaient des frontières confuses ». le lecteur est maître du jeu pour interpréter à sa manière l'épilogue du roman, les murs de la maison restent lourds de secrets.
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En refermant ce sublime roman de Patrick Modiano, j'ai eu l'impression d'avoir traversé une sorte de rêve en noir et blanc et aux contours un peu flou.

Avec « Chevreuse », l'auteur nous attire dans un labyrinthe à la chronologie instable.
Le narrateur, Jean Bosmans, l'alter ego de Modiano, se laisse happer par des pensées, des détails. Des mots comme « Chevreuse » ou « Auteuil » lui reviennent à l'esprit. Progressivement, il va tenter de se remémorer certains événements passés. Il se tourne vers celui qu'il était à vingt ans, qui, lui, se tourne vers celui qu'il était à cinq ans.

Deux objets symboliques sont évoqués dans ce récit : une montre de l'armée américaine à plusieurs cadrans et une boussole. La montre lui suggère la superposition du temps, la boussole l'invite à retrouver les marques de son passé, avant que tout ne s'efface.
Comme un roman policier à la mémoire trouble, dont les ingrédients sont un hôtel louche à Montmartre, une ligne téléphonique abandonnée et utilisée par un réseau pour se fixer des rendez-vous, un enfant qu'on ne voit jamais.
Le souvenir d'une jeune femme lui revient, Camille Lucas, surnommée « Tête de mort », et une certaine Martine Hayward. Il a vingt ans. Elles le conduisent dans un vaste appartement d'Auteuil. Il appartient à un certain René Marco Herifort, et son jeune fils y vit. C'est la solaire Kim qui s'occupe de lui. Jean y retourne quelque fois seul. La nuit, des gens s'y retrouvent mais il ne veut pas se mêler à cette faune et se sauve chaque fois avant la tombée de la nuit.
C'est Camille aussi qui l'amène avec Martine vers une maison à louer dans la Chevreuse. Et le voilà entraîné sur le chemin de sa propre enfance, comme dans un monde parallèle, « où le temps finit par raccourcir les distances. »

Une histoire où les femmes sont mystérieuses mais tiennent la barre, et où les hommes sont menaçants et surgissent comme des fantômes. Ces hommes que Jean Bosmans avait rencontrés quand il était enfant cherchent à le piéger et à percer un secret, car lui était « ...un enfant qu'on n'interroge pas mais qui pourtant voit tout. » Il est souvent inquiet mais sait se montrer provocateur aussi.
Il suggère de transformer ces spectres redoutables en personnages de roman pour déjouer leurs manigances. Un livre qui s 'écrit, un livre qui se lit.
Un récit où les personnages sont « ...comme dans ces rêves où l'on sait déjà ce que les gens vont dire puisque tout recommence et qu'ils vous l'ont déjà dit dans une autre vie. »
Seule Kim, la jeune gouvernante, lui offre une respiration. « Il eut une pensée pour Kim et pour les après-midi ensoleillés. »

« Chevreuse » est un roman magnifique qui polarise tout le talent de Patrick Modiano. Construit comme un rêve, ce récit proustien nous éclaire sur son cheminement, entre mémoire et oubli.
Et comme l'écrivait Georges Duby, « la trace d'un rêve n'est pas moins réelle que celle d'un pas. »
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