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La Mer de la fertilité tome 2 sur 4

Tanguy Kenec'hdu (Traducteur)
EAN : 9782070383313
499 pages
Gallimard (01/02/1991)
4.27/5   144 notes
Résumé :
La Mer de la fertilité, testament littéraire de Mishima, réunit quatre romans qui couvrent l'histoire du Japon de 1912 à 1970, sur quatre générations : Neige de printemps ; Chevaux échappés ; Le temple de l'aube ; L'ange en décomposition. " Et pouvez-vous dire avec certitude que, tous les deux, nous nous sommes déjà rencontrés ? - Je suis venu ici il y a soixante ans. - La mémoire est comme un miroir fantôme. Il arrive qu'elle montre des choses trop lointaines pour ... >Voir plus
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Chevaux échappés est le deuxième tome de la tétralogie La mer de la fertilité. Il se déroule exactement dix-huit ans après les événements racontés dans Neige de printemps. Shigekuni Honda, qui était un personnage secondaire, prend l'avant-plan. Il est devenu un magistrat spécialisé dans les affaires criminelles à la cour d'appel d'Osaka. Là, il mène une existence tranquille mais qui ne semble pas le combler pleinement. Il peine à se remémorer le passé. « La frontière entre le rêve et le souvenir était devenue indistincte dans l'esprit de Honda […] » (p. 13-14) Toutefois, un souvenir précis reste gravé dans sa mémoire. En effet, avant sa mort, son ami Kiyoaki Matsugae lui avait fait une dernière révélation : « Je te reverrai. Je le sais. Sous la cascade. » (p. 53)

Cette phrase troublante, elle lui revient régulièrement en mémoire et elle lui cause un émoi un jour particulier, après une compétition de kendo à laquelle il a assisté. Un des participants, le jeune Isao Iinuma, participe à un rite de purification par l'eau au pied d'une chute d'eau du sanctuaire de Konomiya. Ce faisant, il dévoilant distinctement un groupe de trois grains de beauté à l'arrière du mamelon gauche. Exactement comme Kiyoaki ! Est-il possible que ce jeune homme soit la réincarnation de son meilleur ami ? D'autant plus que Isao Iinuma est fils de l'ancien précepteur de Matsugae. Ainsi, le cycle se poursuit avec les mêmes personnages. Toutefois, le jeune Isao a une personnalité très différente du Kiyoaki amoureux. Dans tous les cas, il ne possède pas son âme sensible, ses doutes et ses incertitudes. Quoique… son patriotisme résolu et exacerbé qui puise dans des légendes d'une autre époque peut s'apparenter à une sorte de romantisme. Mais il se distingue surtout à travers les valeurs dans lesquelles il se retrouve, comme le devoir, l'honneur et la loyauté, élevés à leur paroxysme.

Avec des amis (et quelques autres), il forme une société secrète visant à ramener les valeurs d'antan, à se soustraire de l'influence occidentale, du capitalisme sauvage qui ne mène qu'à la corruption. Il vise à restaurer le pouvoir entre les mains de l'Empereur. N'est-ce pas un idéal noble ? Mais comment y arriver ? En assassinant des personnages de haut rang, «jugés» responsables de la situation. L'anarchie causée permettrait un retour en arrière. Mais attention, ils ne se voient pas comme de vulgaires terriristes. Ils ne comptent pas profiter de la situation mais, en cas de réussite comme d'échec, ils projettent se donner la mort via la cérémonie du seppuko. À partir du moment où Honda reconnaît son ami décédé dans Isao, c'est surtout à ce dernier que la narration s'attache. le lecteur a droit de longs passages d'un ouvrage qui plait aux jeunes anarchistes : La Voies des Dieux. On y raconte la dernière révolte des samouraïs. J'ai trouvé ces passages un peu ennuyeux et répétitifs mais, comme dans le reste de tétralogie, tout finit par être important, même si on ne s'en rend pas compte dans l'immédiat.

Toutefois, le complot est ébruité. Ne craignez rien, je ne dévoile pas l'intrigue finale puisque, au moment des arrestations, il reste plus d'un quart au roman. le procès des jeunes gens ramène à l'avant-plan Honda, qui endosse la défense. Grâce à lui mais surtout au fait que les anarchistes sont jeunes et proviennent de bonnes familles, ils s'en sortent plutôt facilement. Mais que peut la marche de l'Histoire face à de jeunes gens résolus ? Alors qu'il démontre que son projet n'était pas que des paroles en l'air, Iinuma projette de mettre à exécution le plan qu'il s'était donné avant son arrestation. Il demeure sans compromis. « À l'instant où la lame tranchait dans les chairs, le disque éclatant du soleil qui montait, explosa derrière ses paupières. » (p. 500) Cette fin, très poétique, est puissante. Je crois que ce moment et d'autres du même genre font écho à Kiyoaki qui, malgré son tempérament plus doux, pouvait se montrer déterminé et tendre continuellement vers son idéal de pureté.

Chevaux échappés, comme le tome précédent, permet au lecteur de suivre l'évolution de la société japonaise et des mentalités de la période de l'entre-guerre. Chez les plus jeunes, il y a les compétitions de kendo, l'académie, les cercles d'amis et les échanges sur la philosophie, la politique, etc. Pareillement chez les moins jeunes. Par exemple, les affaires de la juridiction d'Osaka, où travaille Honda, donnent un aperçu des événements au pays, l'accélération de la modernisation, la militarisation, la montée du nationalisme, etc. Mais les traditions demeurent importantes, et certaines valeurs aussi. Iinuma et ses amis anarchistes ne sont pas les seuls à comploter, et beaucoup d'autres partagent leur point de vue même s'ils ne sont pas disposés à aller aussi loin dans les moyens pour parvenir è leur fin. Faut-il y voir un prélude à la Seconde guerre mondiale ?

Bref, c'est un roman troublant mais passionant. Peut-être le plus intime de Yukio Mishima. Plusieurs parralèlle peuvent être faits entre lui et Isao Iinuma, dans sa pratique du kendo, dans ses idéaux purs et nobles, dans l'importance qu'il accorde aux traditions japonaises, dans sa vénération de l'empereur, et surtout dans sa fin ultime. En effet, l'auteur lui aussi s'est suicidé par seppuku dans le style des samouraïs. Dans tous les cas, l'âme de Kiyoaki Matsugae devra se trouver un autre corps dans lequel se réincarner. Je me lance rapidement dans le troisième tome de cette oeuvre remarquable qu'est La mer de la fertilité.
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Dans le code samouraï le courage n'est pas une vertu aveugle, ni la passion bonne conseillère de l'action. Selon les principes fondant l'éthique, la culture du zen tempère la spontanéité de ces ardeurs. Mais cette pratique martiale est aussi la plus à même d'être enfreinte par la fougue de la jeunesse.

Dans les années 30, au sortir de l'adolescence et à la lecture de la Société du Vent Divin, une brochure relatant la révolte d'une élite traditionnaliste se réclamant de l'esprit samouraï sous l'ère Meiji, Isao Iinuma a fait sienne l'éthique de la noble caste. Cette élite d'ardents patriotes condamnait l'ouverture du Japon à la culture occidentale jugée néfaste au pays. Leur mouvement fut un échec. Ils le lavèrent dans leur propre sang en se donnant la mort par le suicide rituel.

Depuis que Hirohito a été intronisé empereur du Japon en 1926, ouvrant l'ère Shōwa, Isao Iinuma voue un véritable culte et une loyauté indéfectible à son souverain. En son esprit, il incarne Dieu sur terre. S'inspirant du code éthique samouraï qui respecte les sept principes de droiture et sens du devoir, courage héroïque, bienveillance et compassion, politesse et respect, sincérité et vérité, honneur, devoir et loyauté, Isao jure de consacrer sa vie à la haute autorité gardienne des traditions ancestrales. Dans l'inconséquence de la jeunesse, il se donne pour mission de parachever l'intention de purification du pays qu'avaient nourrie ses anciens. le but étant d'éliminer ceux qui par adoption du système capitaliste piétinent les valeurs morales ayant prévalu dans la culture japonaise jusqu'à son ouverture à l'occident en 1854. Isao recrute à la cause quelques jeunes de sa génération, dont certains mineurs, non sans avoir évalué la sincérité de leur engagement. Son intention est de fonder la Société du Vent Divin de l'ère Shōwa. Ensemble ils échafaudent un plan de purification comportant l'élimination des sommités corrompues.

Dans l'esprit samouraï l'exaltation d'un idéal, fut-il une cause perdue, ne se conçoit pas sans le sacrifice suprême, la purification par la lame immaculée : "Être un homme, c'est ne point cesser de s'élever à force vers le sommet de la condition humaine, pour y mourir dans la blancheur neigeuse de ce sommet." Tous ceux qui resteront fidèles à la cause font ainsi voeu de se donner la mort par le suicide rituel en glorification de leur action.

Shigekuni Honda, devenu une sommité dans la magistrature japonaise, veut voir en Isao Iinuma la réincarnation de son ami Kiyoaki mort 19 ans plus tôt de son amour refoulé pour la belle Sakoto*. Outre quelques traits physiques il retrouve dans le journal de ses rêves, que lui avait confié Kiyoaki à sa mort, des présages qui lui donnent la certitude de la survivance de son âme sous les traits d'Isao. Il y retrouve aussi cette élévation spirituelle qui magnifie la personne au rang de héros. Héros de l'amour pour Kiyoaki. Héros de la pureté du sentiment national pour Isao. Un idéal promu moteur de conduite et catalysant un nationalisme qui, faisant des émules à la veille de la seconde guerre mondiale, conduira le Japon à sa perte en le livrant à l'impérialisme débridé, allant jusqu'à défier le pays devenu la plus grande puissance mondiale le 7 décembre 1941 à Pearl Harbour. Shigekuni Honda, en respect pour l'attachement qu'il vouait à son ami disparu, et selon lui réapparu sous les traits de Isao, abandonne son poste afin d'avoir les mains libres et sauver Isao de sa folle entreprise.

Les chevaux échappés : sous ce titre énigmatique qui peut figurer l'emballement de la race noble, Mishima retrace l'ascension spirituelle d'une jeunesse utopiste laquelle s'auto investit de la mission de faire rempart autour de son empereur face aux tenants de la modernité spéculative. Elle fait serment de protéger le pays de l'ingérence d'une culture occidentale jugée impure et incompatible avec les moeurs de la société japonaise.

Si l'on n'est pas averti du lien sacré qui unit l'homme à la nature dans la culture japonaise, on peut souffrir des longueurs et des digressions contemplatives qui jalonnent pareil texte quand Mishima porte ses héros à s'inspirer des éléments naturels pour y puiser force et beauté. Les symboles foisonnent dans des allégories sophistiquées et les litanies évocatrices qui peuvent rebuter le lecteur réfractaire à la méditation. Cette culture peut paraître hermétique à la nôtre, laquelle a fait table de rase de ses valeurs et traditions pour se fondre dans le grand malstrom de la société de consommation, abandonnant aux poètes romantiques la célébration de la nature. A l'instar du théâtre Nô, l'écriture de Mishima peut paraître manquer de rythme à qui ne s'intéresse qu'au factuel au détriment du décorum et de l'exhortation des sentiments portés par la seule gestuelle. Mais la démarche spirituelle qui pousse un homme à se sacrifier par le suicide rituel, le seppuku, justifie ce long processus de maturation de l'esprit afin d'imprégner le lecteur de la psychologie, des rites et traditions des idolâtres du faste impérial japonais.

Deuxième opus de la Mer de la fertilité, n'oublions pas que Mishima est dans son oeuvre-testament en chemin vers la blancheur neigeuse du sommet de la vie.


(*) Voir Neige de printemps, premier opus de la tétralogie La mer de la fertilité.
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Deuxième opus de la tétralogie de Mishima, « Chevaux échappés » débute en 1932, alors que la grande dépression mondiale fait sentir ses effets désastreux sur l'ensemble des économies développées. le Japon avec un taux de chômage à 20% n'est pas épargné.
Depuis le début de l'ère Hirohito six ans plutôt, le Japon connaît une grande instabilité politique et l'assassinat du Premier ministre Inukai le 15 mai 1932 par des officiers de marine est un coup terrible pour la jeune démocratie nipponne. Bien qu'ayant échouée, cette tentative de coup d'état marque la montée en puissance de l'armée dans les affaires du pays.

C'est dans ce contexte économique et politique particulièrement inquiétant que nous retrouvons Honda à l'âge de 38 ans au poste de conseiller à la Cour d'Appel d'Osaka. Rappelons qu'Honda était, vingt ans plutôt, l'ami de feu Kiyoaki Matsugae le personnage principal du premier opus « Neige de printemps ».

Alors qu'il assiste à un tournoi de kendo organisé lors d'une fête de printemps, il est subjugué par la fougue d'un des combattants, Isao Iinuma, dont la beauté lui rappelle son ami de jeunesse Kiyoaki.
Bien que de nature cartésienne, Honda s'est depuis longtemps senti attiré par les anciennes lois indiennes de Manu qui donnaient une importance particulière à la réincarnation. Honda en est sûr : Isao est, à son insu, Kiyoaki réincarné.

Quelque mois plus tard Honda apprend, stupéfait, l'arrestation et l'inculpation d'Isao et de onze comparses pour tentative d'assassinats sur douze personnalités japonaises éminentes. Ces capitaines d'industrie, ces banquiers, ces hommes politiques sont coupables aux yeux des conspirateurs d'être des capitalistes dépourvus de tout loyalisme national.
Une dénonciation a empêché les assassinats in extremis.

A la surprise générale Honda démissionne de son poste à la Cour d'Appel et devient l'avocat de celui qu'il pense connaître mieux que quiconque. Endossant cette fois le rôle de la défense, arrivera-t-il à sauver de la prison ces jeunes terroriste épris de pureté qui avaient projeté de se donner la mort par seppuku sitôt les assassinats à l'arme blanche accomplis ?

Chacun connaît la fin tragique de Mishima en novembre 1970.
« Chevaux échappés » écrit un an plus tôt s'apparente à un testament. La genèse de son suicide dans la pure tradition samouraï y est relatée dans un style littéraire forçant l'admiration.
S'il est un écrivain qui s'est identifié de façon radicale à un de ses personnages de roman, c'est bien Mishima !
Son jeune héros Isao endosse l'habit d'un ultranationaliste vénérant Sa Majesté Sacrée l'empereur, de surcroît son patriotisme jusqu'au-boutiste allie la conformité de la pensée et de l'action.
Au Président du tribunal qui lui demande si le patriotisme ne peut pas rester simplement une foi, Isao se référant au philosophe chinois Wang Yang-Ming répond : « Savoir et ne pas agir, ce n'est pas encore savoir ».
Puis, comme si Mishima lui-même voulait se justifier devant l'Histoire, l'écrivain fait dire à son personnage : « Telle est la philosophie que je me suis efforcé de mettre en pratique ».
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Voici donc le deuxième tome. Deuxième acte. Différent et pourtant si proche du premier.
« Je viens d'avoir un rêve. Je te reverrai. Je le sais. Sous la cascade. »…
Telle était la vision du héros principal, celle du jeune Kiyoaki, au moment de sa mort, vision confiée à son ami Honda.
Nous voilà en 1932, Japon. Honda a mûri. Kiyoaki repose. 18 ans sont passés. le monde change. L'ère Meiji n'est décidément plus. Un capitalisme outrancier, effréné s'est engouffré dans l'âme japonaise. Les équilibres sont rompus. Les sabres doivent être rangés, déjà se dressent de nouveaux autels, renversant, bousculant un ordre dans lequel les hommes consentaient à vivre.
Les richesses sont subtilisées, le nouvel ordre mondial n'apporte pas au plus démunis la félicité.
La famine fait rage, les campagnes sont exsangues. le Japon a faim et pourtant les coffre-forts sont pleins. Politique et profit marchent de concert.
Les seigneurs ne sont plus, l'empereur n'a plus la main sur le destin, les règles du jeu ont changé.
Le thème de la réincarnation est le fil conducteur de « La mer de la fertilité » de Mishima, ,et c'est dans ce deuxième tome que l'on comprend davantage ce que ,pour Mishima, ce concept signifie.
Le corps disparaît, l'âme teint à rejoindre le soleil, mais l'esprit , l'esprit lui est divin car il ne meurt jamais. Immortel. Il renaît.
C'est grâce à Mishima que je comprends mieux cette notion. Que voyons nous en celle ou celui que nous pensons être une réincarnation ? Ses traits ? Ses gestes ? Non, c'est l'esprit, le monde de ses idées. Ainsi voit on à travers les âges , revenir l'esprit de la liberté, l'esprit de la beauté, de la bonté, mais également l'esprit du mal, l'esprit de la haine. C'est l'esprit qui demeure et l'homme n'est que le véhicule de la pensée. le ciel lui même transporte la nuit, transporte le jour, et rien n'arrête son cours.
Voici donc l'esprit de Kiyoaki revenu. Il revient à travers Isao, le jeune Isao, en se présentant à Honda sous une cascade. Aussi impétueux, aussi vif, aussi excessif, aussi entier, exigeant, aussi perdu, aussi plein de douleurs et de colère que le fut Kiyoaki. Ne sachant que faire de son corps, il plonge son sabre dans les entrailles de son esprit.
C'est à la lecture ce deuxième tome que je suis particulièrement frappée par la correspondance entre le destin de l'auteur et le destin de son personnage.
Tout est là, inscrit, analysé, déclaré, panifié. Écrit.
« La mort de Mishima est l'une de ses oeuvres et même la plus préparée de ses oeuvres" écrivait Marguerite Yorcenar. Et c'est tellement vrai, et c'est tellement effrayant à la fois.
Mishima s'est réincarné dans ses personnages. Il a donc rejoint le soleil. Immortel, son esprit est devenu immortel. Tout est là. L'idée est terrifiante.
Passé ce malaise, cet étonnement, et à la fois cet émerveillement, car on ne peut qu'être émerveillé devant cette oeuvre, cet acte , ce geste littéraire, un fois donc passé ce choc, on ne peut pas faire l'impasse sur le rapprochement de cet esprit qui anime le corps d'Isao et l'esprit qui traverse actuellement une partie de la jeunesse occidentale, voir mondiale.
Perte de repères, incapacité à projeter ses rêves dans une réalité qui semble échappée à toute justice, à tout honneur, à tout dignité, à toute équité.
Le désordre extérieur malmène l'intérieur des êtres, il leur faut donner raison à leur mal être. Échapper,... s'échapper.
Rien ne peut les arrêter, l'enseignement de correspond plus à leur besoin, les aînés s'affaiblissent, l'autorité perd le respect. C'est dans le nationalisme que le jeune Isao tente de trouver la langage audible de ce qu'il nomme la pureté. «  en pure perte » voilà la déclaration solennelle et glaciale d'Isao.
Agir en pure perte , en ayant conscience de ce détachement total, aucune notion d'intérêt, aucune récompense, aucune louange, faire de sa vie « une pure perte », comme un geste de beauté.
Terrifiant.
Jamais la plume de Mishima n'a été aussi coupante, brûlante. Jamais le danger n'a plané aussi près de ses écrits.
Il faut je crois donner à lire la mer de la fertilité, mais il faut veiller à en totalement débattre.
L'idée de justice, de loyauté, d'idéal, l'idée de nation, l'idée d'incarnation , d'identité, doivent être développées, expliquées auprès d'un jeune public.
Faire lire Mishima, oui, et puis en parler.
Lire Mishima et ne pas quitter des yeux ce qu'il a écrit ni ce à quoi il est arrivé, c'est à dire à sa propre fin.
Les livres traitant du suicide, de la notion de « pure perte », qui peuvent rejoindre tous les fanatismes et extrémismes de tristes augures, sont des livres que l'ont doit accompagner.
Mais leur lecture est nécessaire, impérative même. Et la qualité littéraire de Mishima, son honnêteté, permet de mettre les cartes sur nos tables.
On ne peut qu'être douloureusement fasciné par Mishima, fasciné comme on peut l'être par la flamme, par l'oeil d'un ouragan, fasciné par le vide qui vous surprend et vous appelle au bord d'une falaise, fasciné devant un danger que l'on pense maîtriser. Jouissance de la perversion. Voilà ce qui revient au sujet de l'esprit Mishima. Jouissance et intelligence de la perversion.
Mais cela dit, dit et une nouvelle fois dit, pourquoi les écrits de Mishima semblent ils si pertinents à notre époque ?
A bien y regarder, quelle différence entre un seppuku et une ceinture d'explosif ?
Quelle différence entre ce nationalisme, ce fanatisme des cultes divins, cette vénération des ordres anciens, ce code d'honneur, cette iconographie, cette notion de pureté qui se voudrait idéal, quelle différence avec les fanatismes actuels de tout poil qui veulent établir un nouvel ordre, imposer la nuit comme tribut à une illusoire éternité ? S'éventrer ou se faire exploser, quelle différence ?
La pureté de l'intention ? le déroulement de l'histoire ?
A bien regarder le jeune Isao, à entendre ses théories, à le voir ainsi mourir en pure perte ne ressentons nous pas la même stupéfaction que le fidèle Honda ? Qui sont de nos jours les réincarnations de Kiyoaki , d 'Isao ? Ne sont ils pas parmi nous ?
Les écrits de Mishima aussi brûlants soient-ils, ne permettraient-ils pas de décrypter l'esprit qui meut quelques jeunes âmes perdues et tourmentées qui agissent en pure perte d'eux mêmes ?
Qui sont ces « ces enfants invisibles », égarés dans les limbes d'une réalité qui ne les reconnaît plus ? Pourquoi leurs rêves ont ils le goût du sang et la couleurs d'un cauchemar  ? « Il faut qu'une nation se détruise elle-même avant que l'étranger puisse causer sa destruction, qu'un homme se méprise lui même avant d'être l'objet du mépris des autres ». Terrible , etrrifiante phrase.
Mais Mishima met en garde : «  Ce surtout contre quoi il faut mettre en garde un jeune homme comme vous, c'est la confusion de la pureté d'intention et de l'histoire »…
Mais il écrit également que la pureté est étoffe de poésie… Où ce situe la limite, sur quelle lame évoluons nous ?
Une bonne occasion de mourir vaut elle plus que toutes les raisons de vivre ?
Décidément Mishima ne cesse pas de m'étonner, et de m'interroger.
Vers quoi et vers qui nous conduira le troisième tome ?…
«Je viens d'avoir un rêve. Je te reverrai. Je le sais. »…
Alors rêvons puisque vient l'heure de nous séparer

Astrid Shriqui Garain

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Isao est un jeune japonais, ivre de pureté.
Il ne supporte pas la corruption qui sévit dans son pays. Il ne rêve que de la tradition et l'esprit samouraïs.
Il décide avec d'aitres camarades qu'il a convaincus de faire des attentats à Tokyo de manière à pouvoir se donner la mort par seppuku.
Il est dénoncé à la police avec ses camarades qui ne pourront pas passer aux actes.
Il sera ainsi emprisonné pendant de longs mois.puis remis en liberté sans que sa pureté ne soit altérée.
Aussi, lorsqu'il apprendra la vérité sur sa dénonciation il s'enfuira et mourir par seppuku.
Un livre très profond dans lequel Mishima nous livre vraisemblablement le fond de sa santé puisque lui même se suicidera en se faisant hara-kiri.
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Citations et extraits (38) Voir plus Ajouter une citation
Aucun nuage ne voilait la satisfaction de la femme assoupie par un après-midi d’été. De fines perles de sueur recouvraient sa peau. Ses sens avaient emmagasiné une grande abondance de souvenirs divers. Son ventre, s’enflant légèrement en respirant dans son sommeil, se gonflait telle une voile dans la merveilleuse plénitude de sa chair. Le nombril délicat qui résistait à la voile en tirant de l’intérieur, couleur des bourgeons de fleurs de cerisier sauvage, reposait paisiblement frais et rosé, sous une flaque de sueur minuscule. La gracieuse fermeté des seins, à l’air si majestueux, semblaient exprimer d’autant mieux la mélancolie de la chair. La peau finement tendue, semblait rayonner comme par une lanterne allumée au-dedans. Le grain lisse de l’épiderme atteignait jusqu’à l’extrémité des seins d’où émergeait, telle la vague déferlant sur l’atoll, le tissu en relief des aréoles. Celles-ci étaient couleur d’orchidée, pleines d’agressivité calme et pénétrante, teinte empoisonnée qui veut attirer la bouche. Sur ce pourpre foncé, le mamelon se dressait tout fringant, tel un écureuil effronté levant la tête. L’effet en était d’une gaieté espiègle.
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Peut-être y avait-il quelque loi non écrite de la nature humaine qui proscrivait clairement des pactes entre les hommes. Avait-il impudemment violé semblable interdit? Dans les relations humaines ordinaires, le bien et le mal, la confiance et la défiance apparaissent sous une forme impure, mêlés en faibles proportions. Mais quand des hommes se rassemblent en un groupe voué à une pureté qui n’est pas de ce monde, le mal qui est en eux peut demeurer, épuré en chacun des associés, mais se confondant pour former un unique et pur cristal. Si bien que parmi un assemblage de joyaux d’un blanc pur, il était peut-être inévitable qu’on trouvât également une pierre noire comme la poix.
Si l’on poussait un peu plus ce concept, on se heurtait à une ligne de pensée extrêmement pessimiste : que, du fait de leur nature, la substance du mal se trouvait davantage dans les fraternités du sang que dans la trahison. La trahison était chose qui dérivait de ce mal, tandis que le mal s’enracinait dans la fraternité du sang elle-même. Autrement dit, le mal le plus pur auquel pouvait atteindre l’effort des hommes était sans doute l’oeuvre de ceux d’entre les hommes qui unissaient leurs volontés, et qui considéraient le monde du même oeil, de ceux qui allaient contre le grain de la diversité de la vie, de ceux dont l’esprit renversait la muraille naturelle du corps individuel, réduisant à rien cette barrière érigée pour se protéger de la corrosion mutuelle, de ceux d’entre les hommes dont l’esprit accomplissait ce que la chair ne pouvait accomplir. Collaboration et coopération étaient des mots faibles liés à l’anthropologie. Tandis que fraternité du sang... cela voulait dire que l’on unissait passionnément son esprit à l’esprit d’un autre. En soi, cette union faisait preuve d’un éclatant mépris pour la frivole et laborieuse démarche humaine où l'ontogénèse récapitule éternellement la phylogénèse, où l’homme ne tente sans cesse d’approcher d’un peu plus près la vérité que pour en être frustré par la mort, démarche qui, à jamais, doit recommencer dans le sommeil du liquide amniotique. En trahissant cette condition humaine, la fraternité du sang tâchait de gagner sa pureté; aussi, peut-être fallait-il s’attendre qu’à son tour, et par sa nature même, elle suscite sa propre trahison. Pareils hommes n’ont jamais eu de respect pour l’humanité.
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Sa mère était devenue assez forte, au point que ses mouvements en étaient embarrassés. La jeune fille folâtre, aux yeux emplis de curiosité et qui ne voyait jamais que le côté ensoleillé des choses, se dissimulait à présent sous le triste fardeau de chairs surabondantes où semblait s'exprimer un tempérament aussi joyeux qu'un ciel tout entier assombri. Il y avait une âpreté dans son regard qui suggérait une incessante colère mais, malgré tout, les mouvements érotiques de ses yeux étaient restés ce qu'ils étaient, bien des années auparavant.
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A présent, les prêtres s'avançaient, portant le fût et la jarre de terre. Vêtus de blanc, avec de noires coiffes de cérémonie, ils élevaient solennellement ces offrandes, et les lys attachés frémissaient de beauté au-dessus de leurs têtes. Un des lys à tige particulièrement longue portait un bourgeon dont la pâleur rappelait celle d'un adolescent au comble de l'émotion et sur le point de s'évanouir.
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Un instant, leurs regards se croisèrent. Isao,regardant les yeux de son père, en vit toute la lâcheté sans qu'y brillât aucun courage. Mais, dans ces yeux, tel le martèlement lointain des sabots qui se rapprochent, la colère jaillissait du plus profond du cœur.
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Vidéo de Yukio Mishima
Yukio Mishima (1925-1970), le labyrinthe des masques (Toute une vie / France Culture). Diffusion sur France Culture le 20 février 2021. Un documentaire d'Alain Lewkowicz, réalisé par Marie-Laure Ciboulet. Prise de son, Philippe Mersher ; mixage, Éric Boisset. Archives INA, Sandra Escamez. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. 25 novembre 1970 : Yukio Mishima, écrivain iconoclaste japonais âgé de 45 ans, met en scène sa propre mort ; alors qu’il s’apprête à quitter le monde, il livre à son éditeur "La mer de la fertilité", véritable testament littéraire et spirituel de cet auteur tourmenté, fasciné par la mort rituelle. Cet homme nostalgique, avec son goût du vertige et de l'absolu, son amour des corps vierges et des âmes chevaleresques, sa quête effrénée des horizons perdus laisse une œuvre considérable qui raconte sans aucun doute la recherche d’une pureté illusoire et la laideur du monde. Lectures de textes (tous écrits par Mishima) : Barbara Carlotti - Textes lus (extraits) : "Patriotisme. Rites d’amour et de mort" (film de et avec Yukio Mishima, 1965. À partir de "Yūkoku", nouvelle parue en 1961) - "Confessions d’un masque" - "Le Lézard noir" - "La Mer de la fertilité". Archives INA : Ivan Morris et Tadao Takemoto - Flash info annonçant la mort de Mishima le 25 novembre 1970. Extraits de films : "Mishima" de Paul Schrader (1985) - "Le Lézard noir" de Kinji Kukasaku (1968) - Extrait du discours de Mishima juste avant son seppuku, le 25 novembre 1970.
Intervenants :
Pierre-François Souyri, professeur honoraire à l’université de Genève spécialiste de l’histoire du Japon Fausto Fasulo, rédacteur en chef des magazines "Mad Movies" et "ATOM" Tadao Takemoto, écrivain, spécialiste et traducteur de Malraux au Japon et vieil ami de Mishima Dominique Palmé, traductrice de Mishima chez Gallimard, spécialiste de littérature japonaise et de littérature comparée Julien Peltier, spécialiste des samouraïs, auteur de plusieurs articles parus sur Internet et dans la presse spécialisée, en particulier les magazines "Guerres & Histoire (Sciences & Vie)" et "Actualité de l'Histoire". Il anime également des conférences consacrées aux grands conflits de l'histoire du Japon Thomas Garcin, Maître de conférences à l’Université Paris 7 - Diderot, spécialiste de Mishima et de littérature japonaise Stéphane du Mesnildot, critique de cinéma, et spécialiste du cinéma japonais
Source : France Culture
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Mishima

Quel est le vrai nom de Yukio Mishima ?

Yukio Mishima évidement !
Kenji Matsuda
Kimitake Hiraoka
Yasunari Kawabata

15 questions
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