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sur 696 notes
Laurent MAUVIGNIER. Des hommes.

Après-midi, soir, matin, trois séquences rythment ce récit. Solange, fête, avec sa famille et ses amis son anniversaire. Son frère Bernard, dit Feu-de-Bois est présent, ayant été invité. Bernard n'est cependant pas le bienvenu, mais Solange aime ce frère, différent des autres membres de la fratrie. Il a quitté, la ferme, la région, s'est marié, a eu deux enfants. Il est revenu, il y a une dizaine d'années vivre près de la ferme familiale, dans une vieille masure héritée d'un oncle. Il a abandonné, femme, enfants et travail ; c'est un homme brisé qui a sombré dans l'alcoolism. Il vit d'expédients, de petits boulots, de services rendus aux uns et aux autres. Il faut dire qu'il a fait la guerre d'Algérie. Comme des centaines, des milliers de jeunes gens, dans les années 1960, il a participé à ce douloureux épisode…

Aussi lorsqu'il remet à sa soeur, une broche en or, son cadeau, tous les invités sont surpris. D'où provient l'argent ? Les langues se délient et chacun y va de son couplet. de plus il y a un homme d'origine algérienne parmi les convives, Saïd Chefraoui, qui a participé, aux côtés des français à la guerre . Une altercation a lieu. Bernard est très agressif. Il va se rendre au domicile de cet algérien, effrayant femme et enfants, blessant le chien. Saïd va-t-il porter plainte pour cette intrusion à son domicile ? Puis Bernard s'enfuit et va vraisemblablement se terrer dans sa masure. Cet homme, comme beaucoup a souffert de son passage dans l'armée. Rabut, son cousin narre les évènements tragiques qu'ils ont traversé lors de leur incorporation et de leur temps d'armée, sur le sol algérien, plus de deux années pour certains.

Non, ce n'est pas avec stupeur que nous découvrons tous les sévices, les exactions tant commises par les français que par leurs adversaires en Algérie. Oui, depuis la fin de combats, les incidents, les tueries, les traques, les vengeances, de nombreux écrits nous ont informés. Ici, Laurent MAUVIGNIER endosse le rôle de narrateur. La description de ces combats, des opérations coup de choc menées, les horreurs vues, les raids, les pillages, les viols, les actes qu'il a fallu accomplir pour gagner, non perdre cette guerre inutile. Les retours au camp, retrouver ses compagnons de galère massacrés, les villages entiers brûlés, les hommes, les femmes et les enfants, tous morts, y compris le bétail, les chiens, etc… Quelle désolation ! Cette tuerie qui a privé les deux pays de leur jeunesse ! Quelle honte pour tous. Malheureusement, tous ces hommes, blessés, pas seulement physiquement mais surtout psychologiquement, sont rentrés, bourrés de remords, perturbés et sujet à des syndromes post-traumatiques. Et au retour à la vie civile, il leur a fallu se taire, ne rien avouer, conserver ses images à jamais figés dans leur mémoire. Nul suivi psychologique à l'époque. Je pense que même si les personnes vivant de tels faits, acteurs ou spectateurs, ayant un suivi médical, de tels évènements ne peuvent s'effacer, imprimés à jamais dans le subconscient. Peut-être peut-il à la limite offrir un petit soulagement et encore. Les outrages subis , imposés ne peuvent être gommés.

Avec brio, Laurent MAUVIGNIER retrace ici une page douloureuse de cette guerre fratricide. Nul ne peut être insensible à la douleur subie par nos vaillants jeunes soldats. Ces derniers, blessés, handicapés à vie, et pour ceux qui ont sont rentrés au pays, complètement « déboussolés ». Ils sont condamnés à vivre avec leurs démons. Toutes les guerres, quel que soit le lieu, sont des pilleuses de vie. Toutes, elles déciment des populations, des vies brisées, stoppées en pleine jeunesse, des enfants sans père, des femmes sans époux, des ruines jonchent le passage des troupes…. Et ce drame se perpétue et se perpétuera dans la nuit des temps. Nous ne sommes pas capables de tirer des leçons du passé. Je vous recommande la lecture de cet hommage rendu par Laurent dans son récit bouleversant. Bonne journée et belles lectures.
( 08/05/2024).

Lien : https://lucette.dutour@orang..
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Lu en 2022. Ma seconde lecture de l'auteur d'origine tourangelle, dont j'avais beaucoup apprécié "Continuer".
Un récit percutant qui parle du traumatisme de la guerre (d'Algérie), de la brutalité des hommes, de la rancoeur, et d'une impossible résilience... Je m'étais sentie un peu trop oppressée par la plume et le rythme du récit, et c'est surtout la seconde partie du livre qui avait retenu mon attention. Une écriture extrêmement ciselée et incarnée, mais à laquelle je n'ai pas totalement adhéré.
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Ultra ému et bouleversé d'avoir retrouvé la plume iconique de Mauvignier dans ce roman.

Le sujet est lourd : la guerre d'Algérie et les traumatismes endurés par les hommes qui s'y sont battus.
Les mots et les pensées sont hachés, virevoltants, écrasants.

Pesant et poignant !
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« ….on ne sait pas ce que c'est qu'une histoire tant qu'on n'a pas soulevé celles qui sont dessous et qui sont les seules à compter, comme les fantômes, nos fantômes qui s'accumulent et forment les pierres d'une drôle de maison dans laquelle on s'enferme tout seul, chacun dans sa maison, et quelles fenêtres, combien de fenêtres? » (P. 272)

C'est l'anniversaire de Marie-Jeanne. Bernard, ou « Feu de bois » pour les copains, a l'habitude de taper tout le monde pour avoir de l'argent. Mais aujourd'hui il lui offre une broche en or nacré.

Comment l'a-t-il achetée? Est-ce l'argent de sa mère qu'il aurait pris avant qu'elle parte en maison de retraite?

Chefraoui se présente à la gendarmerie. En rentrant chez lui il a trouvé la mobylette de Feu de Bois. Mais celui-ci, surpris par la femme de Chefraoui a pris la fuite. Il s'en était pris au chien qui l'a mordu.

Bernard était, quant à lui, parti 28 mois vers les Djebels, comme des milliers d'autres pour faire la guerre en Algérie. Rares sont ceux qui en sont revenus sans aucune attitude raciste à l'égard de ces Algériens!

« Ce que c'est qu'être mineur, dépendant des parents, pas bon à voter mais déjà bon pour les djebels.«

Ils n'avaient pas 21 ans mais étaient bons pour le casse-pipe…Quelque soit la guerre !

Un racisme banal, entre ces soldats appelés français qui, en partant faire la guerre d'Algérie, ont sacrifié leur jeunesse, ont perdu des copains et les Arabes, arrivés en France, à l'issue de cette guerre.

Venus pour travailler sur les chantiers, dans les mines, dans les champs..

Je n'avais pas quinze ans mais je me souviens parfaitement de cette période ! Pourtant je n'habitais que dans une petite ville, dans laquelle ces algériens étaient facilement reconnaissables. Et rares. Mais ce racisme était dans l'air du temps. Normal

Chefraoui était venu travailler, à la mairie, il avait quitté l'Algérie, seul, sans femme ni enfants. Mais personne n'avait voulu qu'il soit le représentant du personnel de la mairie !

Relations entre deux hommes, deux conceptions que tout oppose, et rappel de cette période, des descentes dans les villages du Maghreb, des exactions, du racisme ordinaire.

« ..tu sais, on pleure dans la nuit parce qu'un jour on est marqué à vie par des images tellement atroces qu'on ne sait pas se les dire à soi-même. » …..ceux qui ne l'ont pas vécu ne peuvent se l'imaginer… Personnellement je me souviens de réveils brutaux, de cris, d'amis chez qui j'avais dormi..

Toujours hantés mais à jamais secrets.
Lien : https://mesbelleslectures.co..
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N°1736 – Avril 2023

Des hommesLaurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

Peut-on oublier la guerre, celle qu'on a faite à vingt ans sans vraiment le vouloir.
Le narrateur qui est le cousin de Bernard, du même pays et de la même classe que lui, évoque l'histoire personnelle de ce dernier, la conscription des années 60 qui a arraché à leur terroir boueux qu'ils n'avaient jamais quitté des jeunes gens à peine sortis de l'adolescence pour les précipiter dans la guerre du djebel. Il raconte le traumatisme subi par ces petits gars de la campagne qui découvrent certes un pays, un climat et des gens qu'il ne connaissent pas, apprennent l'ennui et les corvées des longues journées de caserne mais surtout le dégoût de la violence perpétrée contre les populations civiles, l'horreur des combats et des exécutions, la trahison, la peur du danger, des attentats et de la mort, au bled comme en ville, le devoir de tuer si on ne veut pas perdre la vie, la trouille qu'on appelle aussi le courage. Ils doivent défendre le territoire parce que là aussi c'est la France. Libéré après de longs mois Bernard revient en métropole, rompt avec sa famille, tente de refaire sa vie loin d'elle, avec femme et enfants mais revient longtemps après dans son village comme SDF alcoolique et marginal. Les vielles histoires de famille reviennent longtemps après avec des conséquences inattendues et une banale fête d'anniversaire va faire ressurgir tout ce passé qu'on croyait oublié.
Cette guerre d'Algérie que l'auteur n'a évidemment pas faite revient dans son oeuvre comme un leitmotiv oppressant et accompagne la figure muette de son père. Cela a traumatisé toute une génération de jeunes gens envoyés là-bas et dont certains ne sont jamais revenus, et tout cela pour rien, pour un pays perdu d'où ont été expulsés tant de « pieds-noirs » trahis par les hommes politiques, on a sacrifié des harkis qui avaient pourtant fait le choix de la France, trompé ceux des arabes qui avaient combattu pour la France et qui ne seraient jamais Français, déconsidéré l'armée française dont certains membres se sont rebellés parce qu'ils se sont considérés comme trahis et parce qu'elle a commis la-bas les mêmes crimes dont les nazis s'étaient rendus coupables pendant la 2° guerre mondiale en métropole, répondant aux massacres de l'autre camp, cette même armée qui refusa, parce que les ordres étaient ainsi, de protéger les Français contre les massacres perpétrés par les Algériens. Pour ces jeunes gens, le service militaire effectué dans ces conditions est plus qu'un rite traditionnel de passage vers l'âge adulte, c'est une blessure indélébile pour ces jeunes devenus des hommes. Leur longue absence a parfois fait basculer leurs projets les plus intimes. Il reste de vieilles photos jaunies, des visages oubliés, l'espoir de la quille libératrice, des odeurs, de rares permissions, du soleil, de sales souvenirs liés à la mort dont il ne parle pas, un fort sentiment de révolte contre les ordres donnés qu'il faut exécuter, la culpabilité d‘avoir survécu que toutes les vaines prières n'effaceront jamais, une page qui trouble même le sommeil et qu'on ne tournera vraiment jamais parce qu'on ne peux même pas en parler, qu'on camoufle mal sous de folkloriques banquets d'associations d'anciens d'AFN, de médicaments ou d'alcool.
Le style est volontairement haché, brut, des phrases parfois inachevées, déstructurées où les silences le disputent à avalanche des mots, comme s'ils avaient été trop longtemps tus...

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Ce style haché, c'est celui de la pensée. Elle n'a pas besoin d'aller au bout des phrases, elle sait déjà ce qu'elle va y trouver. Et c'est l'exploit de Mauvignier, de nous faire partager ces pensées, de nous faire comprendre où elles vont et ce qu'elles n'ont pas besoin de formuler. Une espèce de télépathie qui permet de deviner ce que ces hommes n'ont pas dit, ne disent pas, et qui les hante. Extraordinaire procédé.
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L'histoire d'hommes cabossés par la guerre d'Algérie, même quarante ans après.

La lecture, c'est avant tout une question de rythme. On n'accroche à un livre que si l'on parvient à se mettre au même pas que l'auteur. Ni plus vite ni plus lentement, sous peine de décrocher, tel un embrayage qui n'aurait pas été passé au bon moment.

Le rythme de Laurent Mauvignier, c'est du lent, du très lent. Des phrases interminables, des accumulations d'idées et de pensées éparses que tout auteur sensé séparerait par des points ou des points-virgules.

On a l'impression d'un feston, d'une ligne de « e » tracés en pleins et déliés sur un cahier d'écolier : on avance, on recule, on avance, on recule, mais au final on progresse – lentement - vers le bout de la ligne. Ou alors un bâton balloté par les vagues, qui sans cesse s'approche puis repart vers le large, mais échoue peu à peu sur le sable.

C'est vrai, c'est un style magnifique.

Pourtant, j'ai eu du mal à me mettre à cette lenteur. Surtout la première moitié du livre ; cent-vingt pages où il ne se passe rien que le geste d'un homme qui offre une broche à sa soeur, même si c'est superbement étudié psychologiquement, c'est long.

La deuxième moitié est plus « active » : la guerre ! Cette fois, la lenteur du texte donne au contraire le temps de s'imprégner parfaitement de l'ambiance de l'attente, de la tension, de la peur. Il en résulte une lecture complètement immersive, qui vous prend aux tripes et vous marque profondément (y compris les passages - détaillés - des horreurs).

Au final, je reste avec un bilan mitigé. Un très grand auteur, c'est indéniable, avec un style très fort, des émotions aussi très fortes. Et malgré tout, des lenteurs parfois exaspérantes…

Lien : https://marc-torres.fr/
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L'écriture de Laurent Mauvignier est très fluide ; j'ai eu l'impression de ne lire qu'une seule et même phrase (il faut dire que j'ai dévoré le livre !). On dirait qu'on ne sort jamais de cette salle ou Solange fête son anniversaire et où son frère, Bernard, devenu "Feu de bois", lui fait un cadeau inattendu, extrêmement cher, qui va bouleverser la fête.
Et pourtant le récit se déplace, par la voix du cousin Rabut, jusqu'en Algérie, où ces appelés furent envoyés pour "ramener la paix" et pour leur malheur.
Même si on n'a pas toutes les réponses, une fois le livre refermé (que sont devenus Reine, Mireille et ses enfants, Chefraoui et sa famille, et leur chien...), l'écriture et le talent de l'auteur vous happent et vous transportent, vous entraînent dans le traumatisme de ces jeunes hommes envoyés malgré eux sur le théâtre de l'horreur, la guerre... et ce, même s'ils ne la trouvaient pas juste, cette guerre.
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Très beau roman. le style choisit (avec une intégration des dialogues dans la narration, sans distinction syntaxique) s'accorde parfaitement au récit et à l'histoire de ces hommes à jamais marqués par leur participation aux événements d'Algérie. J'ai personnellement trouvé ça riche et lancinant.
Je recommande.
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Je savais que ce livre évoque cette guerre d'Algérie dont les conséquences m'interpellent à titre personnel, c'est la raison pour laquelle j'ai persévéré dans ma lecture alors que l'écriture chaotique adoptée par l'auteur avait tout pour me rebuter. Peut-être faudrait-il lire ce récit, brisé et déstructuré à l'image des protagonistes, à haute voix ?
La description de l'état de délabrement du personnage principal, Bernard dit Feu-de-Bois, s'étale sur la moitié des 280 pages du roman, comme la partie émergée de l'iceberg qui puise son origine dans la guerre d'Algérie, laquelle n'est réellement abordée qu'à partir de la page 133, au début du chapitre intitulé "Nuit", nuit de violences extrêmes dans laquelle les jeunes appelés sont plongés dès leur arrivée sur le terrain d'un conflit dont ils ignorent tout ou presque.
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