« On ne sait pas ce que sait une histoire, tant qu'on n'a pas soulevé celles qui sont en dessous, et qui sont les seules à compter » Des histoires cachées il y en a chez ces gens-là. Des non-dits, des silences, des souffrances des haines rentrées. Il suffit d'une réunion de famille, quarante après le retour de la guerre d'Algérie de Bernard, Rabut et Février, pour que tout s'enflamme. Et tout ça par la faute de Bernard ivrogne et presque clochard. Rabut, le cousin sera le narrateur. Mais c'est aussi son histoire comme celle de Février un copain de régiment. Une sale guerre, qui leur fait dire :on ne vaut pas mieux que les Allemands quand on terrorise dans les villages des femmes, des enfants, des bébés. Qu'est-ce qu'on fait ici, Est ce que les hommes de chez nous supporteraient l'éloignement de leur récoltes et les barbelés autour de leurs enfants. Et puis la peur des gardes de nuit, on ne sait pas pourquoi mais on a peur. Les copains du poste égorgés à cause d'une bagarre entre les deux cousins qui retarde le départ de la relève : silence. Ça n'a aucun sens d'être là, qu'on rentre à la maison. On ment partout. Et puis ils sont partis en abandonnant les harkis : on a regardé, sans rien dire, quand on les a obligés de boire de l'essence avant de les faire bruler vif. La guerre terminée Rabut et Février rentrent chez eux, pour reprendre une vie qu'ils pensent pouvoir être normale. Mais la sale guerre les a brisés. Ils n'en parleront à personne ni au village, ni à la famille : votre guerre ce n'était quand même pas Verdun. Il faut se taire. Sous cette blessure pour Bernard il y en a d'autres celles de l'adolescence, lui le mal aimé. Il est obsédé par l'argent gagné dans une loterie que va lui soustraire sa mère. Alors il a décidé ne pas rentrer au village et rêve qu'avec l'argent de la famille de Mireille, qu'il a connu en permission à Oran, il construira à Paris un grand garage, une nouvelle vie. Mireille n'aura pas l'argent et il faudra vivre en HLM à Paris. Tout est noir sans espoir. Quinze ans plus tard Bernard revient seul au village sans oser revoir sa mère et devient l'ivrogne Feux de Bois. Les plaies ne se referment jamais, elles deviennent des blessures béantes. Tout est sombre dans ce roman où on ne sait pas toujours qui parle. Les rancoeurs s'accumulent. Pour chacun la vie a été brisée par la sale guerre qu'on appelait les évènements d'Algérie. Mais bien sûr il y a plus que cela, on ne sait pas ce qu'est une histoire tant qu'on n'a pas soulevé celles qui sont en dessous. Ecriture nerveuse, précise, orale,
Laurent Mauvignier délivre un roman désespéré sur la condition humaine. Pas de paix de l'âme possible après la guerre pour ces anciens soldats, qui comme Rabut, rêvent de ne plus entendre le bruit des canons, les cris, de ne plus savoir l'odeur d'un corps calciné, ni l'odeur de la mort. Je voudrais savoir si l'on peut vivre quand on sait qu'il est trop tard.