Bashô Matsuo, poète japonais du XVIIème siècle, est considéré comme un des plus grands maîtres du haïku et l'un des plus vénérés au Japon. Les
cent onze haïkus qui composent ce petit recueil sont extraits de l'ensemble de son oeuvre, particulièrement riche.
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Chaque poème tente de capter et figer l'insaisissable, le temps qui s'enfuit.
D'un simple trait de sa plume sur la toile vierge,
Bashô dessine, avec légèreté et délicatesse, la beauté contenue dans la fugacité de l'instant, celui du plongeon de la grenouille, des stridulations de la cigale ou du chant de l'alouette, des pétales de roses jaunes qui tombent dans le silence, du fracas assourdissant du torrent, de la lumière du soleil.
Les mots qui me viennent à l'esprit sont « équilibre », « harmonie » et « accord ».
« Ah ! le vieil étang
une grenouille y plonge
le bruit de l'eau »
Hymne à la nature, à sa beauté.
Des moments autant ordinaires que magiques, aussi éphémères qu'éternels et immuables.
Des moments que malheureusement nous négligeons et n'apprécions pas à leur juste valeur.
Sa palette, uniquement composée de mots, cristallise ces moments uniques.
Chaque mot, évoquant l'écoulement des saisons, la beauté de la nature, le temps qui file, trouve sa juste place.
Et pendant le court instant de la lecture, le poème prend vie, le temps et l'espace s'évaporent avant d'être immortalisés sur la toile, laissant le lecteur avec des images, des sensations, des couleurs, des bruits, des émotions.
« Sur une branche morte
un corbeau s'est posé
crépuscule d'automne »
Le mouvement, figé dans l'immobilité de l'instant, est fugitivement esquissé.
« Au cours de sa chute
elle a déversé son eau
fleur de camélia »
Les mots, délicatement choisis, ont la légèreté du silence, l'opulence et la plénitude d'une vie simple et solitaire.
« Parfois des nuages
viennent reposer ceux qui
contemplent la lune ! »
Dans la sagesse et l'effacement, se cache l'étendue des émotions.
« le son de la rame
frappant les vagues glace mes entrailles
cette nuit – des larmes »
« On a l'impression
qu'il a cent ans ce jardin
tant de feuilles mortes »
La dualité saisit le lecteur.
Jeu de contrastes.
La légèreté des mots, pareils à de la soie, s'oppose au poids des idées, de leur sens et des non-dits.
« Ah ! Tranquillité
et jusqu'au coeur des rochers
le chant des cigales ! »
Souvent, les mots éclairent l'obscurité de la nuit.
« La nuit de printemps
s'achève, le jour se lève
sur les cerisiers ! »
Le poète suspend l'écoulement du temps, la perception de l'instant.
Il touche les émotions liées à la vie : le contentement, les regrets, la solitude, la vieillesse, la mort.
Apaisement. Plénitude. Acceptation.
« le pont suspendu
et comme enlaçant nos vies
les plantes grimpantes »
« Usé par le temps
mon coeur le sait et le vent
transperce mon corps »
« Elles vont mourir
pourtant pas le moindre signe
le cri des cigales »
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Souvent mystérieux, parfois obscur en raison de la distance culturelle et temporelle, ce petit recueil d'une richesse et d'une profondeur infinie, se compose d'une succession de petites toiles de maître. Il offre des instants de sérénité où le silence est d'or.
A chaque nouvelle lecture, des images apparaissent, des souvenirs effleurent la pensée, des émotions dans lesquelles chacun peut se retrouver.
Des émotions qui sont propres à chacun.
Petite parenthèse dans notre vie trépidante, il se déguste dans la solitude, lentement, en prenant son temps.
Juste quelques lignes avant de s'endormir.
Une invitation à la rêverie et la contemplation.