AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,93

sur 704 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Nasstaja Martin est une anthropoloque spécialisée dans les peuples arctiques, détentrice d'une thèse sur les Gwich'in d'Alaska et du Yukon. Ici, direction la péninsule du Kamtchatka dans l'extrême-orient sibérien chez les Evènes, plus particulièrement dans un clan ayant fait le choix de vivre en forêt profonde au plus près de la nature pour retisser un dialogue avec les être non humains qui parcourent leur territoire.

Le sujet en soi est passionnant mais là il devient captivant, c'est par le je de l'auteure qui raconte sa transformation après avoir survécu à une attaque d'ours qui lui a déchiqueté le visage. Mais là, où n'importe qui n'aurait lu dans cet événement qu'une simple attaque, terrible mais une attaque, Nasstaja Martin propose une autre lecture, celle d'une confrontation.

Un des évènes dont elle proche lui explique que si elle a été attaqué, c'est parce que son regard a croisé celui de l'ours, et que lorsque ce dernier y a vu un fonds commun, un miroir de son âme. Nasstaja Martin explique d'ailleurs comment, avant la rencontre avec l'ours, elle était déjà surnommée « matukha », l'ourse, comment ses rêves préfiguraient le moment, peuplés d'ours.

Cette vision des choses est forcément troublante et déstabilisante pour un occidental non initié à l'animisme. Il faut l'accepter pour apprécier ce récit très singulier, très éloigné du naturalisme qui voit en l'animal une altérité. Nasstaja dit être devenue une « miedka », «  celle qui vit entre les mondes » un être qui est passé sans retour au-delà des frontières de la normalité humaine, portant une part d'ours en elle, comme l'ours en porte une d'elle en lui.

Bien sûr, le récit narre aussi du très factuel comme le marathon médical de la reconstruction faciale, mais c'est avant tout une plongée dans la pensée vive et habité d'une femme incroyable de force et de caractère, quasi un manifeste en quête de guérison ontologique. Cela fuse tellement que c'en est un tourbillon, parfois complexe à suivre, mais cela ne m'a pas gênée, sans doute parce que ce voyage intérieur tout en mouvement est conté avec une écriture toute aussi intense que le propos. Nasstaja Martin est une écrivaine, c'est une évidence.

Un récit captivant et iconoclaste, secoué d'émotions fortes, qui pousse indéniablement à une réflexion profonde sur nos valeurs occidentales et notre rapport à la nature. Suffisamment puissant pour chambouler nos certitudes.


Commenter  J’apprécie          1235
"Avec Croire aux fauves, Nastassja Martin renoue le lien que l'anthropologie entretient avec la littérature. En effet, c'est bien d'un texte littéraire qu'il s'agit là. À l'image de la cosmologie animiste qu'étudie l'auteure depuis des années, il vient nous parler d'intériorité, d'âme partagée avec tous les êtres. Il unie le poétique et le rationnel, l'extérieur et l'intime. Car qu'y a-t-il de plus intime que de se retrouver dans la gueule de l'ours ? Sentir son haleine pestilentielle, vivre le noir qui y règne, les crocs de l'animal qui défoncent la mâchoire, dents contre dents. Être mangée par un ours. Croquée par un ours. Et en sortir vivante.(...)
Pour Daria, la cheffe de clan évêne qui l'accueille depuis des années à Tvaïan, « l'un des bouts du monde, pour de vrai », dans les montagnes du Kamtchatka aux confins de la Sibérie, Nastassja Martin était déjà, Matukha, ourse ; la chercheuse voyait souvent l'animal la nuit en songe. Lorsque le rêve « rejoint l'incarné », qu'elle rencontre l'ours sur son chemin, qu'ils se fixent dans les yeux, et que celui-ci broie sa tête mais pas tout à fait, lorsqu'elle lui plante un piolet dans le corps, lorsque les deux survivent à cela, « le temps du mythe devient réalité ». Et la jeune femme devient Miedka, « moitié-moitié », celle dont les rêves sont en même temps ceux de l'ours.
Devenir femme-ourse, entrer de plain-pied dans la zone métamorphique lors d'une rencontre qui réactualise un mythe premier, sans perdre de vue le processus, voilà ce que raconte l'écrivaine dans ce texte hors-norme qui nous explique notre époque comme aucun autre. En résonnance, dit-elle. Nastassja Martin fait oeuvre d'anthropologie ; la « rencontre de l'entre-deux mondes » avec l'ours lui donne accès à un espace « entre l'humain et le non-humain » (...)
À la croisée des zones, à son retour de « cet endroit très spécial où il est possible de rencontrer une puissance autre, où l'on prend le risque de s'altérer, d'où il est difficile de revenir » , débordée par ses rêves et occupée à survivre physiquement à la rencontre violente avec un ours, l'anthropologue est devenue elle-même poreuse au monde des non-humains, elle est devenue l'un de « ces êtres qui se sont enfoncés dans les zones sombres et inconnues de l'altérité et qui en sont revenus, métamorphosés, capables de faire face à ce qui vient de manière décalée , ceux qui font à présent avec ce qui leur a été confié sous la mer, sous la terre, dans le ciel, sous le lac, dans le ventre, sous les dents. »
Ce qui se passe après cette implosion des frontières, le séjour de Nastassja Martin dans les hôpitaux russes, ses sentiments, les interventions chirurgicales, les nouvelles opérations en France, le regard porté par notre société sur elle, sur l'ours, sur son histoire, sa détresse, les réactions de son entourage, tout est documenté dans le livre. (...)
En tant que chercheuse, occidentale, et femme-ourse, elle parle depuis cette zone de mouvement qu'elle habite désormais entre les mondes et leurs différentes interprétations.
Cette histoire pourrait être l'un des récits des temps à venir, des temps où nous sommes déjà. À travers elle, Nastassja Martin nous donne la réponse de l'animisme, quand ce qui nous différencie les uns des autres n'est qu'une enveloppe extérieure. Elle nous raconte un moment de création archaïque. (...)
L'union implosive de la femme et de l'ours, ainsi que ce qui en découle, nous dit Nastassja Martin, correspond aux processus mythiques de l'avant spéciation. C'est, dit-elle, l'endroit exact où nous nous trouvons aujourd'hui, avec l'effondrement écosystémique global. Les êtres s'hybrident, des espèces se mélangent entre elles pour en créer de nouvelles ; les animaux et les plantes, tout se recompose à grande vitesse. et « on est à un moment crucial de l'histoire où l'on peut vraiment repenser nos manières de nous relier au vivant, et même repenser le vivant, puisque le vivant est lui-même en train de se repenser. » *
Et c'est bien ce que fait Nastassja Martin, dans ce livre essentiel, ancre, chercheuse, habitante des zones liminaires, elle qui s'est trouvée mélangée à l'ours dans un moment de genèse, elle se repense à travers l'évènement « qui doit être mangé et digéré pour faire sens », et, ce faisant, elle nous repense nous, dans ce vivant qui se métamorphose sous nos yeux."
Kits Hilaire dans Double Marge (Extrait)
* Nastassja Martin dans Par les temps qui courent, France Culture
Lien : https://doublemarge.com/croi..
Commenter  J’apprécie          930
Elle s'appelle Nastassja Martin, mais sa famille et ses amis l'appellent Nastia, elle est anthropologue, spécialiste des populations arctiques. Dans ce surprenant et puissant récit autobiographique, proche de l'onirisme, j'ai été emporté comme dans une vague.
Ce jour-là, le 25 août 2015, Nastassja Martin se trouve aux confins de la Sibérie, dans les montagnes du Kamtchatka où sa mission l'a entraînée, avec deux autres compagnons de route, elle entreprend une expédition de plusieurs jours dans le massif du Klioutchevskoï, le plus haut volcan du Kamtchatka.
S'étant éloignée durant quelques instants de ses compagnons de route, sa rencontre brutale et édifiante avec un ours ne va durer que quelques secondes, quelques secondes à la fois tragiques et miraculeuses où elle s'en tire vivante. Mais l'ours, qui vient de lui déchiqueter le visage et qui a peut-être fait le choix de la laisser en vie, va modifier le cours de son existence.
Parfois on appelle cela un événement fondateur. Elle parle, elle, d'une rencontre. Les chirurgiens, tour à tour russes puis français, qui l'opèreront plus tard utiliseront d'autres termes.
J'ai aimé entendre ici, dans les mots de Nastassja Martin, que rien n'arrive par hasard et que les trajectoires de vie se croisent toujours pour des raisons bien précises.
Mais que s'est-il réellement passé ce jour de 25 août 2015 ?
Là-bas, une amitié forte s'est liée entre l'anthropologue française et des membres du peuple évène, une population animiste, dont les pratiques en harmonie avec la nature, séduisent l'autrice, et je dois avouer qu'elles me séduisent aussi. Elles sont aussi marquées par de vieilles légendes ancestrales qui donnent la part belle à cette relation entre les humains et les non-humains. Cette harmonie va jusqu'à interpréter le geste de l'ours. Ses amis évènes considèrent qu'elle est devenue un être hybride depuis sa « rencontre » avec l'ours. Elle est devenue miedka (marquée par l'ours et ayant survécu à la rencontre).
Cet ours qui lui a déchiqueté le visage, mais qui aurait pu la broyer tout entière dans son corps fragile, lui a offert ce privilège de la laisser en vie. Elle est une survivante, elle est celle qui revient. Elle est celle qui réfléchit et chemine désormais. Elle quitte une forêt pour revenir dans la sienne, intérieure, ombrageuse.
Être défigurée, qui plus est par un ours, c'est entrer pour elle dans une métamorphose.
Tandis que son visage se reconstruit, voici que d'autres failles viennent, ailleurs, dans les abysses de l'âme.
J'ai aimé les mouvements et les variations de ce récit, cette dualité qui parle sans arrêt entre les mots, entre les pages, comme une vague, oscillant entre le réel et l'irréel.
Le texte est exigeant, mêlant l'expérience d'une scientifique de terrain à la réflexion philosophique et au voyage onirique. C'est magnifiquement bien fait et l'écriture est de toute beauté.
C'est l'occasion de remettre en question le parcours de sa vie, sa relation avec sa mère, entre elle et l'ours une histoire va se construire par-delà les frontières de la réalité.
Croire aux fauves, c'est croire à l'impossible, à ce qui nous est peut-être impalpable, peut-être invisible. C'est croire enfin aux blessures intérieures qui sont peut-être plus fortes.
Pour l'un de ses amis évènes, il n'y a pas de doute : son regard a certainement croisé celui de l'ours, une plongée du regard de la bête dans l'âme de la belle.
Elle écrit les choses qu'elle ressent sur deux petits carnets, l'un diurne, l'autre nocturne, selon ses humeurs, ses envies. J'adore cela. Je n'avais jusqu'à présent qu'un seul carnet pour écrire mes ressentis notamment sur des lectures, je vais peut-être suivre cette idée.
Elle y pose des choses fortes, traversant ses territoires intimes avec une conviction forte et déterminée.
Mais l'important du récit n'est pas l'opération, ni la guérison, c'est bien sur un autre territoire presque magique que nous convie l'autrice. Une tout autre reconstruction, un cheminement, quelque chose qui va la transformer et dont elle se sent prête à accomplir.
Il y avait le monde d'avant cette méchante griffure d'ours. Il y aura le monde d'après.
Elle sait qu'elle portera longtemps en elle, peut-être pour toujours la trace de l'ours sur son visage et dans ses abîmes intérieurs.
C'est désormais comme une bête qui sommeille en elle, tandis qu'une forêt là-bas l'attend. Une fois guérie, réparée, elle rêve de repartir là où son itinéraire s'était arrêté. Retrouver peut-être la bête, qui sait... Ce voyage du retour au milieu de ses rêve obsessionnels a quelque chose de chamanique.
Croire aux fauves, c'est croire à l'impossible. Mais c'est croire aussi à ce qui est possible.
Ce récit sincère et sans complaisance est nourri d'introspections, mais aussi d'un magnifique voyage aux confins de la Russie. C'est l'occasion de découvrir un peuple inconnu, oublié, les Évènes, que je ne connaissais pas.
Ici aussi c'est la respiration d'un peuple dont les modes de vie sont en voie de disparition.
Je suis ressorti de ce texte à la fois envoûté et empli d'un immense respect pour cette tranche de vie que nous partage l'autrice en nous faisant plonger sans concession dans ses abysses intérieurs.
Ici sont évoqués avec beaucoup de beauté les mystères que nous n'avons pas fini de comprendre.
Dans le contexte d'une planète bousculée, fragilisée, menacée, comment ne pas voir ici de magnifiques gestes et messages donnant sens au lien que nous devons nouer ou renouer avec la nature et dans notre rapport au monde.
Un récit essentiel, au-delà de la seule introspection d'une anthropologue en mal d'ours...
Ce soir il y a une forêt qui palpite en moi.
Commenter  J’apprécie          5921
Ce que j'ai ressenti:

"Il n'a pas voulu te tuer, il a voulu te marquer. Maintenant tu es miedka, celle qui vit entre les mondes."

Ça aurait pu être moins violent, mais alors, ça n'aurait pas eu la même résonance. Ça ne m'aurait pas tant affectée. Ça ne m'aurait pas tant « marquée ». Ça ne me disait trop rien avant, cette notion d'animisme. Et là, ça m'a traversée de part en part. Ce n'est pas tant la morsure, c'est plus ce phénomène étrange où tu ressens cette connexion. Une connexion avec le fauve. Ça aurait pu être qu'un doux rêve, mais ça n'aurait pas rempli alors, chaque atome de ton corps, chaque synapse de ton esprit, chaque parcelle de ton âme. Il fallait un choc. Ni un accident, ni un cauchemar, plus de l'ordre d'une nouvelle naissance ou d'un don d'amour féroce. Croire aux fauves est un choc de cette ampleur. Tellement intense que tu ne t'en remets jamais tout à fait, tellement vivant que tu ne peux plus jamais ordonner les limites. C'est un avant-après qui désoriente tout. Et c'est tellement mieux comme ça! Perdre ses repères pour que ça vienne de remuer à l'intérieur comme jamais auparavant, pour te relier au vivant. Te Relier à l'équilibre instable entre la vie et la mort, où l'animal sauvage peut entrer et communiquer dans une langue qui n'a pas de mots, qui a juste des crocs…Il me fallait un choc violent, sinon, tout cela n'aurait pas eu lieu, ce sentiment fort d'avoir lu un livre exceptionnel.

"Je veux du sombre, une grotte, un refuge, je veux des bougies, la nuit, des lumières douces et tamisées, du froid dehors, du chaud dedans et des peaux d'animaux pour calfeutrer les murs."

Parce que cette anthropologue a été attaquée par un ours, il nous en reste une expérience unique de lecture… Quelque chose entre la résilience, le pardon, la force et la libération. C'est sensible, poétique, presque intuitif, incroyablement sensoriel, étonnamment instinctif. La plume de Nastassja Martin est puissante. Elle t'arrache de la chair, des pleurs, des mots, des préjugés pour te faire comprendre le pouvoir grandiose de l'esprit animal. Croire aux fauves. Croire à cette interaction. Et puis, la laisser faire son chemin en toi…J'ai fait silence en moi, et je peux vous dire que j'ai pu Croire aux fauves au-delà des limites physiques, et revenir de cette lecture avec l'empreinte d'un ours sur le coeur…Une fusion.

"Pour continuer à vivre, il ne faut pas penser aux mauvaises choses. Il n'y a que l'amour qu'il faille nous rappeler à nous."


Ma note Plaisir de Lecture 10/10
Lien : https://fairystelphique.word..
Commenter  J’apprécie          321
Peu bavard comme livre, mais fameux en tourbillons. Avec des tripes, un zygomatique foutu, une tronche en titane, des arbres qui vous espionnent, un combat d'ours et de fille mille fois revécu.

Une sorte de syndrome de Stockholm sur la personne d'un ours du Kamtchatka. L'auteur a manifestement déchaussé ses rangers d'anthropologue pour revivre à ras la toundra son baiser mortel avec lui. Comme abandonnant les distances de rigueur de son métier, elle semble replonger sans fin dans le fracas terrible de cette rencontre-combat.

Dans une invitation rituelle toujours recommencée, elle convoque le fauve, qui l'à-demi mangea, pour rejouer l'étrange cérémonie chamanique où ils ne feraient plus qu'un. Où tout serait lissé, où elle s'abandonnerait à une rencontre voulue depuis toujours par les esprits de la forêt. Seul cataplasme pour fermer les yeux et flotter dans une danse de neige et d'oubli bienfaisant.

Une fusion que les indigènes ont nommée, elle est celle-à-moitié-humaine-à-moitié-ourse. Elle en a l'étrange prestige et les terrifiants maléfices.

J'ai été emportée par ce récit, fascinant comme un cahier secret oublié dans un grenier et qui nous fait plonger immédiatement dans ses paysages et ses obsessions.

Sans oublier les très beaux portraits des Evènes, qui l'ont longtemps accueillie, dans un climat où l'individu ne peut subsister qu'au sein d'un Nous. Un Nous qui ne peut lui-même subsister qu'en osmose étroite avec la Nature, éparpillée entre tous les êtres et les esprits qui la composent. Comme le lui dit le vieux sage gwich'in : la forêt est constamment « informée », tout est « enregistré » par les arbres, les animaux, les rivières.

L'anthropologue a cédé, l'onirisme échevelé a tout emporté, merci à la femme-ourse de nous avoir livré son fantastique voyage.
Commenter  J’apprécie          292
"En ce jour du 25 août 2015, l'événement n'est pas: un ours attaque une anthropologue française quelque part dans les montagnes du Kamtchaka. L'évènement est: un ours et une femme se rencontrent et les frontières entre les mondes implosent".
Cela demande sans doute un certain courage et une force résiliente de chercher ainsi à inscrire ce qu'on peut qualifier de terrible agression en élément fondateur.
Natasjassa Martin, alors jeune anthropologue mais déjà aguerrie aux forêts du Kamtchatka, se retrouve face à un ours. Un combat s'ensuit, dont elle sort miraculeusement vivante après avoir été un instant dans la gueule du fauve, au point d'entendre les os de son crâne craquer sous les machoires de l'ours.
Cette attaque l'amènera à un premier hôpital en Russie puis un deuxième en France - la Salpétrière, plusieurs opérations et une longue convalescence pendant laquelle elle s'interrogera sur le sens de cette rencontre à un niveau symbolique. Bien avant cet événement, en fait, l'ours était déjà présent dans son histoire à travers ses rêves mais aussi les récits que lui faisaient sa famille d'adoption au Kamtchatka, récits mythiques dont elle s'est trouvée imprégnée de par son métier d'anthroplogue.
Le récit qu'elle en fait ici est empreint de cette recherche presque mystique d'un sens face à la violence qu'elle a vécue, pas seulement celle des morsures mais aussi celles des regards posés sur elle, meurtrie, défigurée une fois de retour en France. Cette introspection est fascinante, cherchant à atteindre le point de névralgie en tournant toujours plus près autour de lui pour en dévoiler le mystère.
Un récit magnifique, sauvage, ancré au coeur de quelque chose de plus profond qui a ébranlé la jeune femme dans le passé, la disparition de son père. Un récit que je n'aurais jamais sans doute jamais découvert si une amie ne me l'avait pas offert, un magnifique cadeau à lire et relire!

Commenter  J’apprécie          260
Quand on se retrouve avec un livre d'une telle qualité entre les mains on ne peut que remercier les "vrais libraires".
Cette jeune femme est anthropologue, et les grands espaces glacés sa seconde maison.
Elle se trouve au Kamtchatka pour son travail, elle y a des amis autochtones là bas qui entretiennent un lien particulier avec la nature, quasiment de l'animisme, et elle y adhère parfaitement. Des pages superbes.
Elle entre en "collision " avec un ours qui la défigure, l'abîme, mais la laisse en vie.
Elle est d'abord soignée en Russie dans un petit hopital, puis à La Salpêtrière et à Grenoble; et les chicaneries franco-russes, puis Paris-province ne manquent pas de sel.
Mais Nastassja Martin, veut comprendre le sens de cet accident, ce morceau d'elle dans l'ours et un peu de l'inverse aussi . Toute la qualité de ce questionnement se trouve dans les pages de ce récit vécu comme une re-naissance à un monde où chaque matière vivante est connectée à l'autre. Animisme, chamanisme sont les secrets que veut percer cette jeune femme à qui est arrivé cet accident pour le moins étrange. Vraiment un très beau texte.
Commenter  J’apprécie          252

Le 25 août 2015, tandis que l'anthropologue Nastassja Martin, spécialiste des populations arctiques, explore les montagnes du Kamtchatka (Extrême-Orient russe), elle se fait surprendre par un ours qui lui arrache une partie de la mâchoire. Elle est immédiatement transportée en hélicoptère dans un hôpital de Petropavlovsk où elle subit plusieurs opérations avant d'être rapatriée en France. Elle sera de nouveau opérée à La Salpêtrière puis rejoindra sa maison familiale dans les Alpes pour se reposer. Mais la nécessité de repartir s'imposera rapidement à elle : elle s'envolera de nouveau vers les montagnes du Kamtchatka pour retrouver les amis qu'elle a laissés là-bas et surtout, pour tenter d'analyser, de nommer, de donner du sens à ce qu'elle a vécu.
Si l'on s'en tient aux faits, ils sont ci-dessus résumés en quelques phrases. Rencontrer des ours dans ce lieu du bout du monde n'a rien d'étonnant : on dénombre environ 15 000 ours bruns sur ce territoire de volcans. C'est la plus grande concentration mondiale. Généralement, l'ours n'est pas agressif mais il peut lui arriver d'attaquer, notamment s'il a faim ou s'il a peur. Dans cette rencontre entre la femme et l'animal, les deux ont été surpris, aussi bien elle que lui.
Vous imaginez bien que dans cette région, les légendes, les croyances autour de l'ours sont nombreuses : l'on dit par exemple qu'un ours qui regarde un homme dans les yeux croit s'y voir lui-même, comme s'il découvrait son double dans le monde des hommes. Dans ce cas, si l'ours tue l'homme, il peut revenir parmi les siens. Sinon, une partie de lui reste parmi les hommes.
Et si, dans le sens inverse, Nastassja, dont le visage a été « avalé » par l'ours, avait d'une certaine façon pénétré le monde animal, si elle était devenue elle aussi une part de l'animal, comme si les frontières entre les deux mondes avaient disparu ? C'est précisément là-dessus que s'interroge l'anthropologue : en effet, elle a l'impression que son corps est « un territoire envahi ». « Il y a eu nos corps entremêlés, il y a eu cet incompréhensible nous, ce nous dont je sens confusément qu'il vient de loin, d'un avant situé bien en deçà de nos existence limitées. » Et si son corps avait été, était encore (et pour toujours) le territoire d'un autre ? Et si elle était devenue une espèce d'être hybride, « moitié femme moitié ours » ? Cette légende qui lui est racontée lors de son second voyage explique peut-être le malaise profond qu'elle ressent après cet accident, malaise que les médecins psychologues français tentent de soulager en se focalisant uniquement sur la jeune femme (enfance, décès du père etc. etc ...) sans penser finalement que l'on est un tout, que l'on appartient à l'univers, que l'on fait un avec l'univers… Nastassja est persuadée que les médecins, en étudiant son cas et en le coupant du monde, font erreur car elle est le monde, elle « porte une part de l'ours en elle », de même que l'animal porte en lui une part d'humanité.
« Je pense à tous ces êtres qui se sont enfoncés dans les zones sombres et inconnues de l'altérité et qui en sont revenus métamorphosés, capables de faire face à « ce qui vient » de manière décalée, ils font à présent avec ce qui leur a été confié sous la mer, sous la terre, dans le ciel, sous le lac, dans le ventre, sous les dents. »
Dorénavant, elle sera l'ours, le portera en elle, de même qu'il sera la femme et la portera en lui…
J'ai vraiment trouvé cette réflexion fascinante car elle nous ouvre, nous Occidentaux très rationnels, à une réflexion sur notre rapport au monde, à la nature, aux animaux. L'accident de Nastassja, en lui faisant faire un pas de côté, lui a permis de reconsidérer le monde : « J'ai vu le monde trop alter de la bête ; le monde trop humain des hôpitaux. J'ai perdu ma place, je cherche un entre-deux. Un lieu où me reconstituer. Ce retrait-là doit aider l'âme à se relever. Parce qu'il faudra bien les construire ces ponts et portes entre les mondes... » Nastassja réalise qu'elle fait partie d'un tout et considérer ce tout est pour elle le seul moyen de la rendre à elle-même ou plus exactement de lui permettre de trouver un équilibre entre les deux éléments qui la constituent dorénavant : femme (l'humain) et bête (la nature).
Par ailleurs, et alors que je ne m'y attendais vraiment pas, le témoignage de Nastassja lorsqu'elle évoque son opération à la Salpêtrière dans le service maxillo-facial, son rapport à sa chirurgienne et aux amis qui l'entourent m'ont vraiment fait penser aux paroles de Philippe Lançon dans le lambeau. le même ressenti, les mêmes sensations… J'étais très surprise de retrouver les mêmes mots dans la bouche de personnes ayant vécu des expériences si différentes.
« Croire aux fauves » est un petit livre qui nous amène à réfléchir à notre place dans le monde : nous nous pensons les maîtres, nous croyons tout dominer, nous osons ne rien respecter. Espérons que le « pas de côté » que nous vivons actuellement nous fera reconsidérer ce que nous sommes, revoir nos pratiques, accepter la porosité entre la nature et nous-même et retrouver enfin une certaine forme d'harmonie sans laquelle il n'y aura pas de paix.
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
Commenter  J’apprécie          181
« Je me demande un instant si l'ours va revenir, pour m'achever, ou pour que je l'achève, moi – ou bien pour que nous mourrions tous les deux dans une ultime étreinte. » (p. 5) Attaquée par un ours quelque part au milieu du Kamtchatka, l'autrice est une miraculée. « Lui sans moi, moi sans lui, arriver à survivre malgré ce qui a été perdu dans le corps de l'autre ; arriver à vivre avec ce qui y a été déposé. » (p. 5) Des jours d'hôpital, d'abord en Russie, puis en France, pour retrouver visage humain. Tout le monde la dévisage. D'abord parce qu'elle a changé physiquement, mais surtout parce qu'elle a survécu et qu'elle semble différente. Cette nouvelle identité, Nastassja doit l'apprivoiser. « Je suis en train de devenir quelque chose que j'ignore ; ça parle à travers moi. » (p. 22) Et pour guérir complètement, l'anthropologue française retourne en Russie, là où a commencé sa métamorphose après sa puissante étreinte avec l'animal.

Dans ce récit court et incisif, l'autrice évoque une certaine relation au monde. Elle présence ce dernier dans une vision où l'homme n'est pas central, mais connecté, sous réserve qu'il se donne la peine de s'ouvrir à l'altérité. « Je me dis qu'il vaut mieux que j'accepte mon inadéquation, que je m'arrime à mon mystère. » (p. 39) Il est question d'animisme et de souffrance des écosystèmes. À l'image de son corps supplicié par la mâchoire du fauve, Nastassja Martin présente la nature en proie aux activités humaines. Et elle invite l'homme à plus de tempérance et de respect envers ce qu'il ne comprend pas, mais cherche pourtant à dominer. « Je dis qu'il y a quelque chose d'invisible, qui pousse nos vies vers l'inattendu. » (p. 67)

J'ai lu ce roman d'une traite, fascinée par la clarté du propos de l'autrice. Et avec l'envie puissance de rererelire L'ours, histoire d'un roi déchu, de Michel Pastoureau...
Commenter  J’apprécie          170
« Maintenant tu es miedka, celle qui vit entre les mondes », lui dit à l'hôpital son ami Andreï, lui enjoignant de pardonner à l'ours, qui l'a « marquée » en la défigurant. Désormais « moitié femme moitié ours », se vivant comme telle, Nastassja Martin raconte dans ce texte l'incroyable événement à l'origine de cette hybridation, l'improbable rencontre sur les pentes glacées du plus haut volcan du Kamtchatka entre elle et ce fauve, l'ours qu'elle blesse d'un coup de piolet, mais qui lui a mordu une jambe, après lui avoir agrippé le visage dans sa gueule, et qui emporte dans sa fuite un morceau de sa mâchoire. « Il y a quelque chose d'invisible, qui pousse nos vies vers l'inattendu »… Attachée à cette idée d'une force imparable du destin, se rappelant aussi les prédictions en forme d'avertissements des amis évènes dont elle partageait la yourte et dont la culture faisait l'objet de son travail de terrain en anthropologie, l'auteure explore toutes les implications de cette métamorphose, montrant pourquoi sa propre transformation réalise ce rêve animiste d'un au-delà – ou d'un en-deçà – de la dualité nature/culture, redonnant sens aux mythes fondateurs des communautés qu'elle a étudiées, à cette harmonie entre les hommes et les autres êtres vivants – « Vivre en forêt c'est un peu ça, écrit-elle p.142, être un vivant parmi tant d'autres, osciller avec eux » - que nous avons perdue dans notre Occident cloisonné. Et d'inviter à « croire aux fauves », à déconstruire les frontières artificielles entre la société humaine et le reste de l'univers, et finalement… arriver à convaincre le plus sceptique, le plus cartésien des lecteurs ! Cette leçon anthropologique, à laquelle son aventure donne chair, cette méditation sensible sur la porosité des mondes est d'autant plus agréable à écouter qu'elle se construit en parallèle du récit, plein de péripéties, de l'épopée hospitalière vécue par l'auteur, d'une base russe secrète du Kamtchatka à l'hôpital de Grenoble, en passant par celui de Petropavlosk et la Pitié Salpétrière. « Ma mâchoire est devenue le théâtre d'une guerre froide hospitalière fanco-russe », écrit-elle (p.64), avant de raconter, avec beaucoup de saveur, comment cette mâchoire devient aussi le terrain d'un conflit Paris-Province, « surbookés » des usines hospitalières de la capitale contre « compétents » des paisibles établissements régionaux ! Humour, mélancolie, magie, puissances de la poésie… voici les armes convaincantes de l'écriture de la guerrière « Nastia », offrant ce récit formidable après nous avoir déjà complètement séduits en 2016 avec « Les âmes sauvages », cet essai d'anthropologie, aux importantes implications culturelles et politiques, étudiant un peuple d'Alaska à la survie menacée ! En ces temps d'extrême péril pour notre environnement, lire Nastassja Martin est plaisir autant qu'urgence…
Commenter  J’apprécie          170




Lecteurs (1495) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1742 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}