AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Charybde2


La profonde lassitude d'un activiste face à l'inaction climatique, qui prône désormais, en toute rationalité, et en démontant le mythe de la non-violence, le passage à l'éco-sabotage ingénieux et déterminé.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/01/23/note-de-lecture-comment-saboter-un-pipeline-andreas-malm/

Historien suédois spécialisé dans ce que l'on appelle désormais l'anthropocène (ou de plus en plus le capitalocène) – à savoir l'impact de la révolution industrielle, sous ses formes évolutives, sur les paramètres climatiques et écologiques de notre planète -, activiste infatigable, Andreas Malm compte parmi ces témoins et chroniqueurs de l'urgence contemporaine qui sont désormais saisis, de plus en plus brutalement, par l'insuffisances des efforts entrepris pour mitiger les catastrophes en cours, malgré un degré sans précédent de pression sociétale (on songera par exemple à l'évolution d'un Hervé Kempf, entre son « Comment les riches détruisent la planète » de 2007 et son « Que crève le capitalisme » de 2020). Une radicalisation, donc, qui découle du cynisme du capitalisme des énergies fossiles, avec toutes ses ramifications et tous ses lobbyistes hardiment déployés, tant que cela rapporte (« Même la dernière goutte d'essence permet encore d'accélérer », comme le rappelait la première phase du roman d'Andreas Eschbach, « En panne sèche », en 2007 également).

Son quatrième ouvrage, « Comment saboter un pipeline », paru presque simultanément en 2020 en anglais et en français (traduit par Étienne Dobenesque aux éditions La Fabrique), décrit rationnellement, par le rappel historique et par la mise en perspective des actions présentes du lobby fossile, la nécessaire radicalisation de nos mouvements de protestation vis-à-vis des acteurs de l'inertie de plus en plus criminelle en matière climatique. Passant en revue les actions pourtant courageuses et décisives des mouvements contemporains les plus actifs, du précieux travail de Greta Thunberg aux vastes événements mis en oeuvre par Extinction Rebellion, Ende Gelände (l'évacuation policière plus que musclée de la ZAD de Lützerath a pris place en janvier 2023) et quelques autres, il conclut néanmoins avec une certitude minutieusement argumentée à l'insuffisance de ces actions, coincées par le tabou de la non-violence.

Dans une démarche qui pourrait évoquer celle du « Se défendre » d'Elsa Dorlin en matière de féminisme, il montre comment la non-violence a systématiquement, dans l'histoire, atteint ses limites pratiques beaucoup plus tôt et plus vite que ce que les véritables mythologies construites ex post laissent généralement supposer. Lutte contre l'esclavage, suffragettes, mouvement des droits civiques, victoire sur l'apartheid, révolte contre la poll tax thatchérienne, la plupart des luttes de libération nationale face au colonialisme (et même l'indépendance de l'Inde avec la figure si emblématique du mahatma Gandhi) : dans tous les cas, la possibilité de la violence faisait partie de l'arsenal, qu'elle ait été utilisée in fine, massivement ou non. C'est aussi toute la théorie, défendue par la majorité des historiens des mouvements sociaux, de l'influence du flanc radical sur les réformes arrachées aux propriétaires et à leurs relais juridiques étatiques. Encore faut-il ne pas se laisser leurrer par l'amalgame si souvent utilisé par le capitalisme ou la domination, une fois « sur la défensive », assimilant en une judicieuse manipulation la violence contre les biens à la violence contre les personnes. Comme le rappelait l'écosaboteur, en fiction et en réalité, que fut Edward Abbey avec son « Gang de la clef à molette » (1975), c'est bien la violence contre les biens qui est historiquement efficace – et qui effraie surtout les possédants et leur pouvoir, justement.

Andreas Malm, patiemment, renverse les analogies des tenants d'un pacifisme absolu en matière d'écologie. Comme l'avaient aussi parcouru les autrices et auteurs de l'ouvrage collectif « le livre des places », les mobilisations pacifiques (on ne parle pas ici des violences engendrées par la répression même de ces rassemblements, bien entendu), même relativement massives, demeurent plus souvent qu'à leur tour impuissantes à obtenir des résultats concrets, les printemps arabes et les révolutions orange sont plutôt l'exception que la règle, correspondant à des pouvoirs déjà largement fragilisés – quand elles n'entraînent pas, quelques années plus tard, des « retours de bâton » significatifs. Dans cette dénonciation – restant mesurée, mais parfaitement déterminée – du pacifisme stratégique, qu'il accuse notamment de détourner les réalités historiques et de pratiquer un faux parallélisme récurrent -, Andreas Malm encourage de toute sa voix la mobilisation non-violente, mais réclame en effet, face à l'urgence et à la mauvaise volonté intrinsèque et évidente de pouvoirs mollement complices du capital fossile, de ne plus répugner désormais à s'en prendre aux biens concernés – dont le pipeline constitue une forme de résumé symbolique, alors que des centaines d'autres cibles tout aussi efficaces sont disponibles, tout particulièrement celles qui témoignent au jour le jour, sous forme de nouveaux projets identiques aux anciens, du mépris capitaliste jusqu'au-boutiste et toujours réaffirmé.

Lien : https://charybde2.wordpress...
Commenter  J’apprécie          90



Ont apprécié cette critique (7)voir plus




{* *}