"Chère lectrice !"
... sont les premiers mots qui vous explosent à la figure en ouvrant ce fascinant fascicule, et la menace devrait être suffisante. Messieurs, passez votre chemin ! Si toutefois l'ouvrage de Debbie la Torride vous attire par ses promesses secrètes, ayez la décence de le lire en cachette, ou mettez au moins votre masque.
Car ceci n'est pas n'importe quelle gnognotte feel-good, mais un authentique Harlequin cuvée 1996, destiné exclusivement à nous, les Femmes Véritables, avec tout ce qui va avec ! Waoouuh, comme on dit... !
Il est rare que la boîte à livres chez mamie regorge de trésors, mais le premier tour juste après le confinement était un total Waterloo littéraire. Cependant, le brûlant désir d'emporter au moins UN livre a dirigé ma blanche main vers cet irrésistible titre. Debbie nous promet une passionnante excursion parmi les descendants des chercheurs d'or, en nous offrant, si j'ose dire, cette éblouissante pépite prélevée avec soin dans un inépuisable filon romanesque.
Et comme je me suis souvenue que j'ai encore ce pot de Nutella qui traîne depuis la Chandeleur, je me disais que ce sera l'occasion de le finir.
Chère lectrice, bienvenue à Hard Luck ! On pourrait traduire cela par "pas de chance", ce qui n'est vraiment pas juste. Hard Luck est un endroit cossu dans un décor époustouflant, plein de gens charmants et joyeux. de plus, vos chances de vous marier et couler le reste de votre vie dans le bonheur permanent à -30°C augmentent considérablement dès que vous y mettez le pied. Debbie va démontrer tout ça d'une façon très poignante, avec beaucoup de sensibilité et d'humour tellement subtil qu'il faut le chercher à la loupe.
C'est dans ce coin romantique oublié de la civilisation que Matt ouvrira un hôtel, pour des gens comme toi et moi, chère lectrice, qui adorent les balades dominicales dans la toundra gelée. Bien sûr que les clients se bousculent, mais Matt reste le gars le plus malheureux de l'Alaska. Sa femme Karen a divorcé pour des raisons que même Debbie a du mal à justifier, et est partie vivre en Californie. Pourtant, les deux se désirent toujours "à se damner", alors, pourquoi, diable... ? Tais toi, curieuse lectrice, fais confiance à Debbie la Diabolique scénariste, essuie les larmes de frustration et d'incompréhension et replonge ton doigt dans le Nutella !
Je te sens fébrile et tendue, lectrice, alors je vais te confier que Karen va brièvement revenir à Hard Luck, pour assister au mariage de la soeur de Matt. Tes douces joues se couvriront d'un carmin profond à l'évocation de ce qui va se passer cette nuit-là... et à son retour en Californie, Karen va se rendre compte qu'elle est enceinte ! Quoi faire ? Comme elle ne veut plus jamais voir Matt, quoi de plus naturel que de débarquer à nouveau chez lui, pour vivre chastement à deux en attendant la naissance ? La perspicace lectrice a déjà compris que Matt aura l'occasion inouïe de reconquérir le tendre coeur de Karen. High five, Debbie !
Mais le pot de Nutella est presque fini, et à part un slow particulièrement langoureux à l'occasion d'un autre mariage, il ne se passe plus rien de TORRIDE. Rien; sauf si vous trouvez sexy que Matt cuisine. A partir du troisième chapitre, le livre libère la même décharge sensuelle que le short à bretelles d'un montagnard bavarois. Au point de se demander si le "L" dans le "Hard Luck" n'est pas une coquille d'imprimeur... Heureusement, le livre présente un autre attrait majeur, et c'est la psychologie des personnages.
Le subconscient de Karen est tellement compliqué que même
Freud aurait jeté l'éponge en allant passer le reste de ses jours à vendre des pommes d'amour devant le Prater. Son raisonnement est mystérieux et ses agissements étranges. Et pourquoi on ne parle JAMAIS de ce bébé ? Serait-ce un fin thriller psychologique déguisé en Harlequin ? L'expression brindezingue de Matt sur la couverture pencherait en faveur de cette théorie, d'autant plus que cet homme est capable de penser que la meilleure façon de reconquérir une femme est de lui offrir une nuit sous la tente et une bonne partie de... hé !... de PÊCHE ! Vade retro, Satanas !
Mais ne désespère pas, chère lectrice. Tout est bien qui finit bien, et tes yeux vont déborder sur les dernières pages, évoquant l'avenir radieux de Karen avec Matt et sa mâchoire carrée, sa chemise à carreaux et son jean "boyfriend" carrément stylé*. *(consulter l'image). Si tu ressens une pointe de jalousie, tu trouveras sûrement la consolation dans ton propre "horoscope amoureux" sur minitel, 3615 Harlequin, ou tu peux commander la collection complète grâce au carton rose judicieusement inséré au milieu du livre, très utile, car il permet de savoir si tu as déjà dépassé la moitié et si c'est bientôt fini.
Pour conclure, c'est un de ces livres qui nous font passer "du rire aux larmes", même si pour chacun(e) ce sera pour des raisons différentes.
Comment noter ce torride ouvrage ? Debbie est au Harlequin ce que Chaucer est au patrimoine littéraire européen, alors au moins 4/5 dans ce cadre V.I.P. restreint. Mais après avoir décollé le livre des mains en grattant la dernière trace de guimauve visqueuse sur les doigts, il n'en reste pas grand-chose. Peut-être juste une petite morale que tout ce qui ressemble de loin à une pépite n'est pas forcément de l'or. Lectrice, j'ai vérifié !
1/5, pour me féliciter d'être allée jusqu'au bout.