Face à une malle remplie de courriers familiaux divers
Amin Maalouf écrira : "Moi qui étais venu chercher en ce lieu une clé pour ma porte, je voyais de dresser devant moi mille portes sans clés. Que faire de cet amas de vieux papiers ? Je ne pourrai jamais rien écrire à partir de cela ! Et, ce qui est pire : tant que ces reliques encombreront ma route, je n'écrirai rien d'autre non plus.".
Et commence pour l'auteur un long travail de tri et de recoupements de courriers, de télégrammes, de photos, pour comprendre ce passé familial, l'histoire de son grand père et de son frère, son grand oncle. Une enquête minutieuse, associée à ses souvenirs, aux conversations avec ses parents, pour comprendre et nous faire partager cette histoire familiale mais aussi une partie de cette histoire de l'immense Turquie, qui s'étendait avant la Première Guerre mondiale bien au delà de ses frontières actuelles...c'était avant la création des actuels Syrie, Irak, Liban, Palestine, Jordanie, Yemen, de la Grèce dans ses frontières d'aujourd'hui....
C'était un vaste territoire de tolérance dans lequel la religion était une affaire personnelle, où chaque religion était acceptée, plusieurs religions pouvant se côtoyer au sein d'une même famille, d'un même couple...comme dans toute la famille d'
Amin Maalouf.
C'était il y a un siècle.
Deux frères aux profils différents, un grand père poète, amoureux des mots, de culture, de la Connaissance et d'éducation, créant des écoles ouvertes au plus grand nombre, dans l'actuel Liban, et un oncle, cherchant à s'enrichir, parfois par tous moyens, au delà des frontières en Amérique et à Cuba. Deux frères qui entretiennent avec les leurs et entre-eux une correspondance importante, correspondance d'amour et de querelles parfois.
Amin Maalouf ira à leur rencontre, courra le monde pour retrouver dans les archives des États américains, ou cubains la trace de leur arrivée, de leur passage, de leur vie, et dans les journaux de l'époque, l'histoire de leur vie, de leur mort, traces, courriers et vieux bâtiments qui lui permettront de mieux connaître ainsi la mémoire de la famille Maalouf, une famille ouverte sur le Monde.
Que reste-t-il de ce passé de cette fortune de son grand oncle..les problèmes familiaux sont passés par là...les décès brutaux ont exacerbé l'avidité de certains....dans cette famille aussi
L'occasion pour nous de lire un roman familial d'amour et de découverte du passé
J'ai lu ce livre, ces moments d'histoire familiale et d'Histoire avec grand plaisir, l'écriture d'
Amin Maalouf attaché à ses racines est toujours aussi envoutante, et je l'ai quitté avec un sentiment de vide : que sais-je de mes grands-parents, de mes grands oncles et tantes..? Je ne dispose malheureusement pas d'une correspondance importante, je n'en sais que ce que m'ont dit mes parents, je n'ai que ces souvenirs d'enfance faits de tendresse, et ces querelles familiales aussi...et que vais je faire pour le transmettre à mes enfants et petits-enfants ?
Je ne pense pas être le seul.
Parmi tous les extraits de livre qui m'ont touché je retiendrai ce passage qui devrait pousser chaque lecteur à être un trait d'union entre ses anciens et ses enfants : "La présence des vieilles personnes est un trésor que nous gaspillons en calories et boniments, puis nous restons à jamais sur notre faim ; derrière nous des routes imprécises qui se dessinent un court moment, puis se perdent dans la poussière. Certains penseront : Et alors ? Quel besoin avons-nous de connaitre nos aïeuls et nos bisaïeuls ? Laissons les morts, selon une formule galvaudée enterrer les morts et occupons-nous de notre propre vie ! Aucun besoin pour nous, il est vrai, de connaître nos
origines. Aucun besoin non plus pour nos petits-enfants de connaitre ce que fut notre vie. Chacun de nous traverse les années qui nous sont imparties, puis s'en va dormir dans sa tombe. À quoi bon penser à ceux qui viendront après nous puisque pour eux nous ne serons plus rien. Mais alors si tout est destiné à l'oubli, pourquoi bâtissons-nous, et pourquoi nos ancêtres ont-ils bâti ? Pourquoi écrivons-nous, et pourquoi ont-ils écrit ? Oui dans ce cas pourquoi planter des arbres et pourquoi enfanter ? À quoi bon lutter pour une cause, à quoi bon parler de progrès, d'évolution, d'humanité, d'avenir ? À trop privilégier l'instant vécu on se laisse assiéger par un océan de mort. À l'inverse en ranimant le temps révolu, on élargit l'espace de vie. Pour moi, en tout cas, la poursuite des
origines apparaît comme une reconquête sur la mort et l'oubli, une reconquête qui devrait être patiente, dévouée, acharnée, fidèle." (P. 259-60)
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