En prenant de l'âge, je ressens de plus en plus d'aversion pour la polémique. Or ce livre, hélas, est composé en très grande partie de polémiques contre Darwin et surtout les « neodarwinistes » dont je suis en train de m'abreuver depuis quelques mois. Sans doute parce que, pour étaler les spécificités de ses théories, l'auteur préfère caricaturer la vision adverse, (encore) paradigmatique ou en tout cas majoritairement acceptée en biologie évolutionniste, dénigrer ses opposants – et omettre de les citer, comme pour
Matt Ridley, même lorsqu'il parle de la théorie de la Reine rouge (The Red Queen – qui précède de vingt ans cet essai), ou grossir jusqu'au gigantisme des différences modestes, réductibles, des nuances compatibles qui gagneraient à être prises pour des complémentarités, des difficultés théoriques déjà affrontées et résolues...
Non que les incompatibilités avec l'orthodoxie n'existent pas. Et j'ai apprécié de pouvoir les jauger avec mes précédentes et sans doute futures lectures neodarwinistes orthodoxes. Mais d'une part il m'a fallu arriver à l'excipit de l'ouvrage (que je reproduis presque intégralement en cit.) pour lire une formulation précise et concise des théories énoncées faute d'être démontrées par le livre ; d'autre part, la posture polémique de l'auteur m'a poussé à l'attitude défiante du lecteur qui cherche à démolir ce qu'il comprend, à l'aune de ce qu'il a déjà lu. C'est dommage lorsque l'on cherche respectivement à convaincre et à apprendre.
Par ailleurs, bien que le verbe soit très séduisant, surtout au début, dans la tradition de la prose philosophique française, alors que « mes »
Dawkins, Ridley et confrères ont la plume plus empirique, plus mathématique, un brin ironique mais souvent plus indigeste des scientifiques britanniques, je reproche à cet essai une structuration des chapitres obscure, très peu soucieuse de toute progression démonstrative, et une surabondance d'anecdotes sur la reproduction voire sur toutes sortes de moeurs de telle ou telle autre espèce animale, souvent presque sans rapport – ou ô combien ténu – avec le quod erat demonstrandum. Encore une sorte d'arrogance envers le lecteur, trop ignare sans doute pour qu'on se donne le mal de le persuader, qui n'a donc qu'à se contenter d'être amusé d'histoires animalières bien contées.
Il serait tentant de rédiger cette note sur le même ton railleur, et particulièrement de rétorquer contre l'auteur les mêmes reproches qu'il adresse à ses opposants : après tout, même un écolier sait faire la différence entre Darwin et le darwinisme social (et l'eugénisme) – ils n'ont pas plus à voir l'un vis-à-vis de l'autre que la méiose avec
Kropotkine (et le terrorisme anarchiste) ; il n'y a pas davantage de téléologie dans la propagation maximale des gènes que dans la « sensibilité primordiale » et dans l'omniprésence de la « relation » dans la biosphère ; le soi-disant « égoïsme des gènes », expliqué dans un essai entier très touffu de
Dawkins, est exactement, ni plus ni moins que la cause de la « reproduction différentielle » ; de même, je trouve beaucoup d'analogies, même dans les exemples, entre «
phénotype étendu » et « interactions » ; la « compétition » - expression moderne de la « sélection naturelle » - n'est pas éloignée, si j'ai bien compris, du « conflit génomique que la réduction méiotique gouverne » ; à ceci près que Lodé ne dit rien, mais alors rien du tout, du conflit entre les genres, ni de la manière dont celui-ci se transforme en réconciliation amoureuse, ni en somme il ne répond à la question posée par le titre du volume ; enfin, après mes lectures sur la dialectique très complexe entre gènes et comportement, la vision de Lodé sur ce sujet me paraît extrêmement fruste.
Au contraire, une question m'a effectivement convaincu : l'impossibilité de placer sur le même plan la « sélection naturelle » alias « reproduction différentielle », que je considère, avec
Dawkins et n'en déplaise à Lodé, comme l'affaire des gènes, et la « sélection sexuelle », ou « choix des partenaires », qui ne peut que concerner l'individu – sur un plan que j'estime subsidiaire du précédent. Et en particulier, quant au choix, pour moi, suivant
Leibniz : croit choisir celui qui ignore les raisons de ses choix...
A part cela, j'ai bien aimé la genèse des eucaryotes, et la prégnance incomparable de la sexualité.