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Critique de Laurence64


Avant j'aimais Lehane. Mais ça c'était avant.
A présent, j'admire davantage. Je place l'écrivain dans le cénacle de ceux, rares, qui racontent l'Amérique entre histoires et Histoire, tissant un récit aussi dense et somptueux qu'une toile de Jouy.

Un pays à l'aube, c'est l'Amérique entre 1917 et la prohibition de 1919. Ce sont sept cent cinquante pages qui annoncent dans leurs spasmes sauvages la modernité naissante d'un XX° siècle américain qui s'étourdira de jazz, dressera ses buildings toujours plus haut, connaitra quelques années prospères, tombera dans le capitalisme pour ne plus s'en relever.
John Edgar Hoover pointe déjà son nez.
Les mouvements politiques balaient les rues de Boston. Il y a des rêves anarchistes dans l'air, des bombes qui s'égarent parfois, des tracts bolchéviques qui viennent titiller ces entreprises mangeuses d'hommes. Il y a les noirs que l'on congédie pour faire place aux soldats rentrés d'Europe dans la grande épidémie de grippe. Il y a ce racisme qui ulcère l'âme, gangrène l'espoir d'une impossible égalité. A ce titre, la partie de base ball inaugurale du roman est un sommet en plus d'un hommage à Outremonde de Don DeLillo.
Il y a ces espoirs syndicaux qui s'embourbent déjà.

Avant, j'aimais Lehane. Mais ça, c'était avant. Maintenant je l'élève toujours plus haut dans mon palmarès personnel. Lui qui redonne vie et parole à ces anonymes engloutis par L Histoire. Lui qui dénonce par des faits (rien que des faits) ce rêve américain qui, malgré ses désenchantements, ne cessera de renaître comme si le seuil de pauvreté jamais ne touchait une part importante de la population.
Jamais d'envolées lyriques. Juste quelques vols de briques. Jamais de considérations oiseuses sur le bien et le mal. Des histoires qui s'enchevêtrent et racontent des hommes. Aucun aphorisme d'écrivain qui se regarde écrire mais le détail qui succède au détail.

Avant j'aimais Lehane. Mais ça, c'était avant. Aujourd'hui, je ne le réduis pas à un auteur de. Avez-vous remarqué combien est réducteur tout complément du nom écrivain? Être écrivain de romans policiers pose moins qu'être écrivain. Pourtant, sans vouloir être mauvaise langue, je connais moult écrivains-tout-court qui ne valent guère l'usure des yeux même minime que la lecture de leur prose reliée engendre. Mais ceci est une autre littérature.

Avant j'aimais Lehane. Mais ça, c'était avant. Maintenant j'aime Lehane.
Il y a juste qu'après un pays à l'aube je possède la preuve que cet écrivain-là est un grand écrivain. Il a su dresser un portrait politique, social, moral d'une Amérique charnelle, pleine de suie, de mélasse, de fureur, d'espoir et de haine. Et il lui a suffi d'incarner quelques destins pour ce faire.
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