Le prologue est un coup de poing, un direct au foie qui, déjà, marque le début d'un travail de sape qui va se poursuivre jusqu'à la fin du roman. On est cueilli à froid, et, déjà, l'arbitre nous compte.
Ensuite s'ouvre une deuxième phase, pendant laquelle, méfiant, on reste bien à l'abri derrière ses gants. On maintient la distance. Pas envie de retourner au tapis, pas maintenant, pas si tôt. L'auteur pose alors le décor – une vieille ferme, une famille abonnée aux secrets, une adolescente qui, en plus de se débattre dans les affres classiques de cet âge, découvre qu'en plus, elle voit des choses que les autres ne voient pas.
Oui, mettons un nom : elle voit des fantômes. Là, sincèrement, j'ai eu un moment de doute. Les histoires de fantômes, ce n'est pas mon truc. Ni en livres – je n'ai pas souvenir d'en avoir lu -, ni en films – j'en profite pour réaliser que, jamais, je n'avais accolé le mot « fantôme » à Shining.
Mais, en fait, c'est quoi, un fantôme ? Une entité que la plupart d'entre nous ne voient pas, restés coincés pour une raison ou une autre entre la vie et la mort. Transparence, invisibilité. Bref, quelque chose qui est proprement indescriptible. Mais que
Nicolas Leclerc a décidé de décrire. Les premières scènes « avec » me laissent un peu perplexe. S'il doit y avoir une montée en puissance, en pression, comment l'auteur va-t-il s'en dépatouiller ?
Et puis, vers le milieu du livre, tout cela s'efface. Les fantômes, ici, sont un autre nom pour héritage, transmission, génétique, peut-être. Inscription dans le patrimoine génétique familial des actions, bonnes ou mauvaises, des ancêtres. Chronogénéalogie, donc ?
Et l'on revient, du coup, à une histoire à la fois plus simple, plus universelle, je dirais même plus consensuelle. Nul, aussi cartésien soit-il, ne peut évacuer d'un revers de la main les questions fondamentales que ce livre soulève. Mes parents, mes ancêtres, que m'ont-ils transmis ? En tant qu'individu, je suis évidemment unique et singulier, mais je ne peux pas, pour autant, nier que je suis aussi le produit d'une lignée, d'une transmission. Génétique, culturel, de l'inné, de l'acquis.
Ce livre porte donc, d'un côté, la question du « fils du monstre », et jusqu'à son paroxysme.
Mais, en même temps, Katia est aussi – d'abord ? – une adolescente. Qui cherche sa place, à l'école et, naturellement, vis-à-vis de ses parents. Un père « point de repère », une mère « point de crispation », quand il faut prendre son envol et adopter son propre point de vue. Alexandre – le père -, qui parait solide mais qui s'effrite petit à petit ; Laura – la mère -, ensablée dans ses contradictions mais qui se cimente au fur et à mesure de l'histoire. Écartelée, au départ, entre sa volonté de protéger sa fille et l'obligation d'accepter qu'elle a grandi. Comment apprendre à faire confiance à son enfant, alors que nos yeux le ou la voient encore si petit(e) ?
Le visible que l'on se cache à soi-même, l'invisible que certains voient malgré tout, l'amour qui enferme et l'amour qui libère, la violence qui marque autant les corps que les lieux, l'intérêt qui vient de l'altruisme et celui qui vient de l'égoïsme, la responsabilité et le devoir, la culpabilité et la frustration… Cette histoire est juste de celles qui font de nous des « autres », qui nous laissent de petites traces… nos propres fantômes ?
Ce livre est d'une grande richesse. En tout cas, moi, j'ai adhéré. Et vous ? Prêts à aller chasser les fantômes de l'histoire familiale, mais également de l'Histoire ?
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