Au nom de la spécificité de leur rôle social et des vertus qu'elles s'attribuent, les élites ont toujours revendiqué un statut d'exception dans leur rapport aux normes et aux valeurs. Elles n'acceptent jamais d'être des sujets de droit et, à plus forte raison, des justiciables comme les autres. Concrètement, elles souhaitent maîtriser les règles qui leur sont applicables, déterminer les juges qui statuent sur leurs litiges et discuter les peines qu'elles acceptent de se voir, éventuellement, infliger. (p. 11)
L’attention médiatique et les perceptions sociales qu’elle suscite sont en partie biaisées. Quelques affaires atypiques occultent l’ordinaire de l’activité judiciaire. Le traitement en forme de « scandale » de dossiers impliquant des acteurs à forte visibilité suscite une réprobation sociale forte mais temporaire. En revanche, le reste des transgressions, c’est-à-dire l’immense majorité, demeure dans l’ombre. Cette minoration empêche de saisir l’ampleur de la délinquance économique et financière et de mesurer ses impacts sociaux matériels et symboliques. Les travaux sur les « coûts du crime » en matière économique et financière ont montré que ceux-ci sont très supérieurs au petit pourcentage de l’activité répressive. (p. 194-195)
Si les élites gouvernent et orientent de façon décisive les choix politiques, c'est pour préserver leurs privilèges d'autonomie. Leurs discours sur l'édification d'un bien commun et la référence à des principes partagés ne sont que des habillages. (p. 223)
Les matins - Pierre Lascoumes .Directeur de recherche au CNRS/CEVIPOF, enseigne à Science-Po Paris.Auteur de "Une démocratie corruptible" Éditions du Seuil