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EAN : 9782874951534
260 pages
André Versaille éditeur (14/09/2011)
4.67/5   3 notes
Résumé :
Dans ce livre, Gilles Lapouge nous entretient de Nicolas Bouvier, mais aussi des ses soixante ans de service dans le même journal brésilien ; des fous rires d’Adamov et des bouts du monde qui flottent dans sa tête ; des lectures de son enfance et de sa tentative de se faire embaucher comme chasseur de lapins en Australie ; de la mort de sa sœur ; de Bernard Pivot et de ses débuts au théâtre…
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
"Je vais où je suis. Je file dans les jours perdus. Je me défais de ma mémoire."

Le Flâneur de l'autre rive est une suite mnémosique composée de 38 petites pièces, un peu comme des nouvelles dans un recueil. On peut les lire ou les relire indépendamment les unes des autres, dans un ordre différent, à son propre rythme, en flânant. Par contre on peut comme moi aimer les randonnées plus longues, l'endurance, la lecture de bout en bout, avec de rares étapes. Comme ça on a une meilleure vue, un panorama à 360° ou presque, on domine mieux le paysage dessiné par l'écrivain, les chemins de la mémoire qu'il nous invite à suivre derrière lui.

Qui est Gilles Lapouge ? Ne vous précipitez pas sur wikipedia, pas tout de suite.... Faites appel à vos souvenirs d'Apostrophes, de France Culture, à vos lectures dans le Monde ou Le Figaro, ou si vous avez des attaches brésiliennes dans O Estado de Sao Paulo. Peut-être avez vous eu le bonheur de parcourir le festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo, de lire ses livres ? Et si vous ne voyez toujours pas, ou que décidément vous êtes très jeune, lisez le Flâneur de l'autre rive !

On n'est pas grand reporter et journaliste depuis soixante ans pour le même journal sans avoir de nombreuses anecdotes goûteuses et des rencontres pittoresques à raconter. On n'est pas grand lecteur et écrivain sans aimer parler avec enthousiasme de ses lectures et de son expérience d'auteur. On n'est pas grand voyageur, même malgré soi, sans vouloir faire partager ses étonnements.

Alors, Gilles Lapouge est-il vraiment ce dilettante au charme ironique et léger (comme son écriture), porté par les hasards d'une vie idiote et bienheureuse ? le champion du monde auto proclamé des chroniques (à peu près 54000 pages d'écriture) ? le spécialiste mondial du café, auteur d'une monographie dont il ne reste trace dans aucune bibliothèque ? le chercheur de bouts du monde ? le collectionneur de bruits ? L'expert en batailles de vents ?

Tout à coup, au détour d'une anecdote sur sa carrière dans le journalisme, l'air de ne pas y toucher, il balance, Gilles Lapouge. La poésie malicieuse, l'observation empathique, la sagesse philosophique, laissent place à l'indignation du journaliste jadis privé un temps de sa carte de presse pour d'obscures raisons soi-disant politiques. Mordant.

J'ai relevé dans les flâneries de Gilles Lapouge plusieurs thèmes récurrents : les souvenirs, la mémoire, l'ennui. Peut-être la mort aussi, mais tellement en filigrane que je suis moins assurée de ce que j'avance que pour le reste. On les trouve jusque dans les histoires les plus drolatiques racontées par le Flâneur, ce qui donne à tout le recueil une profondeur nostalgique infiniment touchante.

Gilles Lapouge dresse au fil de ses flâneries une typologie hyper détaillée de ce que sont les souvenirs et la mémoire . Il y a les souvenirs enfouis, les souvenirs fantômes, les mauvais souvenirs que l'on voudrait perdre, les souvenirs rectifiés, barbouillés, empruntés, les faux souvenirs, les souvenirs qui tombent en ruines comme des châteaux de sable après la marée. Il les connait si bien ses propres souvenirs, qu'il leur parle comme à des enfants. Il les personnalise pour mieux les apprivoiser, les discipliner.

« Ce sont des souvenirs dodus et même musclés, pas très anciens, et sur lesquels on pensait pouvoir se reposer. Ils semblaient si calmes. Ils répondaient au premier appel. Ils inspiraient confiance. [...] Et voilà qu'il vous font faux bond sans crier gare et vous ne savez plus où ils sont passés. [...] Je ne serais pas étonné d'apprendre qu'ils se sont tout simplement perdus [...]. Sans doute ils se sont trompés de chemin quand ils ont voulu rentrer à la maison et ils ont débouché dans une autre tête. ils ont réussi à se faire adopter, comme font les chats de gouttière. Ce sont des souvenirs de "gouttière". Leur départ a laissé dans votre mémoire une blessure et une déchirure, un vide qui vous fait de grandes douleurs et des nuits tourmentées. »

Et puis, il y a l'ennui. Gilles Lapouge parle beaucoup de l'ennui, mais pour en faire l'apologie. Il s'est souvent et longtemps ennuyé, à l'armée, au sanatorium. Il a aimé l'ennui. Il a même voulu devenir trappiste, vocation avortée, mais jamais oubliée.

« C'était reposant. Les horloges étaient aux commandes de notre existence au point que le temps finissait par dépérir, comme dépérira le pouvoir, à ce que dit Karl Marx, dans la société communiste accomplie. Nous étions nous-même des sortes d'horloges et les heures étaient abolies. »

Oui, mais le temps perdu, passé, renvoie à la mort...

« A ces premiers bouts du monde, qui sont de facture classique, j'en ajoutais plus tard quelques autres, dont les bornes ne sont pas plantées dans l'espace mais dans le cadran des horloges. Par exemple, la mort de ceux que j'aimais, dont chacune me confirmait qu'après un événement pareil, il n'y a plus de minutes, même plus de secondes, et que le bout du monde est le bout du temps. »

Il y a au milieu du recueil, une flânerie au titre ultra court et qui elle-même ne comporte que quatre lignes imprimées. C'est étrange, différent, glaçant, mais très parlant.

« Froid

Mon père, quand il fut devenu vieux, disait par-
fois : "J'ai froid dans les os." Je ne comprenais
pas ce qu'il voulait dire. Maintenant, j'ai froid dans
les os. »

Je voulais finir sur cette belle note sombre mais je ne veux pas laisser l'impression que les souvenirs de Gilles Lapouge sont tous de cette veine lapidaire et morbide. Au contraire, une fois refermé le Flâneur de l'autre rive, je retiens surtout le partage réussi du bonheur rare d'avoir vécu une vie peu contrainte. A lire, et à faire lire.

Lien : http://tillybayardrichard.ty..
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Lire le flâneur de l'autre rive, c'est comme regarder les formes des nuages, allongé(e) dans l'herbe par un après-midi ensoleillé. C'est écouter passer les souvenirs d'un homme voyageur, des souvenirs aux contours mouvants qui nous emmènent un peu au Brésil, un peu dans le désert algérien, un peu dans la neige et le froid français, à la fois dans le silence et dans les mots (ah le plaisir de trouver au détour d'une phrase, un mot ancien, oublié, peu commun, posé là comme un sourire plutôt qu'une volonté d'étaler sa science !), au coeur des rencontres, avec en fond sonore "que retient-on des moments vécus ?"
J'ai découvert la collection Chemin faisant de l'éditeur André Versailles avec Ecrivain et oiseau migrateur par Alain Mabanckou. Je n'avais jamais lu cet auteur venu du Congo mais je l'avais vu et entendu quelques fois. Depuis, j'ai aimé Mémoires d'un porc-épic et je vais commencer Black Bazar. Là, j'avoue, Gilles Lapouge m'était totalement inconnu... Encore une fois, la magie a opéré : je referme le livre avec l'envie de me promener plus avant sur le chemin de Gilles Lapouge et parmi les autres livres de la collection.
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critiques presse (1)
NonFiction
20 février 2012
L’abécédaire voyageur de Gilles Lapouge, intrépide journaliste et écrivain sans frontière, nous ouvre au monde !
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Lire (je ne lisais pas)

Dès ce moment, je lisais tout, les notices des remèdes, les papiers déchirés que le vent chasse dans les rues, les affiches, les romans. Don Quichotte était comme moi. Il savait aussi que chaque bribe de feuille imprimée ou crayonnée est une magie. Au début, j’essayais d’en démonter les ressorts, mais les mécanismes d’une magie sont si nombreux et ses rouages si frêles que je ne suis jamais arrivé à dévisser tout ça. Je me réduis à en éprouver les effets. Je me dis seulement que j’ai de la chance. Nous avons fait bonne pioche. Nous sommes comme ces mineurs de la Californie ou du Yukon qui envoient un coup de pelle dans la montagne et qui deviennent riches à perpétuité.


Un jour, un individu a déposé des griffures sur un parchemin ou sur un papier, après quoi ces embrouillaminis de charbon ou d’encre ont été imprimés. Ils ont été collés à d’autres embrouillaminis, ça a fait un livre, et on les a entreposés dans le fond d’une bibliothèque. Ils n’ont plus fait de bruit. Mais il suffit qu’une main ouvre ce livre, qu’un regard frôle ces jambages, et ça se remet en marche. Les voix sont aussi claires qu’au premier jour. Un pays se déplie. J’entends le bruissement que la vie fait à mesure que mon œil se promène sur les lettres. Un cavalier gaulois traverse la route et son cheval croque une touffe d’herbe en ronronnant. Un notaire de Clermont-Ferrand reçoit une châtelaine et un mendiant beugle dans une ruelle d’un autre siècle. J’ai poussé une porte qui n’existe pas et je pénètre dans la vie. Bien sûr, on m’assure qu’en dehors du livre, des événements continuent à se produire. On me dit qu’ils sont intéressants et qu’ils peuvent me concerner, mais je ne suis pas naïf au point de croire à leurs manigances. Ils sont nuls. Face à Vautrin, à Julien Sorel et au prince André, face à Mrs Dalloway et à la princesse de Clèves, ils font petite figure et les énergies qu’ils déploient pour faire mine d’exister me font bien rire. Je fais semblant de croire qu’ils sont réels et même méritants mais, dès qu’ils ont tourné leurs talons d’événements, je regagne la vraie vie, les provinces où Madame Bovary pleure et meurt, où Smerdiakov ourdit ses mauvaises logiques.

Un livre est la plus modeste des usines et rien n’est plus robuste que ce petit truc. Les raffineries de l’étang de Berre et les hauts-fourneaux du Creusot, Cap Canaveral même, sont des primitifs et des rudimentaires si on les compare à un in-folio. Jetez un roman dans une cave, un grenier. Oubliez-le pendant mille ans, le temps que quelques empires passent, que la Chine s’éveille, que meurent cent milliards d’humain et qu’un savant invente l’ordinateur. Ensuite, soufflez sur la poussière qui emmitoufle les reliures, tournes les pages, et l’instrument s’agite. Des bielles et des pistons cliquettent. On dirait qu’un cœur recommence à battre. On dirait qu’un bon Dieu ranime les heures. Le livre est une pendule, un réveil Jaz. Il suffit de remonter ses ressorts et l’éternité se termine. Elle devient du temps qui passe. Sous vos yeux se lève un opéra fabuleux : une femme pleure ou bien elle danse, une famille de souris ronge un gruyère, une guerre éclate entre deux provinces, une tempête est sur la mer et le vent est glacé, ce matin-là.

Si je devais être mort, j’emporterais un livre dans mon bagage. Les jours où l’ennui piétinerait, j’ouvrirais Thomas Hardy, Jules Supervielle ou Bécassine, et les douceurs et les diaprures de la terre se déploieraient dans ces gribouillis. Une ponctuation, un point d’exclamation et un adjectif seraient comme des petites portes. Je pousserais ces portes. Je me glisserais dans une ville et parmi des fleurs, dans un Moyen-Age et dans la tristesse des cœurs, dans une auberge, et j’oublierais ma mort.
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Je n’ai pas beaucoup d’autorité sur mes souvenirs. Ils n’en font qu’à leur tête. Je suis voué à les suivre. Parfois, ils se moquent carrément de moi. Si je leur donne l’ordre d’aller vers le sud, c’est à l’ouest que je me retrouve. Ils mettent malice à me contredire. Comme ils vont trop vite pour mon pas, je boite. Ils me distancent. Ils en profitent pour me semer, comme les parents indignes, dans les contes de fées, entraînent leurs enfants dans les forêts obscures. Ils me mettent un bandeau sur les yeux. Ils me font tourner et, quand ma tête est un vertige, ils arrachent le foulard. Je me demande alors en quelle géographie je suis tombé et dans quel moment de ma vie. Je ne reconnais rien. Je suis dans un lointain. On se chamaille un peu, mais après une rapide altercation, je suis bien obligé de reconnaître qu’en effet je suis passé dans ces écarts, il y a longtemps, longtemps, comme en un songe, et que j’avais tout oublié.
En général, mes souvenirs ont meilleure mémoire que moi. C’est pourquoi je les laisse faire. Je leur donne tous les pouvoirs.
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Je n’ai pas beaucoup d’autorité sur mes souvenirs. Ils n’en font qu’à leur tête. Je suis voué à les suivre. Parfois, ils se moquent carrément de moi. Si je leur donne l’ordre d’aller vers le sud, c’est à l’ouest que je me retrouve. Ils mettent malice à me contredire. Comme ils vont trop vite pour mon pas, je boite. Ils me distancent. Ils en profitent pour me semer, comme les parents indignes, dans les contes de fées, entraînent leurs enfants dans les forêts obscures. Ils me mettent un bandeau sur les yeux. Ils me font tourner et, quand ma tête est un vertige, ils arrachent le foulard. Je me demande alors en quelle géographie je suis tombé et dans quel moment de ma vie. Je ne reconnais rien. Je suis dans un lointain. On se chamaille un peu, mais après une rapide altercation, je suis bien obligé de reconnaître qu’en effet je suis passé dans ces écarts, il y a longtemps, longtemps, comme en un songe, et que j’avais tout oublié.
En général, mes souvenirs ont meilleure mémoire que moi. C’est pourquoi je les laisse faire. Je leur donne tous les pouvoirs.
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Videos de Gilles Lapouge (32) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Gilles Lapouge
Dani Legras, journaliste franco-brésilienne, nous fait le plaisir de nous parler du livre d'Adriana Brandão, "Les Brésiliens à Paris, au fil des siècles et des arrondissements"... Elle évoque pour nous le spirite Allan Kardec, la grande artiste Tarsila do Amaral, la lutte des brésiliens et des brésiliennes contre la dictature militaire ... On a envie de lire et relire ce texte en l'écoutant ! Et de l'utiliser comme la "lanterne magique" évoquée par Gilles Lapouge. Pour plus d'informations sur le livre, veuillez cliquer sur ce lien : https://editionschandeigne.fr/livre/bresiliens-a-paris/https://editionschandeigne.fr/livre/bresiliens-a-paris/
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