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EAN : 9782246827658
240 pages
Grasset (20/03/2024)
4.67/5   3 notes
Résumé :
Spinoza Code retrace l’histoire secrète d’un manuscrit qui a changé le visage de la philosophie.

Nous sommes en 1675, en Hollande, et Spinoza travaille depuis quinze ans aux thèses révolutionnaires de l’Ethique, son œuvre majeure. Le philosophe s’est fait de nombreux ennemis, sa trop grande liberté et ses idées scandalisent. Incertain de son avenir, Spinoza confie une copie de son manuscrit tout juste achevé à Ehrenfried Walther von Tschirnhaus, jeu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« En une époque de tutelles en tout genre, auxquelles le commun des mortels ne pouvait que très difficilement échapper, il osait mettre au-dessus de tout l'autonomie rationnelle et affective des individus. Il faisait passer leur épanouissement et le développement de leurs relations dans un esprit égalitaire, avant les intérêts des institutions et des clans sociaux. Il eut l'audace et la prodigieuse intelligence de proposer une alternative philosophique à la Bible et à tous les textes qui en appellent à la foi et qui condamnent le désir comme la marque du malheur de l'homme, lui qui définit le désir comme l'essence même de l'individu. Sa philosophie était, et est toujours, une philosophie de l'émancipation par la liberté de la pensée qui défie toute domination. En cela, elle est éminemment politique et incendiaire. C'est cette alternative à la Bible et ce manuel démocratique à l'échelle individuelle que j'ai maintenant sous les yeux : le texte intégral, en version manuscrite de l'Ethique, le grand traité de Spinoza, qu'il ne put publier de son vivant. »
(pp.15-16)
Spinoza, peut-être en raison de sa réputation sulfureuse, a, depuis sa propre époque, entraîné la curiosité des commentateurs et des écrivains, et, au-delà des exégèses de sa philosophie, on ne compte plus les biographies, voire les romans qui lui donnent le rôle principal. Sous un titre parodique, Spinoza Code, qui rappelle évidemment celui du Da Vinci Code (mais « Code », comme le rappelle une note en exergue du texte, vient du latin « codex », « tablette pour écrire » et, finalement, « livre », et donc Spinoza Code peut s'entendre comme « le Livre de Spinoza », son grand oeuvre, L'Éthique…), le texte de Mériam Korichi n'a pourtant rien d'un roman ésotérique à la mode de Dan Brown, et ne constitue non plus ni un commentaire de l'oeuvre, même s'il y fait constamment référence avec précision, ni une biographie, même si, d'un bout à l'autre, les dernières années de la vie du penseur en nourrissent en partie les pages. Débutant avec la découverte, en octobre 2010, d'un manuscrit original de L'Éthique, dans les Archives de l'Inquisition à la Bibliothèque du Vatican, le récit se présente comme une formidable et captivante enquête littéraire, racontant le parcours tortueux et semé d'embûches qui mena le précieux document d'Amsterdam à Rome, avant qu'il ne soit enfermé en lieu sûr, tant son contenu révolutionnaire déplaisait aux pouvoirs religieux de l'époque.
le principal personnage du livre, et c'est ce qui fait sa première originalité, n'est d'ailleurs pas Spinoza lui-même, mais Ehrenfried Walther von Tschirnhaus (excusez du peu, comme dirait l'autre), un jeune mathématicien talentueux, attiré par la philosophie naturaliste du penseur hollandais, et qui deviendra son ami avant de se voir confier le précieux manuscrit. Tschirnhaus appartient à cette génération d'hommes de science, souvent en rupture de ban avec leurs attaches aristocratiques ou bourgeoises, qui, dans cette fin du XVIIe siècle riche en découvertes dans tous les domaines, mais aussi en inventions techniques, font feu de tout bois intellectuel, s'intéressant aussi bien aux mathématiques qu'à la physique ou à l'entomologie, à l'anatomie et à la médecine, voire à la géologie quand, comme Tschirnhaus sur sa route vers l'Italie, on est amené à traverser les Alpes… Ce qui, surtout, excite l'intérêt du jeune savant pour la pensée de Spinoza, c'est cette proposition d'une méthode géométrique qui permettrait d'offrir une vision globale du Monde et de l'homme et donnerait ainsi une cohérence à l'ensemble de ces nouvelles recherches. Quand il rencontre Spinoza, celui-ci, rejeté depuis longtemps déjà par la communauté juive, s'est acquis en outre une réputation scandaleuse, depuis la publication du Traité théologico-politique, dans lequel il mettait en cause la légitimité des pouvoirs politiques et religieux de son temps. Et il s'apprête à publier L'Éthique, un texte qui serait comme son testament philosophique, présentant dans une synthèse ultime et sous une forme démonstrative empruntée aux mathématiques un système philosophique qu'il voudrait incontestable…
Tschirnhaus devient dès lors, dans le voyage qu'il entreprend autour de l'Europe, pour mieux connaître ses pairs et s'assurer bonne place dans la République des savants, le meilleur messager du philosophe, même lorsqu'il doute de certaines de ses propositions, ou, surtout, même quand il sent lui-même tous les dangers qu'il peut y avoir à tenir ce rôle. Mériam Korichi réussit pleinement à faire revivre, sous nos yeux, le paysage intellectuel et spirituel de l'époque. Elle nous fait ainsi rencontrer longuement, parmi beaucoup d'autres héros de cette société scientifique internationale, Huygens et Leibniz (oui, oui, celui-là même qui deviendra l'objet des risées De Voltaire…), elle montre surtout la puissance du camp des obscurantistes, de tous ceux qui liés aux pouvoirs religieux et tenants de la vieille métaphysique, craignent les idées nouvelles et leur influence subversive. le meilleur exemple de ces résistants d'arrière-garde est Nicolas Sténon, qu'elle évoque longuement, audacieux chercheur dans différents domaines, mais en particulier en anatomie, dans sa jeunesse, avant que le souci de sa carrière ne l'amène à devenir un fervent défenseur du plus austère catholicisme… et le pire ennemi de Baruch Spinoza ! C'est lui qui, finalement, réussira à se faire remettre le fameux manuscrit de L'Éthique par Tschirnhaus, pour mieux en dénoncer l'existence et essayer de le soustraire au regard de tous dans les armoires du Vatican…
Il y a bien un côté « Nom de la Rose » dans ce roman de Mériam Korichi, entraînant son lecteur à travers une aventure pleine de rebondissements, quelque chose comme du rififi chez les intellos du XVIIe siècle européen ! Mais il y a aussi, et c'est une des charmes indéniables du roman, une réécriture de certaines des idées de L'Éthique, texte, comme on sait, d'un abord difficile, et la présentation qu'en fait l'autrice dans son récit rend souvent leur démonstration lumineuse. Et puis, évoquant un temps où la pensée était le territoire quasi exclusif des hommes, Mériam Korichi s'efforce parfois de rendre aux femmes une place dans cette histoire intellectuelle dont on voudrait les écarter, n'oubliant pas, avec un clin d'oeil, sa propre position d' « enquêtrice-narratrice »… Enfin, on ne peut qu'encourager à lire, dans notre époque malheureusement si gangrénée par le retour des pires autoritarismes en politique et d'une vraie régression dans le domaine des moeurs, sous l'influence grandissante des sectarismes religieux de tous bords, un texte qui rappelle toute l'insolence de Spinoza à parler désir comme essence de la vie humaine et de la nécessité de rechercher la Joie contre les passions tristes… Mais laissons Mériam Korichi le dire bien mieux que nous (p.213) : « La Joie n'est jamais directement mauvaise, au contraire de la tristesse qui elle l'est […] Et les peurs, les haines, les contritions, les dénonciations, les confessions, les pénitences, les regrets, les remords, les attritions, les humiliations, les repentances, les agenouillements, les prosternations, les dégoûts, les hontes, les mortifications, les vexations, les blâmes, les censures, les condamnations, les traques, tout cela ressortit à des passions tristes qui affaiblissent toujours la puissance d'agir ». Oh, merci, merci mille fois, Mériem Korichi, de nous ressusciter ainsi, après Deleuze, Comte-Sponville ou Benassayag, le grand Spino!
(et puis, cerise sur le gâteau, comment ne pas sympathiser avec une autrice qui cite dans la même phrase de ses remerciements – et sans doute, simplement, en reconnaissance d'amitié – Joy Sorman, yes !, et Olivier Tallec (un jour, oui, son écureuil sera le plus spinoziste des animaux !), deux de nos « idoles » (bon, Baruch exécrerait ce dernier terme…)
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Lodewijk Meyer, un des plus proches amis de Spinoza, directeur du Théâtre d’Amsterdam, et aux côtés du Léviathan de Thomas Hobbes – auquel Spinoza ne veut pourtant pas être associé, car Hobbes est un MATÉRIALISTE et Spinoza se défend d’en être un. Il s’oppose même à ce que prétendent ces derniers, à savoir que la matière est le principe ultime de tout ce qui existe et que l’esprit se déduit des lois de la matière.
Mais à son corps défendant, son dernier ouvrage paru est désormais associé à celui de Hobbes et condamné publiquement comme « blasphémateur et séditieux ».
Spinoza peut-il envisager dans ces conditions la publication de son Éthique presque achevé ?
La République des lettres bruisse de projets de réfutation du Traité théologico-politique. À Paris, à Leipzig, à Florence. Spinoza, cependant, a bien l’intention de publier son oeuvre majeure. Sa réputation d’hétérodoxe, d’hérétique, d’athée, et même de dangereux penseur radical, qui lui a nui auprès de certains savants renommés, ne l’a pas isolé. Ses vieux amis de toujours, comme Lodewijk Meyer, Johannes Bouwmeester, Jarig Jelles, lui sont dévoués. Son réseau d’influence demeure solide. Les savants étrangers de passage ne viennent-ils pas lui rendre visite chez lui dans la maison de Pavilijoensgracht ? Il a, en outre, le soutien indéfectible de Jan Rieuwertsz,
son éditeur, qui est bien décidé à imprimer son Éthique le moment venu.
Le philosophe hollandais attire aussi la nouvelle génération de libres penseurs et de savants, des jeunes médecins, des mathématiciens, les NATURALISTES contemporains, qui fréquentent l’imprimerie-librairie de Rieuwertsz à Amsterdam. Spinoza ne manque jamais de s’y rendre. C’est là qu’il rencontre la relève intellectuelle. En cet automne 1674, une nouvelle relation se profile, prometteuse, avec un jeune mathématicien allemand, séjournant pour quelques mois à Amsterdam. Par l’entremise de Rieuwertsz, un premier échange de lettres a déjà eu lieu, engageant. Spinoza s’intéresse au jeune homme et prévoit de le rencontrer avant la fin de l’année.
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La porte d’entrée, peinte en noire, est surmontée d’une fenêtre à croisillons blancs et s’ouvre sur la voie publique. Le heurtoir, un rond de bronze, fait un bruit net et sonore, tac tac. La maison donne sur Pavilijoensgracht, débouchant sur le Cingel au sud de La Haye, dans le voisinage immédiat d’un hospice ouvert en 1616 pour accueillir les femmes pauvres et les veuves. Sans être imposante, la demeure a un abord plaisant, avec ses briquettes rouges, ses trois niveaux percés de grandes fenêtres à montants blancs, ses volets rouge rouille. La façade se rétrécit sous le pignon à gradins. Spinoza, philosophe, célibataire, habite le deuxième et dernier étage qu’il loue depuis 1671 à un peintre miniaturiste spécialisé en décoration intérieure, Hendrik Van der Spyck. Ce dernier vit avec sa femme et ses enfants dans cette maison située non loin du centre de
cette ville qui respire la prospérité, comme toutes les villes des Provinces-Unies depuis la fin de la domination espagnole et l’instauration de la République.
Depuis l’indépendance, une liberté de ton anime les discussions à laquelle il est difficile de renoncer quand on y a goûté. Dans ce pays, on a pris également goût à la peinture d’après nature, genre alors en plein âge d’or. Les Provinces-Unies se trouvent aux avant-postes d’une révolution politique qui se prolonge en révolution artistique et philosophique. Les peintres hollandais sont plus libres, ils se détournent des sujets historiques et théologiques dominants dans les pays du Sud de l’Europe et en Flandre, où l’Église catholique a resserré son étau sous l’impulsion de la Contre-Réforme. Le calvinisme contraint à la retenue, il empêche que des nudités extravagantes – comme on en trouve chez Rubens ou le Caravage –, ne s’étalent sur
les tableaux, par puritanisme certes mais aussi par rationalité : cette astreinte évite que les nudités deviennent les preuves fallacieuses d’une quelconque faute originelle de l’homme et du caractère vicieux du corps.
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En une époque de tutelles en tout genre, auxquelles le commun des mortels ne pouvait que très difficilement échapper, il osait mettre au-dessus de tout l’autonomie rationnelle et affective des individus. Il faisait passer leur épanouissement et le développement de leurs relations dans un esprit égalitaire, avant les intérêts des institutions et des clans sociaux. Il eut l’audace et la prodigieuse intelligence de proposer une alternative philosophique à la Bible et à tous les textes qui en appellent à la foi et qui condamnent le désir comme la marque du malheur de l’homme, lui qui définit le désir comme l’essence même de l’individu. Sa philosophie était, et est toujours, une philosophie de l’émancipation par la liberté de la pensée qui défie toute domination. En cela, elle est éminemment politique et incendiaire. C’est cette alternative à la Bible et ce manuel démocratique à l’échelle individuelle que j’ai maintenant sous les yeux : le texte intégral, en version manuscrite de l’Ethique, le grand traité de Spinoza, qu’il ne put publier de son vivant.
(pp.15-16)
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Videos de Mériam Korichi (4) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Mériam Korichi
Par Mériam Korichi, philosophe, dramaturge et metteure en scène.
En 1929, dans "A Room of One's Own", Virginia Woolf affirme qu'avoir une pièce à soi où réfléchir librement est une condition sine qua non de la pensée, et que c'est ce qui a manqué aux femmes dans l'Histoire pour écrire. Mais la liberté d'avoir une pièce à soi est indissociable de la liberté d'en sortir. le confinement nous invite donc à penser une nouvelle fois le rapport des femmes et de leur espace.
Lire l'article « Confinement et chambre à soi – sur A Room of One's Own de Virginia Woolf » sur AOC : bit.ly/3eQFbBt
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