L'écriture de Hesse nous entraîne au fil de divers récits, présentés sur fond de poésie, où les passages de ses personnages principaux au travers d'épreuves initiatiques nous entraînent à toutes sortes de réflexions politiques, religieuses ou philosophiques.
Ce recueil est certainement le meilleur moyen d'y accéder à diverses époques et d'en apprécier la maturation en langue française.
Peter Camenzind. Ce roman plein de charme permettra à Hesse de se faire un nom en littérature. On s'attache facilement à ce villageois montagnard dont les capacités d'expressions lui attirent un succès qu'il n'attend pas plus qu'il ne désire. Succès qui en fera bien vite un solitaire, isolé entre le monde de son enfance, où nul de possède sa culture, et celui où il produit son activité de critique littéraire, milieu où personne ne sait vivre à la manière simple et pure de sa campagne natale dont une part de son être demeure irréductiblement constituée.
L'Ornière. le mot qui fourni l'intitulé du livre y est présenté comme le concept philosophique phare d'une appréhension très sombre de l'existence humaine. Ici, l'homme naît avec plein de possibilités que la société annihile, extermine, détruit.
Rosshalde. le désespoir de l'existence artistique bourgeoise est formidablement exposé, en long et en large, par ce regard porté ici sur l'activité et le mariage d'un peintre. Difficile de s'en sortir le nez avant de l'avoir terminé.
Knulp. Chef d'oeuvre de la période de production romantique de Hesse. Ce roman est une véritable poésie en prose, pleine d'une belle mélancolie dont le charme provient des sphères de la moralité et de la spiritualité.
Demian. Voilà, à mon sens, le premier vrai grand roman où le style de Hesse prend forme. Cette aventure spirituelle encore très sombre d'un jeune homme tourmenté est franchement haletante.
Le dernier été de Klingsor. Ce recueil de quatre nouvelles est, à mon avis, ce qui se trouve de plus faible dans l'ensemble présenté ici. Si je me suis laissé attendrir et divertir de manière superficielle par La scierie du marbrier et Ame d'enfant, j'ai trouvé plutôt lourd Klein et Wagner et, comme
Rosshalde présentait déjà de manière bien plus fine et profonde l'existence artistique, j'ai trouvé franchement ennuyant
le dernier été de Klingsor.
Siddhartha. Les romans mystiques sont généralement le fruit d'un prosélytisme qui ne peut que dégoûter tout lecteur sérieux. Or, ce n'est absolument pas le cas ici. Hesse cherche à présenter la quête de spiritualité qui accompagne nécessairement toute existence consciente de sa finitude et il le fait par le biais de l'horizon indien d'une manière parfaitement réussie.
En effet, bien que le lecteur qui espérerait trouver dans ce livre une représentation authentique de l'esprit indien n'arrivera certainement pas à satisfaction, Hesse nous y fait si bien rêver et réfléchir qu'il me semble que ça vaut le coup de suspendre nos exigences de vérité historico-culturelle pour suivre simplement le fil de cette belle histoire.
Enfance d'un magicien. Ce roman raconte avec une tendre dureté les tribulations d'un jeune homme dont l'authenticité l'entraîne à actualiser quelques doctrines idéalistes qui ont su le séduire.
Sans que je puisse dire pourquoi, ce livre n'a pas su me laisser une impression aussi forte que les précédents et les suivants.
Le loup des steppes. La structure de ce récit a une forme très kierkegaardienne puisqu'il présente le récit d'un pseudonyme au sein duquel on trouve le pamphlet écrit par un personnage qu'un pseudonyme de Hesse observe.
D'autre part, son fond est très nietzschéen puisqu'on y trouve des critiques incendiaires de la société bourgeoise dans une atmosphère existentielle d'intellectualisme narcissique décadent. Il faut dire que l'auteur partage avec
Nietzsche aussi bien le fait d'être fils de pasteur protestant que la volonté de trouver des possibilités supérieures pour l'humanité. Or, dans le cas présent, la possibilité sur laquelle on tombe, et qui enflammera la civilisation occidentale une cinquantaine d'année après, correspond, pour reprendre les idées du jeune
Nietzsche, à un délire dionysiaque auquel manque la contre partie apollinienne...
Narcisse et Goldmund. Ici Hesse atteint à mon sens le sommet de son art. L'horizon historique du Moyen-Âge, en commençant avec ses monastères, où s'épanouissent religiosité et philosophie scolastique, pour passer par ses corps de métiers, ses pestes, ses brigands et surtout ses artistes vagabonds, y est parcouru de long en large, aux cours de nombreux chapitres qui pourraient bien contenir à chaque fois un roman complet.
Le voyage en Orient. Entre rêve et réalité, nous voyons, au cours d'un trop court nombre de pages, s'entrecroiser toutes sortes de personnalités appartenant à diverses époques. On appréciera d'avantage après avoir lu
le Jeu des Perles de Verre...
Le Jeu des Perles de Verre. Sublime couronnement d'une carrière littéraire hors du commun, voilà sans aucun doute l'un des récits de science fiction les plus étonnants qui soient. Considéré par plusieurs comme le chef d'oeuvre de Hesse, on y trouve une critique (plus que jamais d'actualité aujourd'hui) de la culture des « pages de variété » et une contre-position positive qui n'a rien d'une utopie, aussi bien du fait qu'elle paraît parfaitement réalisable, que parce que ses défauts sont mis à jour par le personnage principal.