On devine au titre que Monsieur Ripois ne sort pas vainqueur de cette histoire dans laquelle il promène sa silhouette de dandy dans les rues de Londres. Époque édouardienne, la capitale anglaise s'ouvre aux loisirs aux joies du music-hall et quand on n'a pas un penny, il reste à se faire aimer des femmes pour se voir offrir ce que l'on ne peut s'octroyer. Et aucun scrupule à s'attaquer aux femmes des classes populaires.
Amédée Ripois c'est un personnage desséché par un égoïsme dépoitraillé et débarrassé de tout sens de culpabilité, il aspire à s'épanouir dans la volupté en se servant des femmes pour son ascension sociale. Face à ce lointain reflet de Bel-Ami, les femmes ne résistent guère habitées par une générosité et une pureté qui leur donnent une bien plus grande noblesse d'âme que ce goujat.
Monsieur séduit, savoure de voir ses désirs comblés sans s'acquitter du moindre effort mais s'épuise très vite des débordements d'affection, préférant partir emportant avec lui la dignité et les espoirs des femmes qu'il abandonne.
Face à la difficulté, ce personnage inoubliable d'infamie choisit toujours le chemin le plus facile qui n'est pourtant pas le plus simple à assumer. Animé par son appétence pour la liberté, il va pourtant en découvrir douloureusement les paradoxes...
C'est un roman séduisant qui convoque des figures d'une autre époque, tous les chapitres sont imprégnés de sensations venues du Londres des années 1910.
Louis Hémon ne révolutionne pas la littérature du début XXe, il s'inscrit dans la tradition littéraire décrivant les tares humaines avec en arrière-plan un tableau des moeurs convaincant.
Mais la force de ce roman est vraisemblablement de donner une certaine vitalité à la morale simple et sincère qui se laisse découvrir lentement. L'écriture expressive y participe malgré quelques répétitions mais on se laisse prendre avant tout par l'épaisseur tragique qui entoure cette histoire.
Car derrière le personnage détestable, derrière les considérations et réflexions si parfaitement inadaptées, il y a un récit qui mène à une régénération du sentimental et à l'idée que l'attachement à la sensation de liberté peut enchaîner sans s'en rendre compte. J'ai aimé le dispositif avec lequel l'auteur démasque les sentiments qui s'insinuent dans l'esprit, atteignent lentement les couches profondes de l'âme chez un homme en apparence sans coeur.
Malgré la noirceur qui s'en dégage, c'est une lecture aussi vivifiante qu'une balade.