Je n'avais rien lu de Peter Høeg depuis 1995 et je me demande bien pourquoi : j'avais beaucoup aimé Smilla et l'amour de la neige. J'ai été ravie par ce passionnant roman parfois complexe et magnifiquement écrit. Comme l'indique le titre, Susan possède un pouvoir : en sa présence, les gens sont pris d'une irrésistible envie de se confier… Ce serait insupportable si elle n'avait pas appris à maîtriser en partie ce qu'elle et ses proches appellent « l'effet ». Mais tous les membres de la famille se révèlent exceptionnels, tant Laban le mari de Susan, que leurs jumeaux Thit, la fille, et Harald, le garçon. En Inde où ils se trouvaient, tous ont fait « des bêtises ». Thorkild Hegn, un haut-fonctionnaire danois, va exercer sur Susan une forme de chantage : elle doit retrouver les membres d'un groupuscule actif dans les années 70, la « Commission pour le futur » et, en contrepartie, il les sortira du mauvais pas où ils se trouvent. Susan va remonter la piste grâce à son pouvoir et aux dons des membres de sa famille, mais ce sera difficile et périlleux : des gens meurent, peu avant ou peu après son passage…
Je retrouve des constantes entre ce roman et Smilla et l'amour de la neige : le personnage principal est une femme brillante, scientifique de renom, qui possède un inexplicable don particulier ; la critique des instances gouvernementales est virulente (les motifs sont différents) ; la préoccupation écologique tient une place plus importante dans Smilla, mais elle se révèle constante aussi dans Le pouvoir... ; la dénonciation des privilèges habite les deux œuvres ; les traumatismes d'enfance marquent la vie des protagonistes ; l'amour qu'une femme porte à un enfant l'amène à se dépasser et à accomplir des choses dont elle ne se croyait pas capable ; dans les cas extrêmes, la morale est à géométrie variable… Et j'en oublie sûrement. Dans Le pouvoir de Susan, la physicienne raconte à la première personne l'enquête qu'elle mène, aidée des membres de sa famille. En adoptant ce point de vue, l'auteur prive le lecteur de certaines données. Qui sont les membres de la Commission pour le futur ? bienveillants ou malveillants ? Qu'ont-ils découverts ? Pourquoi est-ce urgent et important de les identifier ? Susan et ses proches se retrouvent-il sous protection ou emprisonnés ?
Malgré un texte très dense, j'ai dévoré ce livre ! Peter Høeg n'emploie pas (ou si peu) les trucs habituels des thrillers à succès : chapitres très courts, nombreux cliffhanger, fausses pistes, etc., et pourtant, il est bien difficile de lâcher ce roman. Le souci apporté au style (et sans aucun doute à la traduction), les nombreux aphorismes, les réparties cinglantes de Susan, l'ironie qui sous-tend le texte me sont apparus comme autant de points forts se superposant à la qualité de l'intrigue. Prévoir un peu de temps libre avant d'attaquer ces 430 pages…
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Quelques jours après avoir laissé mes émotions décanter, je suis prêt à rédiger ma critique.
Eblouissant, total et cérébral ce roman m'a totalement transporté.
Susan est la nouvelle femme de ma vie (chérie tu m'excuseras mais là le combat est déséquilibré, je t'assure;-))
Waouhhh mais quelle héroîne...Obstinée,insolente,vive,courageuse, libertine, salace...
Peter Hoeg nous offre une course poursuite sans temps morts...actions, complots, émotions et, encore une fois, une héroîne hors norme ( je ne vais pas m'en remettre, je crois) composent un cocktail détonant.
Bref, n'hésitez à vous y plonger....ce roman est vivifiant et inquiètant.
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Un processus s'était engagé. Un phénomène brutal que les psychologues sauraient sans doute expliquer, mais dont le résultat est qu'il arrive un jour où une maman a serré son fils dans ses bras pour la dernière fois. Et qui contient des indices du fait que l'amour n'est qu'une illusion darwiniste ayant pour but de garantir que les parents et les autres animaux prennent soin de leurs petits.
Certains croient à la psychologie. Pas moi. Tout n’est que biochimie sur un substrat d’effets d’électronique quantique. Thorkild Hegn a dû être produit en dissolvant un baquet plein de chefs de service, de lieutenants-colonels et de PDG dans un liquide fortement corrosif. La solution a été réduite par évaporation jusqu’à l’obtention du concentré qui est assis en face de nous. (p. 115)
Nous avons dressé l’image d’une planète où les tentatives rares et timides de conduite globale ont échoué. Où le modèle social occidental est entré en crise à cause du déficit des états. Où les jeunes, confrontés à un taux de chômage record, doivent entretenir la plus grande population de personnes âgées de tous les temps […] Où le système éducatif n’est ni efficace ni formateur car basé sur des schémas dépassés, préparant à des professions et à des types d’économie du XXe siècle qui n’existent plus. […] Où la pénurie de ressources conduit au néo-tribalisme et à la guerre. Il y a des arsenaux nucléaires équivalents à une kilotonne de TNT pour chaque homme, chaque femme et chaque enfant sur Terre. Même un conflit nucléaire tactique mineur, comme une guerre frontalière entre l’Inde et le Pakistan, libérerait au minimum une force explosive mille fois supérieure à la bombe d’Hiroshima. Rien que les cendres des villes incendiées provoqueraient une mini ère glaciaire dans l’hémisphère nord.
[…] — Vous n’êtes pas infaillibles, je rétorque. Vous avez mal calculé. (p. 255-256)
D'une certaine manière, je dirais que je le reconnus. Sans jamais l'avoir vu.
Parfois, on n' a pas besoin d avoir déjà vu une personne pour la reconnaître. Parfois, on a la sensation lugubre d'être victime d'une affinité inexplicable qui existe déjà sans que l'on puisse en retracer l'origine.
Certaines personnes sont convaincues qu’une vie de famille heureuse s’obtient au moyen de compromis heureux. Ce n’est pas vrai. L’amour ne connaît pas le compromis. Une famille heureuse s’obtient en résolvant des koan. Ou plus exactement, en les dissolvant.
Pour ma part, je croyais que nous les avions résolus pour toujours.
J’aurais dû le savoir. Rien au monde ne dure pour toujours. Les lois de la nature sont temporaires. Dès que la physique s’arrête sur une image unique du monde, celle-ci se dissout et se révèle n’être qu’un cas particulier appartenant à un paradigme plus grand.