Thomas Grillot, a accepté de participer à l'aventure "raconter la vie" - le roman vrai de la société française, une collection du Seuil qui a décidé de porter un regard neuf sur notre société. Son ouvrage en forme de témoignage, Un homme à la crèche" nous dépeint en effet le quotidien d'un homme qui exerce le métier d'auxiliaire de puériculture dans une crèche. Il s'agit d'un métier qu'on pourrait qualifier "de femmes", ou plus exactement à "majorité féminine". Les hommes sont l'exception.
A diplôme égal, ils doivent impérativement faire leurs preuves. Dans un environnement qui peut leur être hostile, ils doivent convaincre collègues ou parents de leurs compétences et du droit qu'ils ont d'exercer leur métier dans une crèche.
Thomas Grillot, écrivain et historien, à travers différents témoignages,nous dépeint des parcours divers. Il s'interroge sur la notion de professionalisme et aussi sur l'identité masculine dans un monde hyper-féminisé.
Il nous conduit à réfléchir sur les préjugés, les non-dits qui entourent encore le monde du travail et la division des rôles. Il dépeint la place des hommes, dans des métiers dits "de soin", qui semblent systématiquement dévalorisés.
Pour nourrir la réflexion, l'auteur propose un certain nombre de lectures complémentaires, de pistes, sur les stéréotypes filles-garçons, sur le soutien à la parentalité et la transgression du genre au travail.
Par ailleurs, il fournit les coordonnées du site Facebook de l'AMEPE : l'association pour la mixité et l'égalité dans la petite enfance.
En conclusion, je dois dire que j'ai lu cet ouvrage avec beaucoup d'attention ; je trouve la démarche de ces hommes assez courageuse. J'ai réfléchi aussi à mon attitude face aux métiers prétendument dits "masculins" ou "féminins".
Quant à la collection "raconter la vie", elle prouve une fois de plus tout son intérêt pour dépeindre notre société... et c'est, à mes yeux, une valeur sûre.
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L'auteur dresse un tableau d'un homme travaillant en crèche (enfant de 0 à 3 ans) et rend bien compte des préjugés qui peuvent exister concernant ce travail dit "féminin".
J'ai été un peu déstabilisée par le style de l'auteur. En effet, comme il n'est que spectateur dans cette crèche et qu'il ne veut pas nommer les personnes, il n'emploie que la 2ème personne du singulier ; donc, au début, j'étais un peu perdue car je ne savais pas vraiment de qui il parlait ou à qui il s'adressait. Passé ce détail, le témoignage est très intéressant. A découvrir !
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Parents, amis comprennent que tu es sérieux, que ton choix n'a pas été fait à la légère. Ils se demandent en revanche ce que tu peux bien faire de tes journées : parce que ton boulot, c'est quand même d'être à quatre pattes à longueur de temps à jouer avec les enfants ? Tu es nounou ?
En vérité, ce que tu fais est difficile à dire en peu de mots. Ce n'est pas que tu sois incapable de l'expliquer : c'est que des explications, tu en as trop, et quand on explique, on ne montre pas. L'"accompagnement à la parentalité", c'est un concept difficile. C'est quelque chose qui ne se voit pas si bien que ça. Que tu es un homme, dans tes gestes, ça ne se voit pas non plus. Alors dire d'un coup ce que fait "un homme en crèche", sans dire des banalités...
Tu veux pourtant qu'une chose soit claire : tu ne fais pas que changer les couches. Ce n'est pas que cette question des couches soit sans importance. Bien le faire - ou le faire tout court -, c'est quelque chose qui pourrait à la rigueur définir ton travail et sa valeur. Un cul propre et un nez mouché.
Mais ce n'est pas tout.
Est-ce qu'on peut dire que tu fais de l'éducation ? Moui, c'est pas encore ça.
Tu fais un métier de femme en tous cas.
Aussitôt tu corriges :"je devrais pas dire "je fais un métier de femme", je devrais dire "je fais un métier, comment dire, à majorité féminine", parce qu'en étant que tels, les gestes sont.... c'est assez maternant on dit, mais les gestes maternants, un papa les fait aussi, quoi, et pour le coup, prendre un enfant dans ses bras, certes c'est perçu comme féminin, mais on est dans une société maintenant où c'est pas mal vu si un parent me voit faire un câlin à un enfant."
Ah voilà : alors c'est ça ton métier, tu fais des calins ?
Là où les femmes se voient reconnaître une compétence innée avec les tout-petits (ce qui peut leur donner confiance en elles mais aussi exiger d'elles qu'elles surjouent les "mères-nées") vous avez, vous les collègues de sexe masculin, à faire vos preuves.
C'est là qu'il est important de montrer qu'on est professionnel, qu'on fait toujours tout dans les règles.
Ce n'est pas toujours facile, surtout quand, justement, on vous interdit certains gestes : des hommes jeunes, en formation, m'ont confié n'avoir pas eu le droit de faire le change ou s'être vus interdire d'accompagner les enfants aux toilettes pour les aider à s'essuyer. La peur de la pédophilie, encore ?
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Le règle par défaut est " fais attention et ne perds pas de vue que tu es un homme". Les femmes n'ont pas ce problème. D'ailleurs, vous les voyez embrasser les enfants.
Cette mise au point en début de carrière, c'est moins qu'une stigmatisation, et c'est plus qu'un bizutage. Une assignation à résider dans ton habit d'homme. Tu apprends à te regarder différemment, à t'imaginer plus souvent en coupable.
Le problème le plus délicat reste finalement de convaincre ces parents qui n'acceptent pas que tu t'occupes de leurs enfants du sexe féminin.
Il y en a peu mais il y en a. C'est un autre point commun entre vous, toi et les autres hommes. Cela vous arrive à tous.
Toi, tu ne l'as pas su tout de suite. Ta directrice te l'a caché.
Tu l'as appris plus tard : un couple est venu la voir pour qu'elle t'interdise de s'occuper de leur fille.
Pendant "deux, trois jours, j'ai eu des interrogations", dis-tu, "le sentiment d'avoir été victime d'un truc... Pour la première fois, dans ma tête, j'imagine ce que quelqu'un, une femme, ou quelqu'un d'origine étrangère qui peut se faire discriminer, doit ressentir régulièrement ; et effectivement ce n'est pas agréable... Le fait qu'on doute de vous a priori sans raison, sans raison valable pour vous, c'est un peu injuste, quoi". Tu n'as pas des mots très durs, ni de grande révolte. Vous restez "le loup dans la bergerie". Il faut montrer patte blanche, sembles-tu vouloir dire.
La conscience que les femmes subissent bien pire te retient.
Tu as vu plus grave, au fond, que ce coût d'entrée supplémentaire qu'il y a à payer pour exercer le métier que tu as choisi. Tu ne t'en plains pas. Tu l'acceptes.
Plusieurs études montrent que les hommes qui, comme toi, font des métiers dits "de femmes" ne pâtissent pas, en réalité, de leur choix. Ils sont, c'est vrai, moins payés que ceux de leurs congénères qui ont poursuivi une carrière nettement plus masculine. Mais ils bénéficient aussi d'un mécanisme qu'une sociologue a appelé l'"escalator de verre" : alors que les femmes travaillant à des postes qui ont longtemps été domaine exclusif des hommes se heurtent au plafond de verre, qui les empêche de progresser dans la hiérarchie, les hommes en milieu féminin sont propulsés sans peine, et même plus vite que leurs collègues féminines, vers les fonctions de direction et des salaires plus importants.
Le change est une corvée dont on se débarrasse. L'enfant n'a qu'à bien se tenir. Car les activités valorisées sont toujours celles à valeur éducative, seules anoblissantes.....
Le soin, même codifié en gestes, même qualifié de technique, n'est jamais valorisant pour celui qui le pratique.
A regarder un homme en crèche s'occuper des enfants des autres avec cette sorte d'attention pas menaçante, pas du tout comme l'aigle qui survole un champ de lapins, comme un pasteur de moutons à deux pattes, on se sent plus léger, plus civilisé.