C'est en entendant l'auteur parler de son livre à la grande librairie que j'ai eu envie de le lire. Il y expliquait à quel point il croyait au pouvoir des mots pour changer des vies, et à quel point ils avaient changé la sienne.
Dans ce roman autobiographique, il évoque comment il est venu à l'écriture, lui qui passait pour un cancre à l'école car son refus de porter des lunettes l'handicapait ; lui qui s'est fait virer de plusieurs établissements au grand désespoir de sa mère, et préférait aux bancs de l'école la liberté, les petits larcins pour occuper les après-midi d'école buissonnière, les courses effrénées dans les rues de Marseille, les danses avec des filles dorées longues comme des lianes, aux robes légères. Sa vie bascule lorsqu'il se fait emprisonner comme déserteur par l'armée : Il rencontre dans son lieu de punition à Verdun un vieil ami de Marseille que tout le monde craint en ces lieux, même les officiers. Comment est-ce possible ?
« Je compris qu'il avait changé cet homme. Il n'était plus simplement le chef naturel d'une bande d'adolescents, il avait les mots, des mots qui claquaient comme des balles, des mots qui frappaient chaque cible en plein coeur. Des mots que je n'avais jamais entendu dans les rues. »
Ce passage décrit plutôt les mots comme des armes qui peuvent tuer. Et c'est le cas, en quelque sorte : « Il était devenu incontrôlable », dira-t-il plus tard de cet ami. Cependant, dans l'émission LGL,
René Frégni disait plutôt croire aux mots comme les seuls capables de désarmer une situation, de désamorcer un conflit, le régler autrement que par la violence et les poings : Lorsqu'on sait s'exprimer, on peut s'expliquer, comprendre l'autre, et parvenir ensemble à trouver un terrain d'entente, une solution. Et puis on peut s'intégrer ou se réintégrer plus facilement dans la société. Ce rôle des mots, un rôle de paix, me séduit d'avantage.
René Frégni vante dans ce livre un autre de leur rôle, et pas des moindre : leur pouvoir d'évasion. Pour quelqu'un qui est enfermé dans une cellule avec une planche pour dormir, et un seau pour le reste, c'est une fonction non-négligeable ! « Bientôt, il n'y eu plus de murs autour de moi, j'étais sur ces chemins, dans ces hameaux abandonnés, je sentais la chaleur sur mes épaules »… Formidable sensation que vous connaissez tous ! Et pour un gamin épris de liberté, enfermé entre quatre murs, quoi de plus attractif que l'évasion ?
C'est alors qu'il décide de prendre ce concept au mot, puis qu'avec les siens propres, il nous raconte l'extraordinaire histoire d'un homme qui devient écrivain pour crier sa liberté, puis apprend aux autres à trouver les mots, les clés, les mots-clés pour sortir du cercle très vicieux des prisonniers. Réellement ou virtuellement, ne sommes-nous pas tous prisonnier de quelque chose ou de quelqu'un, du labyrinthe étrange et inextricable de nos propres erreurs, peurs, ou traumatismes ? Il suffit parfois d'un stylo Pelikan et de quelques feuilles pour parvenir à s'en sortir. Trouver refuge dans les mots comme des baumes sur nos plaies, des fils d'Ariane menant aux issues de nos sombres couloirs.
Il n'y a rien d'extraordinaire dans les pages de
René Fregni, excepté son propre parcours : pas de style flamboyant, pas d'histoire qui tienne en haleine. La cavale m'a d'ailleurs presque lassée. Mais une telle humanité se dégage de cet homme qui se raconte, qui délivre ses maux, et son message ; qui essaye de transmettre à son tour le pouvoir des mots, que j'ai de nouveau trouvé la fin très belle. Il découvrira au fil de ses périples d'autres vertus à la lecture qui lui a tenu compagnie : Elle deviendra une véritable amitié. le style (mots et phrases) est simple et sans fioriture, mais doux, familier et plutôt évocateur. On a l'impression que
René Frégni nous parle. Son livre est une ode à la lecture et à la liberté, que le pouvoir de ses mots parvient à nous restituer.
Malgré tout, si je voulais une lecture neutre et facile après La Maison des feuilles, l'écart était peut-être un peu grand.