Le dernier
Prix Nobel de littérature est norvégien et il est un des dramaturges contemporains les plus joués. Cela ne pouvait qu'aiguiser ma curiosité, une lecture dans une perspective de passage sur scène était programmée. En furetant un peu, je découvre la référence à laquelle il et comparé :
Beckett. Je n'ai jamais vu d'adaptation sur scène, mais la lecture d'
En attendant Godot ne m'avait pas transporté et j'avais eu du mal à me projeter en acteur de ce type de pièces.
A la lecture d'Et la nuit chante, je ne peux que trouver le parallèle avec
Beckett erroné. Il y a certes une certaine absurdité dans le propos, mais elle est plus celle d'un quotidien retranscrit de façon excessivement réaliste que des dialogues sans queue ni tête. Il semble ne pas se passer grand-chose entre les personnages, la banalité est surlignée par la répétition des propos. Mais confronté à cette banalité, nous ne pouvons nous empêcher de penser « C'est tellement nous ! Sommes-nous si ridicules ? Oui sans doute » La préface au recueil de 4 pièces dans lequel j'ai lu celle-ci est rédigée par
Isabelle Carré, actrice que j'adore, tellement juste et simple dans son jeu que je ne m'étonne pas que ce genre de texte l'ait tenté. Elle évoque de façon intéressante les réactions du publics, amusés devant des textes pourtant tragiques ou choqués par les propositions, quittant pour certains la salle avant la fin. Face à la banalité apparente du texte, on peut soupçonner voire comprendre que certains n'aient pas vu d'intérêt… mais n'est-ce pas aussi la difficulté à se confronter à des personnages stéréotypes, criants de vérité dans leur banale absurdité, coincés dans un quotidien répétitif et aliénant ?
Combien de temps pourrions-nous tenir en face d'un miroir en cherchant réellement à nous regarder tels que nous sommes et pas en cherchant à nous recouvrir des artifices de l'esthétisme ? Dans un monde d'applications qui multiplient les filtres chargés de nous cacher notre apparence réelle, comment peut réagir l'humain confronté à son insignifiance crasse ? Certains spectateurs de Fosse ont semble-t-il déjà répondus, la fuite est le plus court chemin vers le déni.
Je complète avec un mot sur la deuxième pièce lue, Un jour d'été. On a envie de la rapprocher de la première par des thématiques redondantes : les différences dans le couple qui rendent complexes la vie commune, la difficulté à réellement se comprendre entre humains, ce qui amène finalement au thème de la solitude annoncé en quatrième de couverture comme celui qui marque le théâtre de Fosse. Une solitude originale car les personnages sont finalement rarement physiquement seuls, notamment ici où certains personnages se refusent à en laisser d'autres seuls... mais chacun reste enfermé dans son canevas de représentation du monde, et donc assez seul à deux ou trois. Dans la construction narrative, on retrouve aussi le drame qui couve, la montée de l'angoisse jusqu'au dénouement tragique. J'ai beaucoup apprécié le choix de représenter certains personnages à des moments différents de leur vie et de les faire coexister sur scène, le dispositif est original et permet la profondeur du propos, l'analyse des motivations et des états intérieurs. Une pièce qui me confirme que Fosse fait partie des dramaturges qui m'intéresseront, malgré un premier abord dépouillé qui pourrait faire craindre une superficialité. Il atteint la profondeur par le banal, ce qui est un vrai tour de force.
Pour ce qui est de Hiver, je vois beaucoup plus la parenté avec
Beckett. J'ai eu du mal à comprendre le sens profond de la pièce si ce n'est encore dans l'incommunicabilité de certaines choses, dans le rapport entre désir à soi et désir de l'autre qui se nourrissent mutuellement. Même si la fin est bien moins tragique que les autres, il reste une tristesse généralisée dont on a du mal à se départir. Et l'absence totale de personnages avec un nom, la distribution résumée à "Un homme - Une femme" rend le désespoir de cette peinture de la nature humaine plus présent. j'y vois beaucoup moins d'intérêt en lecteur et je pense aussi en acteur.
Pour finir, la dernière pièce du recueil, Variations sur la mort, est un peu un mélange de toutes les autres. Des personnages stéréotypes (vieille femme, vieil homme, jeune femme, jeune homme, la fille, l'ami), une construction très intéressante puisque là encore on confronte des personnages à leur moi du passé, des réflexions sur le couple, sur un drame familial, sur la difficulté à comprendre l'autre quand on ne pense qu'à sa propre douleur. Toujours les mêmes répétitions lancinantes des mots, comme si les personnages s'enfermaient eux-même dans une mélopée, comme si leur cerveau sonnaient comme un disque rayé. J'y ai trouve plus d'intérêt qu'Hiver, avec notamment des possibilités d'incarnation très intéressantes offertes aux acteurs, qui sont forcément sollicités dans leur talent propre, puisque les mots répétitifs n'offrent pas un support bien solide à l'interprétation, mais qu'ils peuvent tout de même être le vecteur d'une émotion sincère et à portée universelle.
En conclusion et après la lecture espacée de ces 4 pièces, je me félicite d'avoir fait ce choix car une lecture continue m'aurait sans doute empêché de voir la richesse du propos car j'aurais trop subi le poids des similitudes entre les différents messages. Au-delà de la solitude, thématique pointée par
Isabelle Carré, ou de la volonté revendiquée par Fosse de création d'un nouveau monde-refuge par l'écriture, j'ai trouvé dans ses pièces une autopsie du couple, incapable de communiquer, enfermé dans leurs propres rêves et vivant ensemble un même cauchemar qui ne se résout que dans le drame, le plus souvent celui de la mort. Pas réjouissant sans doute mais pas non plus à côté de la plaque quand on observe notre époque.