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EAN : 9791022612432
400 pages
Editions Métailié (17/02/2023)
4.24/5   48 notes
Résumé :
Lorsque Lion Feuchtwanger publia Les Enfants Oppermann en 1933, il avait déjà quitté l’Allemagne et vivait à Sanary-sur-Mer. Il déclarait vouloir avec ce roman « informer le plus rapidement possible ses lecteurs du vrai visage et des dangers de la domination des nazis ». Écrit en temps réel pendant que les nazis consolidaient leur pouvoir, ce grand livre montre la chute de l’Allemagne de Weimar à travers les yeux d’une famille juive bourgeoise, d’abord incrédule en ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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« Il ne t'incombe pas d'achever l'ouvrage mais tu n'es pas libre pour autant de t'y soustraire » - Talmud.

En préambule, je tenais à souligner l'excellente initiative des Editions Métailié de rééditer, dans une traduction de Dominique Petit, ce livre exceptionnel de Lion Feuchtwanger dont les ouvrages sont très peu traduits en français.

Cette fiction, « Les enfants Oppermann », a été publiée en 1933 à Amsterdam. Elle avait pour vocation d'alerter les milieux occidentaux sur le péril que représentait la montée du nazisme en Allemagne, Ce récit visionnaire s'inscrit dans une trilogie écrite en exil dont celui-ci à Sanary-sur-mer. C'est ce qui lui donne cette valeur ajoutée. L'auteur ayant lui-même été incarcéré à deux reprises au camp des Milles, il en a tiré « le diable en France ».

Lion Feuchtwanger est issu d'une famille de vieille tradition juive, très rigoriste, installée de longue date en Allemagne, totalement assimilée. Ses études vont lui permettre de s'éloigner et de se libérer du joug familial et de ses pratiques orthodoxes. Il laisse la religion loin derrière lui. Il conserve de sa judéité, comme beaucoup de juifs allemands assimilés, l'amour de la culture qu'elle soit intellectuelle, artistique, littéraire ou musicale.

Lion Feuchtwanger se rend aux Etats-Unis, en 1932, donner des conférences notamment sur le roman historique. Pendant cette absence, les miliciens saisissent ses livres, les brûlent, sa maison est mise à sac et ses biens confisqués. Privé de sa nationalité, il se réfugie avec Berthold Brecht, son ami de longue date, à Sanary-sur-mer

La médiathèque Jacques Duhamel de Sanary-sur-mer possède un fonds d'archives et d'ouvrages littéraires, très important, de tous ces exilés allemands et autrichiens qui sont venus séjourner à Sanary, entre 1933 et 1945. Aussi, dès leur parution « Les enfants Oppermann » se sont-ils retrouvés en évidence sur les présentoirs de la médiathèque.

J'avais déjà eu l'immense plaisir de lire « La juive de Tolède » de cet auteur talentueux qui doit sa notoriété au « Juif Süss ». Ce roman paraît en 1925. Il y dénonce l'antisémitisme rampant. Ce roman connaît un immense succès. Hélas, en 1940, Goebbels découvre ce récit. Sa perfidie perçoit dans celui-ci un modèle qui, transformé, devient un film de propagande raciale.

« Les enfants Oppermann » : Nous sommes en novembre 1932, la famille Oppermann est réunie pour fêter l'anniversaire de l'ainé de la fratrie, Gustav Oppermann, sous le regard du fondateur des meubles Oppermann dont le portrait est accroché au mur, Immanuel Oppermann.

Cette famille doit sa réussite et sa fortune au grand-père, Immanuel, qui a eu l'idée de fabriquer des meubles en série. Totalement assimilée, parfaitement intégrée à la bourgeoisie berlinoise, cette famille juive est très attachée à la culture allemande. Gustav se laisse porter par l'oisiveté, il vit de ses rentes, il est beaucoup plus intéressé par la littérature et par sa jeune maîtresse. Actuellement, il planche sur une biographie du dramaturge Gotthold Ephraïm Lessing. Il laisse la direction de la fabrique à son frère Martin et à son beau-frère Jacques Lavendel, l'époux de Klara. Quant au quatrième Oppermann, Edgar, il doit sa notoriété à ses qualités de professeur laryngologiste, reconnu au-delà des frontières. Les petits-enfants d'Immanuel jouent aussi leur rôle dans ce drame dont on connait malheureusement la fin.

Le livre « Les enfants Oppermann » fait partie d'une trilogie dont j'ai le troisième tome chez moi « Exil » qui retrace les combats de ces exilés allemands en France contre le nazisme. L'auteur n'a de cesse d'alerter sur l'ascension d'Hitler tout en passant au scanner les réactions de la société allemande. Ce roman est prodigieux. L'auteur parvient à personnifier cette montée en puissance du nazisme. A l'aide de cette fiction, il trace un tableau percutant de nos individualités et de nos réactions face à l'oubli progressif de nos valeurs démocratiques. Sous le joug des milices, la peur s'installe. Petit à petit l'étau se referme sur le peuple allemand, des individus fanatisés du mouvement VolKisch investissent les secteurs clefs comme l'administration, la culture, l'éducation, le judiciaire et la santé. La presse joue un rôle très important dans la manipulation des masses, jusqu'à la légalisation des humiliations et des violences faites aux Juifs, aux communistes, aux opposants. L'écriture de l'auteur est d'un réalisme saisissant. Il analyse magistralement les différences de comportements des personnages qu'ils soient principaux ou secondaires. Les pleins pouvoirs sont concédés à Hitler après l'incendie du Reichstag ce qui lui permet de restreindre les libertés fondamentales. le système est parfaitement huilé, un rebelle qu'il faut éliminer, la vox populi qu'il faut contrôler, le système met en place des rumeurs, véritables armes de destruction qui se met à l'oeuvre une fois la victime choisie.

Ce récit est à la fois angoissant et passionnant : angoissant par son réalisme qui m'a projetée dans le Berlin des années 30 et passionnant tant l'écriture, de facture classique, est agréable, limpide, vivante, J'ai été fascinée par l'illustration de toutes les réactions des individus qui composaient le tissu social de l'époque, confrontés à la montée du nazisme et à l'antisémitisme. IL y a ceux qui mésestiment le péril, ceux qui préfèrent tourner le regard, et ceux qui, avec un peu de bon sens, entrevoit ce que va devenir leur quotidien. On connait bien la formule « en 1940, il y avait les Juifs optimistes et les Juifs pessimistes : les pessimistes ont terminé aux Etats-Unis et les optimistes à Auschwitz». L'auteur dépeint avec vélocité et une grande connaissance du genre humain les mécanismes de défense mis en place, consciemment ou inconsciemment, par chaque être humain soumis à ce cataclysme. Toute la palette des postures y est figurée. le diagnostique est sans appel. Les questions politiques surgissent pendant que la République de Weimar se meurt. le mouvement nationaliste völkish entame une main mise sur la société allemande.

« La populace ne redoute rien tant que la raison. C'est la bêtise qu'elle devrait redouter si elle comprenait ce qui est redoutable. Lorsque Gustav Oppermann s'éveilla ce 16 novembre, jour de son cinquantième anniversaire, le soleil était encore loin de se lever. Il en fut contrarié ».
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Berlin, novembre 1932. Depuis plusieurs générations, la famille Oppermann est à la tête d'une entreprise florissante, active dans le commerce de mobilier bon marché. Trois frères et une soeur, proches de la cinquantaine, en sont les actionnaires actuels, mais seul Martin s'occupe réellement de gérer l'activité commerciale. Gustav, le seul à être célibataire et sans enfants, s'intéresse bien davantage à la poésie et la littérature et à sa jeune maîtresse, tandis qu'Edgar, éminent chirurgien laryngologue, se dévoue à ses patients et à sa clinique. Quant à Klara, elle se contente d'assurer son rôle de femme au foyer.
Dans cette famille juive bourgeoise aisée et respectée, chacun se considère Allemand, bien ancré dans sa patrie depuis des dizaines d'années.
Mais ce sentiment d'appartenance est de plus en plus contesté, à mesure que le nazisme et l'antisémitisme gagnent du terrain. Cependant, à ce moment, peu nombreux sont ceux qui, dans la communauté juive, prennent au sérieux les braillements hystériques d'Hitler. Ainsi, à la charnière de 1932-1933, chez les Oppermann, tout l'éventail des opinions est représenté, de l'incrédulité totale (les choses vont se calmer après les élections, le parti d'Hitler ne gagnera jamais, quel intérêt auraient les « völkisch » à éliminer les juifs,...) au pessimisme le plus sombre (il faut quitter l'Allemagne au plus vite en sauvant ce qui peut encore l'être, on ne veut plus de nous ici, il faut émigrer, en Palestine ou ailleurs,...).
Et puis Hitler est nommé chancelier, son parti remporte les législatives, et le pire est à venir. Les plus naïfs ouvrent finalement, tardivement, douloureusement les yeux et prennent progressivement conscience, jusque dans leur corps pour les plus malchanceux, du « sadisme organisé, [du] système d'humiliations d'une ingéniosité raffinée, [de] l'anéantissement bureaucratisé de la dignité humaine » mis en oeuvre par les partisans de l'ordre nouveau dans lequel les juifs n'ont aucune place.
« Les enfants Oppermann » est un roman extraordinaire, sidérant de justesse et de lucidité, visionnaire, prémonitoire. Publié en 1933, il a donc été écrit en temps réel, sur base de témoignages d'exilés, par un Lion Feuchtwanger tout juste réfugié en France. Son objectif était d' « informer les plus rapidement possible ses lecteurs du vrai visage et des dangers de la domination des nazis ».
Sur près de 400 pages, ce livre raconte la montée en puissance des nazis, la façon dont leur idéologie a infusé sournoisement dans la population, dans un pays mis à mal par la crise économique et encore meurtri par le camouflet du traité de Versailles. D'une lecture accessible et addictive, ce roman est poignant, percutant, désespérant, puissant. Et à notre époque de repli sur soi et de montée des nationalismes, il n'a rien perdu de sa force ni de sa pertinence.

En partenariat avec les Editions Métailié.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Lorsque se termine une oeuvre qui colle à ce point à la réalité, la phrase convenue est en règle générale :
« Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence »

Lion Feuchtwanger terminé son oeuvre par ces mots lourds de sens et glaçants à la fois :
"Aucun des personnages de ce livre n'a réellement existé en tant qu'individu à l'intérieur des frontières du Reich allemand dans les années 1932-1933, mais bel et bien en tant qu'entité. Pour atteindre la vérité figurative de l'archétype, l'auteur a dû gommer la réalité photographique des visages individuels. le roman Les Enfants Oppermann ne présente pas des figures de la réalité, mais de l'Histoire.
On trouve des éléments documentaires sur l'idéologie, les us et les coutumes des völkisch dans le livre d'Adolf Hitler Mein Kampf, dans les récits des rescapés des camps de concentration et dans les communiqués officiels du Deutscher Reichsanzeiger de l'année 1933, notamment."

Voilà qui clôt un très grand roman, indéniablement. Aucun essai, aucun autre roman ne pourrait à mon sens raconter ou expliquer la manière insidieuse avec laquelle les nazis ont imprégné le tissu social de l'Allemagne,... Car le parti pris de l'auteur, est de faire du lecteur un spectateur impuissant au travers de la famille Oppermann qui elle sera acteur et partie prenante de quelque chose qu'ils ne  comprendront pas, ne croiront pas, qu'ils jugeront impossible et qui pourtant se mettra en place telle une maladie qui sournoisement s'insinuera dans les institutions allemandes, dans les esprits jusqu'à gangrener tous les rouages de la société allemande.

Un mot quand même sur l'auteur Lion Feuchtwanger, car son histoire explique en partie la force de ce roman. C'est un auteur reconnu qui publiera dans les années 20 le Juif Süss qui, ironie du sort sera utilisé, sera détourné à des fins de propagande par le régime nazi
La particularité de ce livre "Les enfants d'Oppermann" est qu'il n'a pas été écrit après, mais pendant que les événements étaient en train de se produire.
L'auteur n'a donc pas eu besoin d'avoir recours à des sources historiques ou à des recherches approfondies , et c'est ce qui fait que cet ouvrage un livre à part.

La famille Oppermann ce sont principalement les 4
Gustav qui gère avec son frère Martin, même s'il est plus enclin à la littérature du XVIIIe siècle et à la poésie et à l'écriture d'un biographie de Gotthold Ephraim Lessing, une entreprise florissante. Ils sont à la tête de l'usine de meubles éponyme, que leur grand père a fondée :
"Ce qu'Immanuel Oppermann avait accompli au cours de sa vie n'avait rien de grandiose en soi, c'était une affaire de succès commercial. Mais pour l'histoire de la communauté juive berlinoise, c'était bien plus que cela. Originaires d'Alsace où ils avaient été petits banquiers, commerçants ou orfèvres, les Oppermann étaient établis en Allemagne depuis des temps immémoriaux. L'arrière-grand-père de ceux d'aujourd'hui avait quitté Fürth en Bavière pour venir à Berlin. Dans les années 1870-1871, le grand-père, Immanuel Oppermann, était l'un des fournisseurs les plus importants de l'armée allemande opérant en France ; dans un document à présent encadré et fixé au mur du bureau du directeur du magasin, le maréchal Moltke certifiait en quelques mots que M. Oppermann avait rendu de grands services à l'armée. Quelques années plus tard, il avait fondé les Meubles Oppermann, une entreprise qui, grâce à la standardisation de ses produits, fabriquait du mobilier pour la petite-bourgeoisie à des prix avantageux. Immanuel Oppermann aimait ses clients, il sondait leur coeur, les amenait à révéler leurs désirs secrets, leur créait de nouveaux besoins, les satisfaisait. On se racontait un peu partout ses saillies joviales où le bon sens berlinois se mêlait tranquillement à un bienveillant scepticisme personnel. Il devint un personnage populaire à Berlin et bientôt au-delà. "
Mais il va très vite il. Va falloir que cette fabrique de meubles devienne les  Deutsche Möbelwerke....

Le professeur Edgar Oppermann, éminent médecin, chef du service de laryngologie. À l'origine du procédé Oppermann, célèbre dans le monde entier. Mais avec le temps nul n'est prophète en son pays :
“Vous êtes de plus en plus dure avec moi, Helene”, répondit Edgar en s'efforçant de sourire. Il prit docilement les coupures de journaux, les lut. C'étaient les attaques habituelles, mais leur ton était encore plus brutal, plus grossier. Dans un cas sur deux, disait-on, le procédé Oppermann entraînait la mort de la personne opérée. Edgar Oppermann recourait presque exclusivement à des patients de troisième classe pour ses expériences meurtrières. C'étaient des meurtres rituels de grande envergure que le médecin juif commettait à la vue de tous pour se faire encenser par la presse juive. Ses yeux se brouillèrent sous l'effet de la colère. “Mais c'est ce qu'ils écrivent déjà depuis des mois, lança-t-il, furieux. Vous ne pouvez pas m'en faire grâce ?”

Et ensuite Klara, mariée à Jacques Lavendel, qui s'implique lui aussi dans la gestion de l'entreprise familiales. Mais dont les décisions ou prise de positions ont du mal à passer... Aurait-il une intuition sur le futur...

Voilà la fratrie Oppermann réunie autour de la table, forte, soudée. Les temps sont à l'orage et ils ont pris déjà plus d'une saucée, mais ils sont de taille à les supporter. Ils forment un tout avec le portrait du vieil Immanuel, ils n'ont rien à redouter devant lui, ils ont porté haut ses couleurs. Ils ont gagné leur place dans ce pays, une bonne place – qu'ils ont aussi payée un bon prix. Les voilà aujourd'hui installés, satisfaits, en sûreté.

D'ailleurs le 3 parties du livre sont à elles seules prémonitoires : hier, qui se termine sur cette phrase "Le 30 janvier, le président du Reich nomma l'auteur de Mein Kampf chancelier du Reich" .
Aujourd'hui pour lequel l'élément déterminant sera l'incendie du Reichstag, et enfin
Demain qui s'ouvre sur cette citation du Talmud "Il ne t'incombe pas d'achever l'ouvrage mais tu n'es pas libre pour autant de t'y soustraire."

Le tableau ne serait pas complet sans les 3 enfants : Berthold, Heinrich, Ruth.
Et un épisode s'avère être le plus révélateur c'est quand le jeune Berthold se voit alors imposer un sujet d'exposé des plus scabreux : « Que représente pour nous aujourd'hui Arminius l'Allemand ? » et ce par un professeur partisan du national-socialisme, et quand je dis partisan c'est peu dire...
Pour précision Arminius, connu également en Allemagne sous le nom de Hermann le Chérusque, est un chef de guerre de la tribu germanique des Chérusques, connu pour avoir anéanti trois légions romaines au cours de la bataille de Teutobourg, une des plus cuisantes défaites infligées aux Romains. Autant dire une figure que certains opportunistes auront vite fait de mettre au service de leur idéologie, en piétinant allègrement l'histoire, tout est bon pour exacerber les passions les plus malsaines
Autre exemple édifiant l'épisode du Protocole des Sages de Sion
"C'est en 1905 que parut à Moscou un livre intitulé le Grand dans le Petit, l'Antéchrist comme possibilité politique imminente. L'auteur était un certain Sergius Nilus, fonctionnaire de la chancellerie synodale. le douzième chapitre s'accompagnait d'une annexe surtitrée Les Protocoles des sages de Sion. Ces Protocoles réunissaient les rapports d'une réunion secrète qu'auraient soi-disant tenue à Bâle les plus grandes figures juives internationales, à l'occasion du premier congrès sioniste à l'automne 1897, afin de définir les lignes directrices d'un plan de conquête juive pour la domination du monde. le livre, traduit dans de nombreuses langues, fit forte impression, surtout sur les universitaires allemands. En 1921, un collaborateur du Times de Londres démontra que ces Protocoles avaient été empruntés dans l'ensemble mot pour mot au pamphlet d'un certain Maurice Joly paru en 1868 où les partisans de Napoléon III, francs-maçons et bonapartistes, étaient accusés d'avoir ourdi un terrible complot pour la domination du monde. L'auteur des Protocoles s'était contenté de remplacer les mots “francs-maçons et bonapartistes” par “juifs”. Ce qui n'était pas un plagiat du pamphlet de Joly dans les Protocoles était tiré de Biarritz, un roman publié lui aussi en 1868 par un certain Goedsche, sous le pseudonyme de John Retcliffe. Son livre décrivait comment les princes des douze tribus d'Israël, dispersées autour de la terre, se réunissaient tous les cent ans dans l'ancien cimetière juif de Prague afin de se concerter sur ce qu'il convenait de faire pour affermir la domination juive mondiale. Une fois révélée la falsification grotesque, le monde civilisé partit d'un immense éclat de rire. À l'exception de l'Allemagne où l'on continua de croire aux Protocoles, surtout dans les universités."

En résumé, on assiste, via les Oppermann, à une catabase de la société allemande certains y voyant et ressentant un sentiment de revanche qui couvait depuis au moins 1870 et exacerbé au sortir de la première guerre mondiale, quand d'autres seront emplis de peurs légitimes, de craintes malheureusement sourdes ou inexprimables. Et ensuite se posera la question fatidique : que faire ? Fuir, résister, se taire, faire fi de ses propres convictions, se renier soi-même, renier ses idéaux...

Voilà un passage pour finir qui résume à lui seul ce roman
"Tous les crimes sont le fait des mercenaires du gouvernement et tous ont été couverts par le gouvernement. La barbarie ne réside pas dans les seuls actes, mais dans les principes mêmes de ces hommes nouveaux. Ils ont brisé l'ancien mètre étalon du monde civilisé, légalisé l'arbitraire et la violence. Ce qu'on reproche à ce gouvernement, ce n'est pas que des forfaits aient eu lieu, mais qu'il s'oppose à toute enquête et emprisonne les plaignants, cautionnant d'emblée des crimes sans cesse renouvelés. Gustav parle de l'adhésion cynique de ces gens à la terreur, revendiquée dans dix mille livres, discours, ordonnances. de leur âpre curée sans vergogne. de leur absurde suffisance raciale. Ils ont tiré un fétiche du débarras et à voir aujourd'hui des professeurs sacrifier à ce fétiche dans leurs amphithéâtres et des juges siéger et juger au nom de ce fétiche, on a l'estomac tout retourné. C'est une effroyable comédie. Il y a là un roi en caleçon et le peuple à genoux s'extasie à grands cris devant son splendide habit. Certes, on continue à construire en Allemagne de superbes machines, à effectuer un travail de précision dans les usines et à faire de la musique magnifique : ils sont des millions de gens à s'efforcer de rester corrects. Mais à côté d'eux, la jungle a surgi où l'on torture et massacre, et ils ne peuvent que détourner obstinément les yeux en se bouchant les oreilles. Certes, il s'agit de crimes individuels et chaque torture, chaque meurtre est un fait minime à l'aune de l'ensemble, il en convient aussi. Seulement, l'ensemble se compose de tous ces faits minimes, comme le corps se compose de cellules et finit par dépérir lorsque trop d'entre elles ont été détruites. "

Ils ont brisé l'ancien mètre étalon, une phrase qui revient comme une ritournelle cynique dans le livre et qui a elle seule contient TOUT
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Roman indispensable à tous ceux qui, comme moi, ont du mal à comprendre comment un peuple aussi cultivé, aussi évolué - la patrie de Goethe Beethoven, Kant... et tant d'autres - a pu se laisser contaminer par la peste brune, par cette idéologie absurde et mortifère qu'a été le nazisme.
L'auteur nous raconte avec une grande authenticité la manière insidieuse dont les nazis dans les années 30 sont parvenus à instiller leurs idées dans tout le tissu social et à le gangréner.
Sujet actuel s'il en est - ne dit-on pas que l'histoire est un éternel recommencement - traité avec une "force qui ébranle le lecteur".

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Ce roman ne nous laisse pas indifférent. Il est percutant, choquant et il est surtout écrit en temps réel. Il témoigne d'un moment de l'histoire que nous préférerions oublier: le nazisme. Et pourtant le devoir de mémoire est primordial pour les générations actuelles et futures. Lion Feuchtwanger a vécu ce qu'il a écrit. Hitler la spolié de tout ses biens, a fait interdire ses livres et la déchu de la nationalité allemande. Lorsque son livre est édité en 1933, l'auteur déclarait vouloir :  « informer le plus rapidement possible ses lecteurs du vrai visage et des dangers de la domination nazie ». Ce livre décrit la chute de l'Allemagne de Weimar et de quelle façon l'idéologie nazie et Hitler ont accédé au pouvoir, comment cette idéologie dangereuse a contaminé la population. Les protagonistes sont une famille juive, aisée et bien établie dans la société, la famille Opperman. Ils bénéficient d'un statut social important, ils se pensent donc intouchables. Et pourtant ils ne sont pas préparés à la suite des événements. Nous faisons connaissance avec les 3 frères Opperman , ils approchent tous de la cinquantaine. Ils sont à la tête d'une entreprise de meubles florissante. Mais seul un frère s'en occupe réellement. Les deux autres ont choisi un autre avenir : l'un est un éminent chirurgien laryngologue et l'autre gravité dans le monde très fermé des intellectuels. Dans cette famille bien intégrée, chacun se considère Allemand bien ancré dans sa patrie. Mais ce sentiment d'appartenance est de plus en plus contesté, à mesure que le nazisme et l'antisemitisme s'installent dans le pays. Cependant chez les Opperman, personne ne prend au sérieux : « cet homme simple et hystérique », Hitler qui vient d'arriver au pouvoir. La prise de conscience de l'idéologie nazie, ainsi que ses dangers arrivé tardivement, le réveil s'avère très douloureux. Assez rapidement les lois anti juives sont mises en place. Les familles juives les endurent quotidiennement; les familles juives sont spoliées de tous leurs biens, leur nationalité, leur travail…. Elles sont torturées et humiliées. L'auteur parle du : «  sadisme organisé, du système d'humiliations d'une ingéniosité raffinée, l'anéantissement bureaucratisé de la dignité humaine », mis en oeuvre par les partisans de l'ordre nouveau dans lequel les juifs n'ont aucune place. Rien que d'avoir écrit la citation de l'auteur je ressens un sent de mal être et de tristesse . Je me demande encore comment autant de cruauté et de barbarie ont pu être réunis en un seul homme. Je referme ce livre pleine d'effroi, en pensant que malheureusement ce livre fait écho à la montée du nationalisme et du racisme encore bien présent dans certains pays. Mais cela dit j'ai apprécié la manière dont le livre fut écrit et aussi comment l'intrigue fut mise en place. le devoir de mémoire afin que l'être humain prenne conscience de sa bêtise et sa cruauté à travers les guerres de toutes sortes, le racisme, les dictatures…..
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critiques presse (1)
LeMonde
17 avril 2023
A la fois chroniqueur et romancier, Feuchtwanger adosse adroitement la fiction à la vérité historique et fait ­graviter autour de cette famille différents représentants de la société allemande, qui tous, opposants ou sympathisants au nazisme, montrent par leurs réactions et leurs destins comment les ennemis de la démocratie ­savent insidieusement se nourrir de ses faiblesses et de ses illusions.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
"Votre neveu Berthold? Sa fin ? " demanda Frischlin Il s'avéra qu'il ignorait tout de l'affaire
"Comment est-ce possible," s'écria Gustav, offusqué Mais Frischlin n'était pas autrement surpris En Allemagne, tout était fait en ce moment pour empêcher qu'on ait des nouvelles de ses proches si elles fâchaient le gouvernement Les journaux étaient à l'évidence contraints de ne pas faire d'annonces Sans sérieuses recherches, on ne savait rien Personne ne sortait plus sans masque en Allemagne On soutenait haut et fort que tout allais bien, et c'est seulement après avoir jeté un coup d'œil prudent à la ronde qu'on osait se chuchoter ce qu'il en était réellement Dans une grande ville, on ignore tout de son voisin, on a l'habitude d'apprendre par le journal ce qui se passe sur son propre palier Or, les mauvaises nouvelles étaient interdites de publication Dans un pays de soixante-cinq millions d'habitants, on pouvait sans peine en tabasser trois mille à mort, en estropier trente mille sans jugement, sans motif, tandis qu'en apparence, tout semblait rester paisible et en ordre A condition justement de museler la presse et la radio

page 254
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L'homme s'était tourné d'un mouvement brusque vers un beau buste ancien en marbre figurant le visage ingrat, rayonnant d'intelligence, de l'écrivain et érudit François-Marie Arouet, dit Voltaire. "Le buste vous plaît cher collègue?", déclara abruptement le nouveau avec son accent criard de Prusse-Orientale en montrant dans le coin opposé le buste d'un homme aux traits tout aussi disgracieux, celui de Frédéric-le-Grand, roi de Prusse et homme de lettres. "Je peux comprendre, Monsieur le directeur, poursuivit-il que vous ayez placé face à face le grand roi et son antithèse. Ici, l'homme d'esprit dans toute sa majesté, là, la bête intellectuelle dans toute sa médiocrité. Ce contraste fait ressortir la noblesse de l'homme allemand. Mais permettez-moi de vous l'avouer franchement, monsieur le directeur, personnellement il me serait pénible d'avoir la gueule de ce Français toute la journée sous les yeux." Le directeur François continuait à sourire avec une politesse forcée. Il lui paraissait difficile d'établir le contact avec le nouveau professeur. "Je crois qu'il va être temps que je vous présente à votre classe", dit-il.
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Lorsque Gustav Oppermann s’éveilla ce 16 novembre, jour de son cinquantième anniversaire, le soleil était encore loin de se lever. Il en fut contrarié. Car la journée allait être chargée et il s’était promis de dormir tout son soûl.
De son lit, il distinguait le faîte de quelques arbres dépouillés et un bout d’azur. Le ciel était haut et clair, il n’y avait pas de brouillard, bien que ce soit fréquent en novembre.
Il s’étira de tous ses membres en bâillant. À présent réveillé, il rejeta résolument la couverture du large lit bas, balança ses jambes d’un mouvement souple pour se propulser hors de la tiédeur des draps dans le matin froid, et sortit sur le balcon.
Devant lui, son petit jardin en pente s’étageait sur trois terrasses jusqu’à la forêt, à droite et à gauche s’élevaient des collines boisées, un paysage touffu et vallonné se détachait aussi au-delà du terrain un peu plus loin, caché par les arbres. Une brise fraîche et plaisante montait du petit lac invisible sur la gauche, ainsi que des pins de Grunewald. Dans la paix profonde de l’aube, il savourait à pleins poumons l’air de la forêt. Du lointain lui parvenaient, assourdis, les coups d’une hache ; le son régulier ponctuait agréablement le silence. Comme chaque matin, sa villa enchantait Gustav Oppermann. Qui, transporté ici sans crier gare, penserait n’être qu’à cinq kilomètres de la Gedächtniskirche, au cœur de l’Ouest berlinois ? Vraiment, il a choisi pour domicile le plus beau coin de Berlin. Ici, il dispose de tout le calme de la campagne et pourtant de tous les avantages de la grande ville. Il y a quelques années seulement qu’il a construit et aménagé sa petite maison dans la Max-Reger-Straße, mais il se sent étroitement lié à la villa et à la forêt, chacun des pins est une part de lui-même, il ne fait qu’un avec le petit lac et la route sablonneuse là en bas, heureusement interdite aux voitures.
Il demeura un moment sur le balcon, s’imprégnant de la matinée et du paysage familier sans penser à grand-chose. Puis il se mit à frissonner. Il se réjouit d’avoir encore une petite demi-heure avant sa sortie quotidienne à cheval. Il regagna la tiédeur de son lit.
Mais il ne trouva pas le sommeil. Ce maudit anniversaire. Il aurait été plus malin de quitter Berlin pour échapper à tout ce remue-ménage.

(INCIPIT)
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L’une des premières nuits, les mercenaires sont apparus à l’aube Max-Reger-Straße. Ils étaient huit. Heureusement, Frischlin avait mis la veille le manuscrit du Lessing à l’abri chez des personnes au-dessus de tout soupçon, avec l’essentiel de la littérature critique et l’ensemble de la cartothèque. Ils ont pris et déchiré tous les documents restants. Ils ont épargné beaucoup de livres, ils avaient fait à coup sûr plus de ravages chez d’autres personnes. Ils se sont montrés parfaitement arbitraires dans le choix des ouvrages à lacérer ou à emporter. Les nombreuses éditions de la Divine Comédie de Dante ont particulièrement excité leur rage : égarés sans doute par le mot “comédie”, ils les ont prises pour la littérature de propagande de la Ligue des militants athées. Ils ont confisqué la voiture et la machine à écrire.
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Gustav Oppermann se rendait Gertraudtenstraße pour assister à une réunion dans le bureau du directeur de la maison de meubles. C’est avec une insistance inaccoutumée que Martin l’avait prié cette fois d’y participer à tout prix.
C’était quelques jours après la nomination du Führer au poste de chancelier. Les rues grouillaient de monde. Partout, on voyait les chemises brunes des mercenaires völkisch , la croix gammée völkisch . Bien que conduite avec dextérité et célérité par Schlüter, la voiture de Gustav n’avançait pas très vite.
On était de nouveau arrêtés à un feu rouge. Les Américains, songea Gustav, ont une jolie expression pour cela : “The lights are against me.” Mais il n’eut pas le loisir de laisser vagabonder ses pensées. Les criailleries d’une vieille femme acharnée à proposer des pantins l’en arrachèrent. C’étaient des pantins à l’effigie du Führer. La vieille en agitait un devant sa vitre. Si on lui appuyait sur le ventre, le pantin levait le bras droit, main tendue à plat – un geste que le fascisme italien avait emprunté à la Rome antique et le fascisme allemand au fascisme italien. Caressant le pantin, la vieille criait : “Mon pauvre, mon grand, tu as combattu, tu as souffert, tu as vaincu.”

(INCIPIT - livre deuxième)
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