Construire une société ouverte, plurielle, respectueuse, riche, métissée…
« Catalogne est un nom de ma géographie sentimentale ». de l'émouvant Apostrophe d'Erri de Luca, je souligne le souvenir de
George Orwell, les brigades internationales, « J'ai lu des récits et des témoignages de républicains de la guerre civile. J'ai lu la défaite, l'exil, l'affreux collier qui brisait les vertèbres du cou du condamné. Les raisons de ces combattants se sont ainsi agrandies en moi », la condamnation à mort de Salvador Puig Antich en 1974…
Une ville, une mer, le sel de la Méditerranée, « Nous appartenons aux ports d'où sont partis nos émigrants, où débarquent à présent les nouveaux voyageurs de la malchance », un invité et un toast : « à la liberté de ceux d'entre vous qui sont en prison pour avoir exprimé leurs pensées publiques et politiques »…
Dans leur introduction,
Xavier Espinet et
Mariana Sanchez abordent, entre autres, les rapports entre le passé et le futur, « une altération profonde des imaginaires, des mémoires, des consciences », la puissance de certains événements, « l'éclat nous libère de l'individualisme mesquin qui gangrène nos sociétés », le premier octobre 2017 et le référendum d'autodétermination de la Catalogne, la peur de celleux qui furent opposé·es à la consultation, l'apoderament popular au coeur de l'Europe occidentale, l'auto-organisation populaire, les pratiques de désobéissance civile, la bannière du droit de décider, les nouvelles formes d'habiter et de se réapproprier la cité…
« Ce livre, à travers les contributions d'acteurs et de chercheurs aux premières loges des événements, aborde les nombreuses questions que le mouvement indépendantiste catalan a pu soulever, et soulève encore, des deux côtés des Pyrénées. En ce sens, il retrace aussi bien les origines historiques que les causes récentes de l'indépendantisme, il explique sa place au sein de la société catalane et en démontre le lien indissociable de la lutte plus globale – livrée sous des formes et sous des latitudes bien diverses – pour la récupération des souverainetés populaires. »
L'auteur et l'autrice insistent sur « la volonté de l'indépendantisme catalan de résoudre une vieille querelle nationale par le haut, c'est-à-dire, en la doublant d'un projet d'émancipation radicalement démocratique », la réalité de la « transition démocratique » du franquisme à la royauté et le déni de la tradition républicaine et de la pluralité des peuples, la condition nationale de la Catalogne métisse d'aujourd'hui, les extrêmes-droites, l'internationalisme, les possibles avenirs ou leurs dégradations…
« Qu'il nous soit pourtant permis de ne pas abandonner le politique à ceux qui tâchent de le dénaturer pour ôter à la démocratie sa vraie substance. Qu'il nous soit permis de revenir au politique, maintenant, et avec ce livre que nous avons le plaisir de vous présenter et qui prétend contribuer, modestement et sans faux-semblants, à rouvrir un débat loyal et démocratique autour de la question catalane. »
Table des matières
Erri de Luca : Apostrophe
Xavier Espinet et
Mariana Sanchez : Introduction
1. L'Histoire
Xavier Diez : La Catalogne contemporaine : histoire d'une réalité
Joan Ramon Resina : La persistance de la revendication Catalane
Jean-Sébastien
Mora : Une incompréhension bien française
Gérard Onesta : Une honte pour Bruxelles, mais un espoir européen
2. Société(s) et langue(s)
Rencontre avec Eva Fernàndez et Julià de Jòdar : La résistance d'une nation métisse
Eugeni Casanova : Un centre sans périphérie
Maria Carme Junyent : Une langue en partage
Juan Carlos Moreno Cabrera : Babel enchaîné : le suprématisme linguistique de l'État espagnol
Juan Carlos Moreno Cabrera
Elisenda Paluzie : le cahier de doléances de l'économie catalane
Jordi Muñoz : Les indépendantistes sont-ils plus à gauche ?
3. Nation sans état, état sans peuple ?
Júlia Taurinyà et Marta Serra : Catalogne-Nord, une boussole désaxée
Anna Arqué i Solsona : Victoire de l'autodétermination, échec de la répression
Quim Arrufat : Une République pour quoi faire ?
David Fernàndez : « Lost in transition » : Encore quarante ans ?
Jordi Cuixart : Un pays de luttes partagées
4. Souveraineté(s) et résistance
Benet Salellas et Gabriela Serra : La nécessaire insoumission
Joan
Teran : Conquérir l'indépendance par la mobilisation populaire
Rencontre avec Anna Gabriel : La cité que nous voulons construire
Rencontre avec Tamara Carrasco : La chasse aux sorcières
Rencontre avec Txell Bonet : Parler d'indépendance ne devrait pas être un tabou
Marie-Pierre Vieu : La question catalane est celle de la démocratie en Europe
Claire Dujardin : le Procès et la défense du droit à la désobéissance civile
5. Carte de visite et repères historiques
Carte de visite
Repères historiques
Les auteur·es
Photographes et photographies
A la lecture, chacun·e pourra saisir des différences d'appréciations et d'analyses, l'énonciation de divergences politiques. Les mouvements d'émancipation collective ne peuvent jamais se réduire à une unique expression. Je choisis de ne mettre l'accent que sur certains articles et analyses.
L'histoire sans la réduction « par les lunettes de leurs préjugés ou par l'empire de certains intérêts, notamment ceux des élites ». Xavier Diez dresse un panorama historique sur le temps long, entre la Catalogne et l'Etat espagnol, entre la Catalogne et l'Etat français. L'auteur aborde, entre autres, la place de la Méditerranée, les immigrations, la révolution paysanne des remences, les constructions socio-économiques, la langue, le centralisme espagnol et français, les mouvements libertaires dont la CNT, la construction du catalanisme, la coalition Solidaritat Catalana, le cout d'Etat de Primo de Rivera et la dictature militaire, le mouvement républicain indépendantiste, la Catalogne sous la seconde république espagnole, « La Catalogne et sa classe ouvrière des grandes villes devenaient à nouveau l'épicentre révolutionnaire », la guerre et la révolution, les capacités d'autogestion de la classe travailleuse catalane, le réseau des Ateneus populaires, Solidaritat quotidien de la CNT, le soulèvement contre-révolutionnaire et le pronunciamiento, le quarteron de « généraux félons », la révolution en Catalogne, le Comité des milices antifascistes, la CNT et le POUM, les socialistes et les communistes staliniens, l'ordre et les armes, les expropriations et les collectivisations, la répression contre les militant·es de la CNT et du POUM (l'ordre du
Parti Socialiste Unifié de Catalogne et les crimes des staliniens), l'occupation franquiste et les 440.000 réfugié·es de 1938, les victimes de la guerre civile déclenchée par le « nationalisme espagnol », les fosses communes, la longue nuit du franquisme, le maintien d'une guérilla antifranquiste (en complément possible,
Francisco Martinez-Lopez « El Quico » :
Guérillero contre Franco. La guérilla antifranquiste du Léon (1936- 1951), le gouvernement de la Generalitat républicaine en exil, la répression en Catalogne et l'interdiction de l'usage de la langue, les mutations sociales, le refus d'embrasser « l'essentialisme identitaire du nationalisme espagnol », l'agitation sociale, politique et étudiante de la fin des années 60….
Une histoire plus ou moins longue. Il convient aussi de prendre en compte, les moyens et les formes de la « transition », le « régime de1978 », le poids maintenu du franquisme et du nationalisme espagnol exclusif dans les institutions. Xavier Diez souligne des questions jamais résolues : « l'absence de culture démocratique, les profondes inégalités sociales et l'incapacité à gérer la pluralité nationale ». La constitution de 1978 assume « les actes juridiques et administratif de la dictature ». Seul le rétablissement de la Generalitat en octobre 1977 fut un acte de rupture radicale avec l'ancien régime.
L'auteur détaille le processus indépendantiste, les dynamiques historiques propres, les évolutions socio-économiques, la politique d'immersion linguistique, les législations et les mesures adoptées par le Parlement de Catalogne (leur suppression ou leurs modifications par le pouvoir central), le nouveau projet de statut d'autonomie en 2003 (et la suppression des dispositions les plus importantes par les Cortès espagnoles), la campagne médiatique violemment catalanophobe organisée par le Parti populaire, le rôle du Tribunal constitutionnel, les grandes mobilisations populaires… et « un référendum unilatéral, sans l'accord de l'Etat et en bonne partie auto-organisé par des structures citoyennes »…
Xavier Diez indique en conclusion, « L'indépendance est majoritairement perçue comme un projet de rupture pas tant avec les Espagnols, avec lesquels les Catalans ont des liens personnels évidents, qu'avec l'Etat espagnol dont le franquisme irrigue toujours les institutions prétendument démocratiques. Voilà pourquoi beaucoup de Catalans malgré les derniers épisodes du conflit avec l'Etat, le projet indépendantiste reste pleinement en vigueur puisqu'il incarne, à leurs yeux, la légitimité républicaine et la lutte pour les droits démocratiques ».
L'histoire, l'Etat espagnol, la Catalogne, le franquisme, la royauté… Une nation, « Les critiques du nationalisme ne remettent à aucun moment en cause l'existence des nations, encore moins de la leur » (en complément possible,
Otto Bauer :
La question des nationalités et
Roman Rosdolsky :
Friedrich Engels et les peuples « sans histoire ». La question nationale dans la révolution de 1848). le nationalisme des un·es et celui de celleux qui défendent « un conglomérat de nations figées dans l'illusion d'entités naturelles aux frontières immuables et aux légitimités intangibles », sans oublier comme le signale Joan Ramon Resina, « l'aversion des nations établies envers les peuples sans Etat qui exigent leur participation au concert international ». Etat, nations, centralisation, le blocage de lois catalanes (la législation progressiste sur l'égalité des sexes, la taxation des yachts de luxe, l'accès des plus démunis à l'énergie, la loi d'urgence sur le logement, la loi sur la transition écologique et diverses autres mesures sociales), l'instrumentalisation des tribunaux à la fois contre les droits de l'autonomie et les droits sociaux, un procès politique au coeur de l'Europe, le déni du droit à l'autodétermination des peuples…
Parmi les sujets abordés, sous des angles divers et parfois partiellement contradictoire, j'indique, la place des langues régionales et leur négation (le refus de la co-officialisation), la destruction des cultures, les mythes et le roman national français (en complément possible, Suzanne Citron : le mythe national, L'histoire de France revisitée ou
Laurence de Cock,
Régis Meyran :
Paniques identitaires. Identité(s) et idéologie(s) au prisme des sciences sociales) , la notion de « nation métisse », le Congrés de cultura catalana, la Plataforma d'Afectats per la Hipoteca (PAH), la corruption, une langue en partage (les langues sont cumulables et tangibles), les langues dominantes (nommées langues communes !) et les langues dominées, les interdictions d'usage et le retournement des faits (la langue dominante qui serait assassinée), les héritages prégnants du franquisme, la Catalogne nord qui a perdue son nom, le sens du mot République, la politique d'accueil des réfugié·es, un ensemble de citoyen·es responsables, la République des droits sociaux, « La nouvelle République sera fondée sur les valeurs de la diversité et suivra une voie où la langue et la nation seront un point de rencontre et une voie pour accueillir les nouveaux arrivants, en respectant et reconnaissant les origines de chacun et les différentes identités que chacun souhaiter porter », les luttes partagées, la nécessaire insoumission, la désobéissance civile, le refus d'obéir à l'injustice…
Chacun·e pourra trouver de sources de réflexions dans les analyses proposées sur Assembla Nacional Catalana (ANC), Ómnium Cultura, Candidadura d'unita popular (CUP), dans les rencontres avec Anna Gabriel ou avec Tamara Carrasco, le travail municipaliste, la combinaison des « revendications sociales, culturelles, féministes ou écologiques » avec la question nationale, le rôle des Comités de la défense de la République catalane (CDR), le dialogue avec Txell Bonet et la question de l'indépendance, les processus constituant démocratiques…
J'ai particulièrement apprécié le texte de Claire Dujardin sur le procès et la défense du droit à la désobéissance civile, la criminalisation de l'action politique, les droits de la défense bafoués, la décision non susceptible d'appel.
Une fois encore, ce qui se joue en Catalogne est aussi notre avenir.
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