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Pierre Gallissaires (Traducteur)Robert Simon (Traducteur)
EAN : 9782070722105
224 pages
Gallimard (13/03/1991)
4.25/5   4 notes
Résumé :

Notre monde, aujourd'hui, c'est : la télévision, l'analphabétisme, la fin de la forêt, le terrorisme, la démocratie, les loisirs.

A la manière dont il avait déjà exercé sur l'Europe sa lucidité ironique, Hans Magnus Enzensberger s'essaie aujourd'hui à déchiffrer dans notre société, allemande ou française, les défis qu'elle affronte, les impasses où elle se perd.

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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Réunissant un ensemble de textes datant des années 80, cet ouvrage reste fort intéressant comme relevé des étapes de la désagrégation d'un monde, des éléments structurels d'une société; car Enzensberger est un témoin particulièrement lucide de cet écroulement et tout spécialement dans ce secteur particulier que l'on ose encore nommer la Culture:
"L'analphabétisme, que nous avons enfumé dans ses repaires, est revenu, vous le savez tous, sous une forme qui n'a cette fois plus rien de respectable. J'ai nommé le personnage qui domine depuis longtemps la scène sociale : l'analphabète secondaire. (...) Notre technologie a développé, en même temps que les données du problème, la solution adéquate : la télévision, média idéal pour l'analphabète secondaire. On verra, en règle générale, des analphabètes secondaires occuper les premières places dans la politique et l'économie ... "
En conséquence, "La culture se trouve dans une situation entièrement nouvelle. (...) Les dirigeants, dans leur majorité des analphabètes secondaires, n'éprouvent plus aucun intérêt pour elle, elle ne doit -ni ne peut- plus être au service d'un intérêt dominant. Elle ne légitime plus rien. Elle est hors la loi, ce qui est après tout aussi une sorte de liberté. Une telle culture ne peut compter que sur ses propres forces; plus vite elle l'aura compris, et mieux ce sera. "
et donc, "... la littérature est redevenue ce qu'elle était dès le début : l'affaire d'une minorité.
Les écrivains peuvent se démaquiller, ôter le masque qu'ils ont longtemps porté pour la représentation. le vrai public, le public proprement dit, la minorité de dix à vingt mille personnes qui ne s'en laissent pas conter - ce public s'est depuis longtemps détaché du théâtre de guignol des grands médias. Il forme son jugement indépendamment du blablabla des comptes rendus et des talk-shows : la seule forme de réclame à laquelle il croit, c'est la propagande, gratuite et non rénumérable, qui se fait de bouche à oreille. "
On pourra donc s'interroger, 20 ans plus tard, sur l'étrange persistance chez un certain public de l'illusion d'une culture libératrice, alors même que la domination spectaculaire marchande a réussi à rendre cette culture littéralement inaudible pour le plus grand nombre; pour ceux-là mêmes qui désormais se contentent d'avoir pu obtenir des diplômes.
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Publié en 1988 en Allemagne, «Médiocrité et folie» rassemble des textes sur des thèmes divers, écrits entre 1974 et 1988 par un Hans Magnus Enzensberger impressionnant de finesse et de lucidité pour déchiffrer l'incidence du capitalisme et le rôle de la culture dans les sociétés occidentales contemporaines.

Non sans ironie, l'auteur explique dans sa préface que la disparition des utopies occidentales égalitaires s'est paradoxalement accompagnée, avec l'avènement du capitalisme mondialisé, de la réalisation, sous forme d'une parodie cruelle, de trois promesses fondamentales des mêmes utopies : le dépérissement de l'Etat, «dont le pouvoir, tel un Gulliver immobilisé par d'innombrables liens, diminue lentement mais irrésistiblement – ce Lilliputien continuant, par une vieille habitude, de se prendre pour un géant» ; l'internationalisme, sous la forme désespérante et insaisissable du marché mondialisé ; et enfin l'égalité, chacun pouvant en théorie accéder aux mêmes produits, de même qualité avec le même service, du moins dans les pays occidentaux, la "junk food" de McDonald's en étant la meilleure illustration.

Il y a beaucoup à retenir de ces textes divers, et en particulier :
- L'effondrement de la culture et d'un savoir structuré, dans une société contemporaine où chacun est soumis en permanence à un «feu roulant d'informations», et où la vie culturelle se résume à une suite sans fin de divertissements.

- La critique des médias de masse, définie dès les années 1960 par Hans Magnus Enzensberger comme «industrie du façonnement des esprits», outils de la domination des masses vidés de tout contenu, qui annihilent toute conscience politique et entretiennent les peurs.
«On ne lit pas le «Bild» bien qu'il ne parle de rien, mais pour cela même : parce qu'il a largué tout contenu par-dessus-bord, ne connaît ni passé ni avenir et met en pièces toutes les catégories historiques, morales et politiques. Non pas bien que, mais parce que : parce qu'il menace, bêtifie, fait peur, débite des obscénités, sème la haine, parle pour ne rien dire, bave console, manipule transfigure, ment, fait l'idiot et détruit. C'est précisément cette terreur, immuable et quotidienne, qui procure au lecteur une paradoxale jouissance, commune à tous les intoxiqués et inséparable de l'avilissement consciemment vécu qui lui est lié. L'impossibilité de dater un numéro du «Bild» et le fait qu'il se répète de manière permanente, loin d'ennuyer le lecteur, le rassurent au contraire. Depuis des dizaines d'années qu'il prend son petit-déjeuner avec lui, il se berce dans la certitude que tout continue comme avant, que «rien n'a d'importance» ou bien, ce qui revient au même, que le rien ne fait rien.» (Le triomphe du Bild-Zeitung ou la catastrophe de la liberté de la presse)

- La nature réduite à l'état de rêve romantique et de matière première pour l'industrie

- La question de la fonction de l'intellectuel et du politique dans les sociétés capitalistes « avancées », avec leur perte considérable d'influence et d'autorité, et l'incapacité des politiques à prévoir ou penser les transformations de la société

- La marginalisation de la culture et la littérature, devenues aujourd'hui une affaire de choix, dans une société où la figure dominante est l'analphabète secondaire, travailleur et consommateur idéalement façonné pour la société marchande et de divertissement.
«Celui-ci n'est pas à plaindre : la perte de mémoire dont il est affligé ne le fait point souffrir. Son manque d'obstination lui rend les choses faciles, il apprécie de ne pouvoir jamais se concentrer et tient pour avantages son ignorance et son incompréhension de tout ce qui lui arrive. Disponible et capable de s'adapter, il jouit d'une grande capacité d'arriver à ses fins. Aussi n'avons-nous pas besoin de nous faire du souci pour lui. Ce qui contribue au bien-être de l'analphabète secondaire, c'est qu'il ne soupçonne pas du tout qu'il est un analphabète secondaire : il se considère comme informé, sait déchiffrer modes d'emploi, pictogrammes et chèques, et le milieu dans lequel il se meut le protège, comme une cloison étanche, de tout désaveu de sa conscience. Il est impensable en effet que son entourage le fasse échouer, qui l'a produit et formé afin d'assurer la tranquillité de sa propre continuité.
L'analphabète secondaire est le produit d'une nouvelle phase de l'industrialisation. Une économie, dont le problème n'est plus la production mais la vente, peut ne plus avoir besoin d'une armée de réserve, disciplinée ; il lui faut des consommateurs qualifiés. L'entraînement sévère, auquel le travailleur du secteur de la production et l'employé de bureau étaient soumis, devient également superflu et l'alphabétisation une entrave dont il convient de se débarrasser le plus rapidement possible. Notre technologie a développé, en même temps que les données du problème, la solution adéquate : la télévision, média idéal pour l'analphabète secondaire.» (Éloge de l'analphabétisme)

Une lecture captivante et toujours extrêmement pertinente.
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Notre vie fourmille d’anachronismes. J’entends par là, pour employer les termes d’une honorable source devenue elle-même entre-temps anachronique, «anything done or existing out of date; hence, anything which was proper to a former age, but is, or, if it existed, would be, out of harmony with the present» (Oxford English Dictionary, 1971). L’écriture, la lecture de poèmes et a fortiori toute réflexion sur ces deux activités, comptent sans doute parmi les manifestations les plus remarquables de cette catégorie.
Je ne vois pas pourquoi l’on devrait pâlir à cette idée. Mesurées aux normes dominantes de nos sociétés, la plupart de nos occupations sont en fin de compte anachroniques, et l’on peut très légitimement se demander si le suicide ne serait pas préférable à une vie menée de bout en bout et sans aucune faille de manière absolument contemporaine. Il n’est pas déshonorant de ne pas vivre avec son temps ; c’est seulement gênant, du moins quelquefois. Et le plaisir que l’on y prend parfois ne saurait pâtir de la conscience que l’on en a.
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L'analphabétisme, que nous avons enfumé dans ses repaires, est revenu, vous le savez tous, sous une forme qui n'a cette fois plus rien de respectable. J'ai nommé le personnage qui domine depuis longtemps la scène sociale : l'analphabète secondaire. (...) Notre technologie a développé, en même temps que les données du problème, la solution adéquate : la télévision, média idéal pour l'analphabète secondaire. On verra, en règle générale, des analphabètes secondaires occuper les premières places dans la politique et l'économie ...
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... la littérature est redevenue ce qu'elle était dès le début : l'affaire d'une minorité.
Les écrivains peuvent se démaquiller, ôter le masque qu'ils ont longtemps porté pour la représentation. Le vrai public, le public proprement dit, la minorité de dix à vingt mille personnes qui ne s'en laissent pas conter - ce public s'est depuis longtemps détaché du théâtre de guignol des grands médias. Il forme son jugement indépendamment du blablabla des comptes rendus et des talk-shows : la seule forme de réclame à laquelle il croit, c'est la propagande, gratuite et non rénumérable, qui se fait de bouche à oreille.
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Comme toujours lorsqu'un rêve de l'humanité menace de se réaliser, cette évolution ne va pas sans la dérision objective que nous ressentions dans notre enfance à la lecture des contes : son vœu à peine exaucé, la victime de la bonne fée se voit dupée. Certes, il ne subsiste plus qu'une façade de la très vieille idée de l'omnipotence de l’État, à laquelle plus personne ne croit, mais ce "dépérissement" va la main dans la main avec la croissance illimitée d'une bureaucratie dont la tâche principale est de maîtriser les "effets secondaires" imprévus. Le pilotage automatique dont il est question ici n'a pas grand-chose à faire avec le pouvoir conscient de disposer de sa propre vie, avec l'autonomie.
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Lorsqu'il édifiait son savoir, Melanchthon pouvait s'appuyer avec confiance sur un canon stable et savait clairement, dès le départ, ce qui valait la peine d'être connu ou non; ainsi put-il acquérir, au cours de ses soixante-trois années d'apprentissage, une image du monde solide et bien ordonnée. Zaza, Helga et Bruno, en dépit d'une inlassable volonté d'assimilation, ne disposent en revanche que d'un fatras bigarré, pour ne pas dire d'un tas de rebuts, lui-même soumis de surcroît à un constant bouleversement. Les connaissances et les savoirs qu'ils acquièrent vieillissent en effet avec une effrayante rapidité.
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Vidéo de Hans Magnus Enzensberger
Hammerstein ou l'intransigeance Marque-page 26-02-2010
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