La Nuit de
Druillet … Encore aujourd'hui, quand je le relis, j'ai ce petit frisson d'exaltation, ce sentiment qui nous prend au ventre quand on sait qu'on va assister à quelque chose de grandiose.
Car grandiose, je pense encore qu'elle l'est cette oeuvre, même après plus de vingt relectures espacées dans le temps tout autant que dans les conditions de lecture. Et pourtant j'ai le même effet à chaque fois. Un mélange d'excitation par l'aventure qui m'attends, mais en même temps d'appréhension avec le côté grave et curieusement défaitiste qui se dégage de l'oeuvre. Mais dépressive, elle ne l'est pas, même si elle est noire. C'est une oeuvre forte, une oeuvre belle, mais pas dépressive. Ça c'est sur.
En commençant, l'ouverture est grave, pesante, lourde.
Druillet fait son introduction. Déjà la beauté du texte se voit, l'émotion se ressent, la douleur transparaît.
Druillet nous invite à le suivre dans son exorcisation de la douleur, à voir la perte d'un être cher et ce qu'il en à tiré comme oeuvre. L'introduction est funèbre, pesante, mais en même temps on sent une colère forte derrière la douleur, et cette colère est dirigée contre un peu tout le monde. Lui-même semble notamment se détester. Mais cette colère, au contraire de l'aveugler, ne le rends que plus lucide, et l'introduction en est d'autant plus impressionnante. Elle est la raison pour laquelle j'ai acheté cette BD, et encore aujourd'hui je la relis en pesant bien les mots qu'elle contient.
La page se tourne. Il fait noir, mais un portrait, à mi-chemin entre la photo et le dessin nous sert d'ouverture. La femme nous regarde en nous attendant, nous invitant à ouvrir la porte de l'univers de
la nuit.
Et maintenant, voilà que s'ouvre la BD proprement dite. Une BD qui semble curieuse. Les dessins sont fouillés (ou fouillis ?), plein de détails, colorés à en faire mal à la tête, et en même temps ils collent à l'atmosphère, ils sont un style à part entière, l'émotion suinte par lui. Dans ce dessin, nous voyons les lions qui volent. le décor se plante, la ville où tout vit
la nuit seulement, les êtres en noirs, les crânes qu'ils les appellent, et le combat prend forme. La violence règne. Même dans les termes. Peu de phrases, des expressions, beaucoup de vulgaire.
Tout s'emballe tout à coup, on ne comprend pas. Des cataclysmes se déclenchent, il faut se réfugier sous terre, et retrouver les autres. Et la nouvelle tombe : la dope a été prise par quelque chose. Nous ne saurons pas ce que c'est, mais c'est fini pour les tribus de la cité si elles ne parviennent pas à reprendre le dépôt. Toutes se réunissent, s'arrangent, dansent. le tableau de ces hommes dansant sur Brown Sugar à quelque chose d'étrange, comme s'il ne devait pas être là. C'est la dernière scène de paix. Nous voilà au milieu de l'oeuvre, et la plongée en enfer commence.
Une plongée dans un enfer dont on en ressent tout de suite les effets : doubles pages magnifiques qui nous invitent à nous plonger dans une myriade de dessins, des planches sublimes aux couleurs toujours plus folles, des découpages de cases fous. Et pourtant, Heintz sent le doute poindre. Il a peur de la mort. Elle semble se rapprocher.
Et le combat se lance. Tous contre tous, dans un combat final. Ce sera le dernier, l'un disparaitra totalement. Et pourquoi pas les deux ? Qui a dit qu'il y aura un vainqueur au final. Mais les crânes sont vaincus, la lutte a servi. Et pourtant Heintz a encore peur. Il est seul au milieu, il hurle. Il regarde la mort en face. C'est fini, mais pourquoi ne pas tenter une dernière course à la mort ? Ils foncent en chantant, et voilà que les doubles pages prennent toute leur ampleur. Les photos d'un calme apparent se mêlent au chaos des dessins, les deux mondes se mélangent. Et voilà que le dépôt bleu est là ! Il semble carrément transpercer les pages, il explose par tous ses orifices et la foule se presse pour y rentrer. Et la danse recommence, tandis que le shoot fait effet.
Dernier chapitre : les pâles arrivent. Ce qu'elles sont ? Nul n'en sait rien. Mais elles tuent, tout. Absolument tout. Et l'apocalypse se déchaîne. Tout le monde meurt, les corps s'entassent, explosent sous les rayons de ces pâles. Tout se disloque, tout disparaît. Mais Heintz est encore là. Il est debout, attendant l'aube. Il sait qu'elle tuera les pâles et lui avec. de toutes façons, c'est déjà fini.
Et l'aube nait. Tout disparaît, et Heintz se désagrège lentement, disparaissant de la page. Celle-ci est vide de tout le reste à part lui. Et tout est fini.
Les métaphores du cancer, de la mort, du pourrissement d'un corps sont encore floues, qui est qui ? Mais au final, peut importe de savoir exactement. La force des émotions est là, sans qu'il faille l'expliquer.
Alors, respirant fortement avec la montée de tension qui a traversé les pages, encore sous le choc de ce que je viens de lire, je vois les derniers mots de la BD, tracé délicatement par
Druillet au bas de la dernière planche, et un sourire me monte aux lèvres.
« Fin. Lente montée de la musique … »