L'album s'ouvre sur une introduction pour le moins insolite. Nao, jeune métisse nippo-anglaise d'environ 25 ans commence par décrire, image à l'appui, une photo d'elle qui se trouve dans l'entrée de l'appartement de sa mère. C'est la première chose que les gens voient d'elle (lecteurs compris), et chacun trouve amusante cette photo où une ado de 13 ans porte les lunettes de soleil de sa mère. Pour Nao, cette photo n'est que tristesse et façade. Pour les amis, elle est la copine exotique, sympa et rigolote. Mais ce n'est que ce qu'ils croient.
Car Nao est, selon ses propres mots, "une putain de malade mentale".
Le pavé est jeté dans la mare. Une petite page d'introduction, quelques phylactères parsemés, et la tension est déjà à son comble. Suite à cette révélation fracassante, Nao embraye avec le récit de son retour du Japon en avion - un vrai désastre. En même temps qu'elle déroule le fil de son histoire, de violents accès de panique l'assaillent, et des scènes de meurtres (de préférence violents) s'immiscent dans son quotidien. Réalité ? Hallucination ? Difficile de faire la part des choses et, pendant un court temps, on ne sait si Nao est une jeune femme perturbée ou une psychopathe accomplie, si le récit est réel, ou s'il confine à la fantasmagorie. D'autant que les notes qu'elle attribue à chaque situation complexifient la situation et sèment le doute dans l'esprit du lecteur.
Parallèlement à ce récit chaotique, de très belles planches présentent un conte sage, dans lequel Pictor, une créature mi-homme mi-arbre, tente de faire en sorte que son monde tourne un peu plus rond.
Pictor, en fait, est une conséquence des actions du Rien, un personnage mythique, que Nao a retrouvé dans un dessin animé japonais. En bonne fanatique, elle est quasiment obsédée par ce personnage, ce qui explique cette narration parallèle. Alors, évidemment, lorsque le Rien se matérialise dans la boutique où Nao travaille, en la personne d'un dépanneur de machines à laver, le cataclysme est total. Un peu perdue, Nao s'efforce, par tous les moyens, de provoquer une rencontre entre cet étrange dépanneur et elle, quitte à forcer le destin - en détériorant la machine à laver de sa colocataire s'il le faut. À partir de là, tout s'accélère ; alors que l'histoire de Pictor progresse doucement, celle de Nao commence à croiser celle de Gregory, le dépanneur. le tout sur fond de crises, plus terribles les unes que les autres.
Pourtant, le dessin et les couleurs de
Glyn Dillon rendent l'album extrêmement facile à s'approprier. Au lieu d'être tenu à l'écart, en raison des crises, le lecteur est plongé dans une ambiance intimiste, rehaussée par le trait délicat, et les couleurs de l'aquarelle. Celle-ci est marquée essentiellement par des oppositions de bleus et de rouge. Bleu, la crise est proche, rouge, tout va pour le mieux. C'est très subtil, et ça rend parfaitement l'ambiance de l'univers de Nao ; on est d'autant plus touché par ses angoisses, ses joies, ses peurs.
L'auteur, de plus, mélange les styles et les genres : le récit adopte plusieurs formes et les styles de l'histoire de Nao et de celle de Pictor sont très différents. Il en va de même pour les couleurs ; celles de Nao sont chaudes (même les bleus), alors que celles de Pictor, très nettes et tranchées semblent beaucoup plus impersonnelles.
Si l'histoire narrée par
Glyn Dillon est quelque peu difficile d'accès, ou exigeante, le choix judicieux du style, des couleurs et la progression harmonieuse la rendent extrêmement agréable à lire. Au fil des pages, on se passionne, on s'attendrit pour les personnages, malgré leurs - nombreux - travers. Même si l'histoire est, dans un premier temps, difficile à percevoir dans toute sa complexité, et s'il est parfois compliqué de s'y repérer, on se fait vite à ce récit quelque peu tumultueux. Les couleurs, les postures, le trait, tout rend parfaitement les émotions, et on se souvent chamboulé, en suivant les différentes parties du récit. Les petites perles de sagesses, disséminées dans les pages, l'histoire en elle-même, et le fait que le problème du TOC ne soit qu'indirectement évoqué, rendent le récit extrêmement touchant et motivant. A la lecture, on ne peut s'empêcher de se questionner, de réfléchir, tout en s'en mettant plein les yeux.
Glyn Dillon signe là assurément une excellente réussite.
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