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sur 1279 notes
« Permettez-moi de vous citer un vers de Phèdre de Racine : Ma vengeance est perdue, S'il ignore en mourant que c'est moi qui le tue. » (page 45)

C'est avec grand plaisir que j'ai retrouvé l'écriture d'Erri de Luca et je remercie les Editions Gallimard ainsi que Babelio de m'avoir permis(e) de me replonger dans ses réflexions philosophiques et métaphysiques. Ce qui me subjugue chez Erri de Luca, c'est l'aisance avec laquelle il fait de son style si dépouillé, si fluide, une véritable quête des profondeurs de la psyché humaine.

Un homme âgé, ancien militant de la cause révolutionnaire, passionné de haute montagne, alpiniste chevronné, s'engage sur le chemin escarpé d'une Vire dans les Dolomites en prenant soin de ne pas trébucher. Loin devant lui, à son insu, un autre homme, le précède. Ce dernier n'est autre qu'un ancien militant du même groupe révolutionnaire, à ceci près qu'il a dénoncé, auprès de la police, un certain nombre d'activistes dont notre homme âgé qui s'est retrouvé incarcéré quarante années plutôt. Assistant au loin à la chute de ce supposé inconnu, l'homme âgé alerte les services de secours.

« Impossible » une telle coïncidence, un tel hasard aux yeux du magistrat qui va tenter de faire « trébucher » l'accusé tant il reste persuadé de sa culpabilité avec préméditation.

De cette confrontation à huis-clos à laquelle l'auteur nous convie et des interactions qui en découlent entre le juge et l'accusé, une profonde réflexion s'installe entre le lecteur et l'auteur, c'est ce que j'ai le plus apprécié. Je me suis sentie très proche d'Erri de Luca. Il parvient à créer une proximité, une intimité avec son lecteur propice aux confidences. Son écriture abolit toutes les barrières et c'est de cette sensation de partage, le temps de la lecture, de ses propres pensées sur l'engagement, la fraternité, la fragilité de l'être humain qui m'a rendu cette lecture fascinante. Son questionnement rentre en résonnance avec le mien notamment sur la supposée neutralité d'un juge d'instruction (je pense au juge Burgaud dans l'affaire d'Outreau) comme sur l'emploi du « mot juste » pour éviter les malentendus, règle qui se perd aujourd'hui tant les mots sont remplacés par du franglais ou des anglicismes. Mais dans un débat duquel dépend votre avenir, l'utilisation du mot juste prend tout son sens.

Et il y a ces quelques lettres écrites à « Ammoremio » qui viennent comme un papillon se poser entre les chapitres dédiés à l'interrogatoire, des lettres d'amour, où est citée une très belle phrase de Léonardo Sciascia « Il écrit que la vérité est au fond du puits. Si on se penche, on voit le reflet du soleil ou de la lune. Mais si on descend dans le puits, on ne trouve ni l'un ni l'autre. On trouve la vérité. C'est ainsi, il faut descendre ou tomber dedans. le magistrat par exemple m'interroge de l'autre côté de la margelle. Il ne descend pas, il se penche tout au plus. »

Petit livre intelligent comme je les aime parce qu'il bouscule nos neurones et dont il se dégage une grande richesse de réflexions proposées par un homme de talent qui pose son regard sur sa destinée et dont l'esprit est en perpétuel questionnement. C'est un livre que je relirai.

« La langue est un système d'échange comme la monnaie. La loi punit ceux qui impriment de faux billets mais elle laisse courir ceux qui écoulent des mots erronés. Moi, je protège la langue que j'utilise ». (page 113)
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Il fait partie de " la génération la plus poursuivie en justice de l'histoire d'Italie. " Aujourd'hui il est accusé d'avoir tué un de ses anciens camarades membres d'une organisation révolutionnaire armée pour l'avoir dénoncé, lui et d'autres, dans le but d'obtenir une réduction de peine et une remise en liberté. Au jeune juge convaincu de sa culpabilité, il explique pourquoi ce meurtre de vengeance est impossible. Pourquoi aussi il est en mesure de repousser des accusations plus que lui le juge ne l'est de les étayer.

Erri de Luca comme souvent fait appel à ses expériences personnelles et à ses passions pour construire son oeuvre. Ici il associe son passé d'activiste politique à la montagne, dont il est un pratiquant chevronné, pour livrer une réflexion sur la fraternité, sur l'engagement révolutionnaire, sur l'impossible vengeance d'une trahison liée à un temps révolu. Un livre, alternant une passe d'armes remarquable entre le juge et l'accusé et des lettres d'amour, certes moins poétique que d'autres oeuvres de l'écrivain italien mais néanmoins d'une grande sensibilité.

" Prendre connaissance des événements d'une époque à travers les documents judiciaires c'est comme étudier les étoiles en regardant leur reflet dans un étang. "
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Merci aux éditions Gallimard et à Babelio pour ce roman de la collection "du monde entier", petit par le format mais grand par son contenu et son auteur : Erri de Luca. Impossible est un roman qui fleure bon les vacances et le dépaysement ( même si c'est un sujet sérieux ) avec sa superbe vue des Dolomites et quelques mots d'italien qui essaiment le roman, merci à la traductrice.
Dans ce roman un homme est soupçonné de meurtre, coupable, non coupable ? C'est ce que nous allons essayer de découvrir. À travers cette histoire, deux portraits très intéressants et une analyse du vingtième siècle et vingt-et-unième siècle où l'homme est passé du collectivisme à l'individualisme.
Le suspect a vécu sa vie suivant ses idéaux, a fait de la prison mais ne s'est jamais renié et n'a pas trahi ses camarades. Il est malin, joue avec les mots, mène la danse par sa sagesse et sa maturité.
Le magistrat est jeune, croit à la justice et va entrer dans cet espèce de bras de fer, il est intrigué par ce prévenu, témoin d'une autre époque, porteur d'autres valeurs.
Quant à la victime, elle a trahi tout son groupe et ses amis pour rester libre, a-t-il fait une chute en montagne où a-t-il été poussé.
Erri de Luca nous sert un récit intelligent, une critique de notre société sans jugement des personnages.
Avec son jeu du chat et de la souris, Erri de Luca nous laisse réfléchir à nos propres valeurs, un excellent roman et de belles pensées comme toujours avec cet auteur.

Rentrée littéraire 2020
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"Un ancien membre d'un groupe révolutionnaire italien, alpiniste chevronné, est retenu en garde à vue. Son vieux compagnon de route a été retrouvé au fond d'un ravin. Accident, meurtre ? La force du roman tient dans l'équilibre entre les allers et retours du narrateur sur sa vie et ses engagements politiques et le face à face entre deux générations qui s'observent et se défient. Un jeune magistrat interroge un homme dans la force de l'âge. Mais comment interroge-t-il ? « Il existe deux verbes qui signifient demander, l'un sert à demander pour savoir, l'autre à demander pour obtenir. Quand le magistrat insistait avec ses questions, il disait qu'il voulait savoir la vérité. Ce n'est pas vrai. Il interroge pour avoir une confirmation de ce qu'il croit déjà savoir. Il n'utilise pas le verbe de la curiosité de celui qui veut s'informer ou connaître une vérité. »
Imperturbable, le narrateur répond inlassablement aux questions du magistrat qui s'étonne que le hasard ait placé « les deux hommes sur le même chemin, le même jour et à la même heure » ? « C'est une coïncidence. » « Impossible » répond le magistrat pour qui « la coïncidence est un indice… Si on lui attribuait la valeur numérique d'une probabilité, on aurait le chiffre zéro suivi d'une virgule et d'autres zéros. » S'ensuit une analyse sémantique implacable : « Impossible, c'est la définition d'un événement jusqu'au moment où il se produit. Vous aurez beau mettre tous les zéros que vous voulez, la statistique et vous ne pouvez nier les coïncidences… Les coïncidences sont une constante, elles n'ont rien de rares… En tant que personne présente sur place, je sais que votre impossible s'est produit. »
Dans ce récit, chaque mot est à sa place. Les propos échangés, sans haine ni mépris, suscitent une réflexion sur l'idéalisme, la camaraderie, la trahison, et nous font entendre l'écho que peut rencontrer une parole juste."
Elisabeth Dong pour Double Marge
Lien : https://doublemarge.com/impo..
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Un petit livre bien difficile à commenter tant profonds sont les propos prononcés par deux protagonistes à l'objectif bien précis , trouver la Vérité dont dépendra le destin de ce vieux montagnard d'extrême gauche , trahi , par le passé , par un autre montagnard rencontré sur le chemin .Le Huis Clos est étouffant , sorte de partie d'échecs où chacun avance ses pions avec prudence et maitrise jusqu'à ......oui , jusquà quoi ?
Les échanges sont maitrisés à la perfection , écrits en gros caractères et simplement précédés des initiales Q et R , déshumanisés , mécaniques , chirurgicaux .Les personnages n'ont pas de nom et l'avocat est réduit au rôle de spectateur .Un contre un dans les échanges , un contre un sur le sentier . Parole contre parole . A nous , lecteurs , de nous immiscer dans ce rôle de spectateur- témoin qui , à défaut de Vérité , nous permettra peut -être d'approcher UNE vérité.Impossible ? Tout semble impossible dans ce roman intimiste sombre , seulement égayé par les lettres superbes adréssées à Ammorremio depuis la cellule où le vieil homme attend entre deux interrogatoires .
Un livre qui pose bien des questions , à défaut d'apporter des réponses , sur le respect , la morale , l'engagement , la justice .
Un bien beau livre.
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Encore…un petit trésor que ce dernier ouvrage traduit d'Erri de Lucca, dont j'apprécie infiniment le style, la simplicité et la force de ces récits. Ce dernier ne fait pas exception ; Un texte court et d'une intensité toujours époustouflante !

Ce dernier opus d'Erri de Luca que je souhaitais lire dès sa parution…a été détrôné très momentanément. Je me souviens qu'un autre ouvrage a capté toute mon attention dans l'instant et a reporté momentanément mon élan. …Voilà, je répare mon retard !!

Le narrateur (comme un double de l'écrivain) se trouve accusé d'un homicide ; homicide d'un ancien ami de lutte qui a trahi…ses camarades. le narrateur, passionné par la montagne, fait une escalade, voit de loin un homme qui le précède dans cette marche… Notre « héros » progresse dans sa grimpe, et découvre cet homme au fond d'un ravin, il appelle , prévient les secours… et il se retrouve emprisonné ; le mort , dans la montagne, étant un de ses grands amis de lutte et de militantisme… qui deviendra un traître et fera basculer la vie de ses compagnons en les dénonçant, en les envoyant en prison. le magistrat, en charge de cette affaire, devant ce hasard des plus incroyables , est convaincu que cela ne peut pas être une simple coïncidence, qu'obligatoirement, notre héros est « coupable », a voulu se venger de cette trahison ancienne. Il s'acharnera à le faire avouer, à le pousser dans ses retranchements. Les interrogatoires tout à fait étonnants du magistrat envers le « présumé coupable m'ont fait étrangement songer à un autre face à face , redoutable et ambigü ; Je voulais nommer le film de Claude Miller (1981) interprété par Lino Ventura et Michel Serrault, « Garde à vue »

A ces interrogatoires incroyables, déroutants, alternent les lettres qu'il écrit à la femme qu'il aime… L'occasion de parler, réfléchir, discuter de thèmes chers à l'écrivain : La beauté de la Montagne, La Nature, l'engagement politique, l'idéal premier du communisme, la fraternité dans le partage des convictions, la mort, la liberté, le sens et la valeur que l'on souhaite donner à son existence, l'amour, le silence, le refus d'obéissance et de soumission à un gouvernement, la colère des injustices sociales, les méfaits du capitalisme…La foi, l'Amitié, et cette passion de la nature, de la montagne qui fait oublier la folie des hommes…

Un style sobre , élégant, efficace, poétique qui va à l'essentiel, à l'universel d'un parcours d'homme… Toujours de magnifiques passages pour parler de cette Montagne…tant chérie par Erri de Luca !

« La montagne, immobile par nature, est un mobile. C'est exactement ça : elle attire à elle. Chacun a ses propres raisons d'y aller. La mienne est de tourner le dos à tout, de prendre de la distance. Je rejette le monde entier derrière moi. Je me déplace dans un espace vide et aussi dans un temps vide. Je vois comment était le monde sans nous, comment il sera après. Un endroit qui n'aura pas besoin qu'on le laisse en paix. (p. 20)”

J'achève ce “billet”… par cet extrait explicitant au plus près le noyau de cette narration:

« Tu sais qu'on m'accuse d'avoir poussé dans le vide du haut d'un sentier un camarade de nos vieilles luttes politiques, devenu ensuite un délateur. A l'époque, nous étions amis. On dit amis pour la vie, mais cette expression ne lui suffisait pas, car la vie est imprévisible. Il disait que nous étions amis par le sang. Mais nous n'avons pas fait le pacte en nous entaillant la paume de la main et en mêlant nos deux sangs. Il me l'a demandé, mais je n'ai pas voulu. Ce geste aurait exclu les autres camarades.
Dans ces années agitées, l'amitié était un échange d'aide, en sachant qu'elle serait immédiate et sans explications. On était unis par une volonté commune.
Nous nous étions coupés de nos familles à l'arrachée (...) Nous pratiquions une autre appartenance. L'amitié remplaçait l'affection familiale en faisant de l'autre un frère, un père, un fils. « (p. 99)

Restent un vrai suspens, une attente d'une réponse…Mais cela c'est une autre histoire qui peut laisser sur une sorte d'inachevé ou de frustration… mais la progression du récit est telle que la réponse, au final, n'est plus l'urgence première… ! Un très , très fort moment de lecture et de réflexion, à la lumière de cette histoire-fable !


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Très beau livre, lu en V.O.
Erri de Luca nous fait assister aux interrogatoires menés contre un ancien activiste italien qui fut condamné jadis pour son appartenance à une association criminelle. Il est accusé par un jeune d'instruction d'avoir assassiné en montagne un de ses anciens collègues et ami qui les avait dénoncés.
Impossible que ces deux hommes, pense la magistrat, se soient trouvés ensemble sur cette montagne par pur hasard...
Cela nous donne une succession d'interrogatoires, véritables dialogues entre les deux hommes qui s'attachent non seulement aux faits mais qui débordent ce cadre en y englobant de belles réflexions et un amour de la montagne, sur la justice, sur la sagesse qu'apporte l'âge, sur l'amitié, sur la trahison. Cette passe d'armes est tout à fait passionnante, le mot armes n'est cependant pas vraiment adapté car toute conversation se fait sans agressivité, entre personnes réfléchies, chacune tentant de défendre son point de vue.
Entre ces interrogatoires s'intercalent de belles lettres d'amour écrites par l'inculpé à sa compagne.
Ces passages d'interrogatoires aux lettres sont accentués par la typographie : un caractère froid, impersonnel pour les premiers, pour passer aux caractères italiques pour les secondes.
J'ai aimé ce livre, ses aspects philosophiques et psychologiques, le contraste souligné de la jeunesse du juge et de la sérénité de l'accusé.
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J'ai découvert Erri de Luca il y a plusieurs décennies, à travers un petit livre peu connu, « Première heure », dans lequel l'auteur revient sur sa lecture quotidienne de la Bible en hébreu ancien. « Tous les matins, la tête vide et lente, j'accueille les paroles sacrées. » Agnostique, Erri de Luca extrait de ses lectures matinales son interprétation toute personnelle du texte « originel » et offre au lecteur son « exégèse », marquée par une fraîcheur étonnante, de textes bien connus de l'ancien Testament, tels que « David et Goliath » ou « Samson et Dalila ».

En poursuivant ma découverte de l'oeuvre prolifique de l'auteur italien, j'ai saisi que celle-ci creusait deux sillons en parallèle. le premier sillon que l'on peut qualifier de mystique, explore le texte hébreu de l'ancien Testament et nous en propose l'interprétation originale et inspirée de l'auteur au travers de plusieurs recueils dont les plus saillants sont « Première heure » et « Noyau d'olive ». le second sillon nous propose une oeuvre romanesque plus classique, dont les thèmes de prédilection sont l'amour indéfectible d'Erri de Luca pour la montagne que « Le poids du papillon » nous restitue avec une grâce touchante, ainsi que l'engagement politique qui marqua ses années de jeunesse, un thème exploré dans un roman inoubliable, sans doute son chef d'oeuvre, « Trois chevaux ».

Paru en 2019, « Impossible » est la dernière publication de l'auteur, alpiniste chevronné, et se présente sous la forme d'un roman au sens classique du terme, même si un lecteur assidu perçoit ici et là l'influence des lectures « bibliques » de l'auteur, notamment lors des digressions philosophiques dont il est friand.

Sur un sentier escarpé des Dolomites, un homme chute dans le vide. Derrière lui, un autre homme, le narrateur, donne l'alerte. Les deux hommes faisaient partie du même groupe révolutionnaire quarante ans plus tôt, au cours des « années de plomb ». le premier a livré le second et tous ses anciens camarades à la police. Il a ainsi échappé à la prison, contrairement à ses camarades, dont le narrateur, qui ont purgé de lourdes peines. S'agit-t-il d'une « impossible » coïncidence ou d'un crime ? Au travers de l'interrogatoire du narrateur par un juge qui a la moitié de son âge, « Impossible » explore les thèmes chers à Erri de Luca.

Le roman alterne les passages où le narrateur est longuement interrogé par un juge d'instruction, qui estime que l'hypothèse d'une simple coïncidence est « impossible » et place l'alpiniste en détention, avec les lettres d'amour aussi introspectives que touchantes, que celui-ci adresse à sa bien-aimée depuis la prison, où il séjourne le temps que la vérité sur l'étrange accident du traître soit établie.

Lors des premiers interrogatoires, le jeune juge tente d'établir, de la manière la plus précise, le déroulé des faits. On comprend que le narrateur (qui n'est jamais nommé autrement que par la simple lettre R.) est un alpiniste expérimenté qui effectuait une marche ardue dans les Alpes italiennes lorsqu'il a aperçu au loin un homme qui empruntait le même sentier que lui, avec plusieurs heures d'avance. L'homme accélère et le héros le perd de vue. Il le voit à nouveau deux heures plus tard, marchant craintivement le long d'un passage difficile, appelé vire. Lorsqu'il emprunte lui-même la vire, il aperçoit les signes d'un éboulement récent, ainsi que des vêtements indiquant qu'un corps est tombé au fond de la crevasse créée par l'éboulement. Il appelle immédiatement les secours, reste sur place pour indiquer à l'hélicoptère la position exacte du drame et rebrousse chemin.

A son retour, il est immédiatement convoqué par la justice. le juge estime que le caractère fortuit de l'histoire racontée par le héros est plus qu'improbable. La seule explication est selon lui, un meurtre prémédité, maquillé en coïncidence ou éventuellement la survenue d'une bagarre tragique entre les deux anciens amis.

Le narrateur endure son nouvel emprisonnement avec stoïcisme et ne change pas son récit d'un iota, malgré l'insistance du juge, qui tente désespérément de lui faire avouer le meurtre de celui qui a autrefois trahi ses camarades, pour préserver sa liberté, quitte à perdre son honneur. Il a décidé d'assurer lui-même sa défense et refuse toute coopération avec l'avocat commis d'office nommé par le ministère public.
« A mon âge, la prison prive de peu. Une peine appropriée serait de retirer les montagnes de mon passé, de les effacer de mes mains, de ma respiration. Mais elles sont en sécurité dans la soute de mes sens. Votre pouvoir sur moi se limite au petit présent ».

« Impossible » est un roman où la tension va crescendo, le juge se montre particulièrement insistant lors des longs interrogatoires qu'il inflige à son prisonnier qui est prêt à aller jusqu'au procès. La structure narrative du livre interrompt à intervalles réguliers cette tension, en nous proposant les longues missives que le narrateur adresse à celle qu'il nomme « ammoremio ». Ces lettres reviennent sur son amour indéfectible pour la montagne ainsi que sur les fameuses « années de plomb » auxquelles il a participé activement, une participation qu'il paiera au prix fort, celui de longues années de réclusion.

« Impossible » est roman à la construction habile, dont l'enjeu dépasse la disparition d'un homme dans une crevasse alpine. le tour de force de l'auteur réside dans cette faculté à construire un récit haletant, qui se dévore tel un roman policier, tout en creusant une nouvelle fois le sillon des thèmes qui lui sont chers : l'immanence et la beauté de la montagne, les failles de la justice des hommes, la trahison qui voit le traître renier avant tout ses propres convictions, le sens de l'honneur, l'engagement, la profondeur de l'amitié qui unit des « camarades » engagés pour une cause qui transcende leur lien, et l'amour aussi.
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Impossible est le dernier roman d'Erri de Luca, auteur qui m'est si cher.
En voici le sujet. Nous sommes en Italie, dans la région montagneuse des Dolomites. Un homme plutôt âgé chute dans le vide, au passage d'une vire. Derrière lui, un autre homme tout aussi âgé donne l'alerte. Malheureusement, il n'y a plus rien à faire, celui qui est tombé n'a pas survécu à cette chute vertigineuse. Or, il s'avère que les deux hommes se connaissaient, tandis que celui qui a donné l'alerte indique que cette rencontre sur ce chemin escarpé est totalement le fruit du hasard. Ce dernier, par ailleurs alpiniste chevronné, devient brusquement un suspect aux yeux de l'enquête...
En effet, ils se connaissaient, ayant été tous deux très proches l'un de l'autre dans un passé désormais lointain, ils furent des amis, notamment lors de leur engagement politique au sein d'une organisation révolutionnaire clandestine. Puis, celui qui a chuté dans le ravin s'avère avoir été un traître pour l'organisation, entraînant celui qui est suspect à des années d'incarcération... Alors, cette rencontre au détour d'un sentier abrupt, est-ce une simple coïncidence ou bien un traquenard savamment orchestré ? C'est ce que cherche à savoir le jeune magistrat dépêché sur cette affaire.
Le roman est une forme de huis-clos. Nous assistons à l'interrogatoire du principal témoin par le magistrat chargé d'instruire l'enquête. Très vite, le témoin devient suspect et les questions deviennent à charge contre lui. Alternent les interrogatoires avec un magistrat très offensif, au-delà peut-être de ses prérogatives et la détention provisoire du témoin, le narrateur, qui se confie à la femme qu'il aime en lui écrivant et qu'il appelle Ammoremio.
La forme du récit est originale, puisque les pages relatant l'interrogatoire présentent une typographie de type policière, comme saisie à la machine à écrire et restituée telle qu'elle par le greffier présent, tandis que les pages plus intimistes où le narrateur s'adresse à sa bien-aimée sont d'une typographie italique.
Nous retrouvons ici les thèmes chers à Erri du Luca : l'amour, l'amitié, l'engagement politique, le militantisme, la résistance, la transgression, la montagne, la liberté, la solitude aussi...
L'entretien avec le magistrat est une lutte acharnée d'une tension extrême, un peu comme deux cerfs mêlant leur bois dans un combat sans merci... Cela ressemble à une sorte de jeu du chat et de la souris dans lequel le juge cherche à faire tomber le suspect dans les pièges tendus, mais ce dernier ne se laisse pas faire, s'ensuit un bras de fer sans concession l'un pour l'autre. Nous assistons à des joutes verbales qui auraient toute leur place dans une scénographie théâtrale...
Une étrange relation se noue et se dénoue entre le juge et le suspect...
Dans cet échange, le narrateur cite un proverbe oriental : "quand les eaux montent, la barque doit en faire autant". Dans ces mots sans doute se résume toute la tension narrative du roman.
Si le récit est d'une rare maîtrise, une histoire construite avec intelligence, cela me semble-t-il a un peu nui à la grâce poétique habituelle qui m'a si souvent séduit chez Erri de Luca. Les scènes de l'interrogatoire m'ont paru parfois un peu artificielles, d'une rigueur froide et mécanique où j'avais du mal à entrer en empathie avec le suspect. J'attendais avec impatience que celui-ci regagne sa cellule pour m'engouffrer dans les respirations épistolaires et amoureuses avec sa bien-aimée, Ammoremio.
Il m'a sans doute manqué ici un petit quelque chose pour que je puisse être emporté par la grâce vertigineuse et solaire dans laquelle cet auteur m'a si souvent entraîné...
Cela dit, j'ai retrouvé de manière intacte les valeurs d'humanité auxquelles adhère cet écrivain sans compromis.
Je remercie Babelio et les Éditions Gallimard de m'avoir donné l'occasion de lire ce roman en avant-première.
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"Impossible", le dernier né d'Erri de Luca est d'une grande qualité. Les échanges, entre le magistrat et le narrateur qui est accusé d'avoir provoqué la chute mortelle en montagne d'un ancien camarade de lutte politique, sont riches et très habiles.
Si les échanges sous forme de questions-réponses sont soignés, la mise en forme ne l'est pas moins. le choix de la police et de style pour distinguer les moments, que ceux-ci se passent dans le cabinet du magistrat ou que ce soient les lettres que le narrateur envoie à la femme qu'il aime, est extrêmement bien choisi et vient parfaire l'impression très positive d'ensemble de ce roman.
Dans la qualité et la force des dialogues, j'ai parfois pensé (même si le sujet n'est pas le même) au "banquier anarchiste" de Fernando Pessoa.
Si le narrateur nous dit en parlant de son ami mort après cette chute "au lieu de partager la défaite et les peines, il nous a tous trahis, moi compris" il ne trahira, lui, à aucun moment ses convictions, et son âme.
Pour toutes ces raisons, j'ai aimé ce livre et remercie babelio et les éditions Gallimard pour l'envoi en avant première de ce roman.
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