Ça se passe à Bangkok, dans un futur proche indéfini.
Ça se passe un demain.
La ville subit de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique, une mousson sans fin achève d'inonder les quartiers les plus pauvres.
Elle poisse, grouille, clivée entre ceux qui ont les moyens et ceux qui ne les ont pas, ceux qui ont les pieds dans l'eau et ceux qui ont les pieds au sec.
Le tourisme sexuel et pédophile n'a pas faibli avec le changement de régime politique. Il s'agirait de ne pas voir baisser la fréquentation de Bangkok au profit des Philippines…
Claquant comme un avertissement, des assassinats sont perpétrés, très ciblés : ils ne touchent que les clients et tenanciers des bordels d'enfants.
Petits, les enfants.
Thaïlandais, ou Birmans.
Prisonniers, résignés.
Assassinats signés d'une carte de visite pour chaque corps de client ou de tenancier, sur laquelle figure un
dragon.
C'est du bain de sang, mais pas de la boucherie.
Pour la boucherie, c'est ailleurs, autrement, un seul à la fois.
Celui qui se fait appeler
Dragon est précis.
Le lieutenant Tann Ruedpokanon est chargé par Sawinee Kaewphet, du ministère de la justice, et le général Prachya Wongkrachang, de trouver
Dragon et de le supprimer.
Il est impératif que les meurtres cessent avant de faire fuir les touristes.
Il n'est pas question non plus d'un procès qui nuirait à l'image de Bangkok.
Thomas Day nous plonge direct dans le sujet, pas de préambule, pas de pincettes non plus.
Un chat y est un chat, les dévastations des viols commis sur un corps d'enfant sont clairement dites.
En 150 pages d'un rythme soutenu, il nous embarque dans ce monde et ses complaisances, qui arrachent la gorge comme une odeur insupportable.
Davantage que la chasse au
Dragon qui va aller son train d'enfer semant ses cadavres, c'est une occasion pour
Thomas Day de parler de Bangkok, de la prostitution infantile, de ses clients, de décrire les différents quartiers, d'évoquer les ladyboys ou kathoeys, ces hommes qui s'habillent en femmes et souhaitent le devenir.
Les kathoeys traversent le récit comme elles arpentent les trottoirs, comme elles débaroulent dans les bars, comme elles passent dans la vie de Tann.
La chasse au
Dragon permet de sillonner la ville, de jour, de nuit, de nous en faire sentir les ambiances, d'en voir les différentes populations, les rabatteurs et les pédophiles en quête d'une victime.
Les enfants prisonniers, résignés.
À la merci de l'horreur.
J'en ai pris plein la tête.
Ce petit livre m'a laissée KO.
Je ne sais pas si la prostitution des enfants a quoi que ce soit de culturel (un des personnages de
Dragon l'évoque, jamais une idée pareille ne m'était venue à l'esprit), s'il s'agit d'opportunisme commercial face aux détraqués de tous horizons qui viennent massacrer ces mômes.
Ou les deux.
Ou rien de tout ça.
Je n'ai pas de réponse à ça.
Ça me dépasse complètement.
Et ça me met dans une rage assez remarquable.
La seule question qui me vient, c'est comment arrêter cette déferlante abominable dans ces vies abîmées à jamais, dès l'âge de quatre-cinq ans ?
La question, beaucoup se la posent.
La réponse n'est pas pour demain…
Dragon ouvre cette réflexion. Il parle de ces moufflets dont on ne parle jamais.
J'ai déjà pris ça dans la figure avec deux bouquins lus récemment : des livres qui parlaient des victimes, oh, pas complaisamment, et ça ne durait pas des pages. Ça n'a jamais besoin de durer des pages. Juste ce qu'il faut pour qu'on prenne bien conscience de ce dont il s'agit.
Comme dans
Dragon, au-delà de l'enquête, de la poursuite, du flic fatigué.
Il frappe fort, mais il frappe juste.