Claudel Philippe – "
L'arbre du pays Toraja" – Stock, 2016 (ISBN 978-2-253-06933-1)
Quelle déception ! Quel désastre !
L'auteur du remarquable roman "
Le rapport de Brodeck" étale ici, sans retenue aucune ou en toute naïveté, sa promotion au rang de bobo standard, entrelardé des multiples stigmates caractérisant cette caste, dont nous pouvons ainsi aisément repérer un certain nombre d'identifiants.
Cela commence d'ailleurs dès les premières pages par un entre-soi bien marqué, avec une citation en angliche (non traduite, évidemment, cet idiome étant leur signe d'appartenance à cette strate normalisée, mondialisée, standardisée à l'extrême) d'une Pensée Profonde émise par une certaine Beth Gibbons, vedette d'un groupe anglo-saxon de "trip hop" (ça ne s'invente pas).
Cela s'épanouit dès la première phrase du premier chapitre : "sur l'île de Sulawesi vivent les Toraja" : cette tribu de "bons sauvages" rousseauistes de carte postale donne son titre à l'ouvrage : on nage dans un reportage à la mode "Arte" ou "France-Culture", bien cultureux...
Vient ensuite le thème du récit des derniers instants du grand copain Eugène (du déjà vu, avec par exemple "les invasions barbares", film de
Denys Arcand sorti en 2003) , flanqué du thème tout aussi canonique du couple sans enfant qui se désagrège tout doucettement et en toute amitié : le nouveau mari de l'ex-dulcinée est bien évidemment super-sympa.
C'est que notre héros s'est trouvé – par le plus grand des hasards, bien sûr, mais tout de même provoqué par ses nobles recherches sur un Thème Philosophique Profond – une jeunette. Pas n'importe laquelle, non, non, non, ce n'est pas la caissière du super-marché du coin, ah ben non alors ! Elle est bien évidemment membre d'un labo du CNRS (l'un des épicentres de la pensée gôôôche caviar), et tout aussi évidemment d'origine étrangère dramatique (croate). Bien entendu, elle tombe amoureuse de ce sémillant quinquagénaire, auteur et cinéaste, le rêve ! On patauge dans les amours de type dix-huitième siècle.
Le pire est encore à venir : l'auteur se croit obligé de révéler à longueur de pages la vie charnelle la plus intime du couple qu'il forme avec cette si tant plein belle chercheuse (avec des passages glamour tartinés – pp. 179-180) , et là, ça devient inqualifiable de complaisance et de bassesse (même ses performances urinaires dans une pissotière devant laquelle il "tombe en extase" ne nous seront pas épargnées – p. 192-193)...
Le tout émaillé de nobles allusions en passant, négligemment, à la Toute Grande Culture, bien sûr : quelle flagornerie !
L'auteur est pourtant d'une origine sociale modeste, il est né à Dombasle-sur-Meurthe, et a grandi dans une petite ville lorraine (Lunéville – fort loin donc de ce milieu cultureux très parisiano-parisien ou en tout cas d'origine très urbaine), même s'il a ensuite fréquenté l'université de Nancy.
Ces données biographiques ne sont pas anodines : il semble qu'une partie non négligeable de cette caste bobo ait connu un parcours quelque peu identique (cf par exemple l'inénarrable
Onfray), adoptant très très rapidement ces postures cultureuses standardisées, si répandues dans le monde des intellos-bobos.
Quel désastre !