— Jamais je n’oublierai ce voyage… Il me semble vivre un cauchemar.
L’entendant, Ferguson l’interpella d’un ton agressif :
— Vous êtes trop civilisée, mademoiselle. Vous devriez considérer la mort à la façon des Orientaux. Ce n’est, après tout, qu’un incident… sans importance.
— Vous nous débitez des inepties ! lança Cornélia, en rougissant.
Mr Ferguson, irrité, insista :
— J’abandonne la partie. Vous êtes impayable ! Vous manquez totalement de caractère ! (Il se tourna vers Poirot.) Savez-vous, monsieur, que le père de Miss Cornélia a été ruiné par celui de Linnet Ridgeway ? Au lieu de grincer des dents en voyant la riche héritière arborer son collier de perles et les derniers modèles de Paris, elle bêle d’admiration. N’est-ce point sublime ? Je doute même qu’elle ait ressenti la moindre rancune contre cette femme.
— Pardon, dit Cornélia rougissante, j’en ai eu, mais juste une minute. Papa est mort découragé, parce qu’il n’avait pas réussi.
— Elle lui en a voulu juste une minute. Quelle pitié !
— Vous dites toujours que ce qui importe le plus, c’est l’avenir et non le passé. Tout cela n’est que le passé. N’en parlons plus.
— Elle me dépasse ! dit Ferguson. Cornélia Robson, seule femme vraiment bonne que j’aie rencontrée, voulez-vous m’épouser ?
— Vous êtes fou !
— Ma proposition est très sincère… même si elle a pour témoin ce vieux limier. Vous m’entendez, monsieur Poirot, je demande la main de cette jeune bourgeoise… je lui offre de passer avec moi devant le pasteur. Eh bien, Cornélia, est-ce oui ?
— Vous êtes absolument ridicule !
— Pourquoi ne pas nous marier ?
Toute rougissante, elle courut se réfugier dans sa cabine. Ferguson la suivit des yeux.
Puis il fit une pirouette et entra dans le salon vitré.
Miss Van Schuyler, installée dans son coin habituel, tricotait. Ferguson s’avança vers elle. Hercule Poirot arriva sans bruit, prit un siège à une distance raisonnable et fit semblant de lire une revue.
— Veuillez m’écouter, miss Van Schuyler, commença Ferguson. Je voudrais vous entretenir d’un sujet très important. Voici : je désire épouser votre nièce.
— Vous perdez la tête, jeune homme !
— Pas du tout. Je suis tellement décidé à l’épouser que je lui ai demandé sa main.
— Je suppose qu’elle vous a envoyé promener ?
— Oui, elle a refusé.
— Je m’en doutais bien.
— Qu’avez-vous à me reprocher ?
— Vous devriez le savoir, monsieur… À propos, comment vous appelez-vous ?
— Ferguson.
— Monsieur Ferguson. (Elle prononça ce nom avec dédain.) Il ne saurait être question d’un mariage entre vous et ma nièce.
— Le rang !… Le rang !…
La porte s’ouvrit toute grande et Cornélia apparut. Elle s’arrêta net à la vue de sa redoutable cousine.
— Cornélia ! s’écria miss Van Schuyler d’une voix rauque. As-tu encouragé ce jeune homme ?
— Moi ? Non, bien sûr… c’est-à-dire… pas exactement…
Mr Ferguson vint au secours de la jeune fille.
— Elle ne m’a nullement encouragé. C’est moi qui suis en cause. Son bon cœur l’a empêchée de me repousser ouvertement. Cornélia, votre tante me juge indigne de vous, à cause de mon rang social. Est-ce aussi la raison de votre refus ?
— Non ! répondit Cornélia rougissante. Si… je vous aimais, rien ne m’empêcherait de vous épouser.
— Alors, vous ne m’aimez pas ?
— Vous passez les bornes. Vous dites des choses… Jamais je n’ai rencontré un homme comme vous… Je…
Refoulant les larmes qui montaient à ses yeux, Cornélia s’enfuit.
— Dans l’ensemble, dit Mr Ferguson, c’est un assez bon début.
L’homme a inventé le travail pour échapper à l’ennui de penser.
Je suis détective, dit Poirot de l'air modeste dont on déclare : "Je suis roi".
D'humeur sereine, Poirot devisait avec bonhomie.
Il portait un panama et il tenait à la main un chasse-mouches tarabiscoté au manche en simili-ambre.
_ Tout cela m'enchante, déclarait-il. Les rochers noirs de l'île Éléphantine, le soleil, les felouques sur le fleuve... Oui, il fait bon vivre.
Rosalie murmured : "I suppose we might as well go on to Egypt. It does'nt make any difference."
"It's certainly not a matter of life or death", agreed Mrs Otterbourne.
But there she was quite wrong - for a matter of life and death was exacty was it was.
[Rosalie murmura: «Je suppose que nous pourrions aussi bien continuer jusqu'en Égypte. Ça ne fait aucune différence.».
«Ce n'est certainement pas une question de vie ou de mort", acquiesça Mme Otterbourne.
Mais ici elle se trompait complètement - une question de vie ou de mort, c'était exactement ce dont il s'agissait.]
- [...] Les hommes sont de vrais enfants !
- Les femmes se plaisent à le proclamer mais rien n'est plus faux [...]
Regardez la lune, là-haut. Vous la voyez clairement, n'est-ce pas? Elle est bien là? Mais que le soleil vienne à briller, vous ne la verriez plus du tout. Eh bien, c'est un peu ce qui est arrivé. J'étais la lune... Quand le soleil est apparu, Simon a été ébloui. Il ne me voyait plus. Il ne voyait que le soleil... Que Linnet.
Hercule Poirot faisait de vagues gestes pour se débarasser de cette nuée de mouches humaines. Rosalie, elle, doublait le pas pour tenter de se dégager, comme un somnambule.
Le gringalet suivit des yeux la rolls.
_ Je trouve pas ça normal, une telle allure ! L'argent plus la beauté, c'est trop à la fois. Une fille aussi riche, elle a pas le droit d'être belle, en plus ! Parce qu'elle est belle... Cette fille, elle a tout. Y a pas de justice.
Le meurtre, mademoiselle, est un crime impardonnable. Un être humain n'a jamais le droit d'en supprimer un autre. Et c'est votre faute si vous ne chérissez dans le monde, rien ni personne sauf un homme sans valeur.