Un potentiel littéraire évident, insuffisamment mis en valeur par la thématique
Pour un premier roman, la thématique des Zombies était-elle un pari risqué ? On pourrait le croire. Car les Zombies « originels » (et non ceux qui se sont « humanisés » au gré des romans et des séries télévisées qu'ils ont envahis depuis leur apparition) n'offrent plus de véritables rebonds. Ils sont et resteront ce qu'ils sont : morts (tout du moins, à l'état cérébral). Les traces de vie qui animent leurs corps pourrissant, amputés, mutilés, décharnés n'existent que pour leur permettre de se repaître des vivants, ou de les infecter. Au-delà, point de salut. Sauf à les faire évoluer (mais ils perdent alors leur nature primaire), ils sont pris au piège d'une récurrence dans laquelle ils enferment les auteurs et les lecteurs qui s'y frottent.
Pourtant, l'auteur s'est installé dans cette thématique exiguë avec de réelles qualités de conteur et les 500 pages que compte l'ouvrage « s'avalent » alors sans difficulté. Deux raisons essentielles à cela : (i) la plume est ciselée, dynamique, et s'adosse à un vocabulaire riche et précis, tant dans ce qu'elle décrit que dans ce qu'elle met en mouvement ; (ii) à l'instar de ce qui peut être constaté dans la littérature contemporaine du genre (on pense, à titre d'exemple, aux « Décharnés » de Paul Clément), la présence de ces créatures dans PariZ trouve son véritable intérêt à travers ce qu'elle provoque chez les vivants, en les construisant et en les faisant évoluer, au singulier et au pluriel, dans un univers apocalyptique.
Trois clochards (« la Goutte ; la Gâchette ; la Gobe ») se terrent dans les sous-sols du métro parisien pour échapper aux Zombies, qui ont envahi Paris. Dans leur pérégrination, ils croisent (malgré eux) deux soldats de la Restauration Française qui, sous les ordres d'un colonel en marge de l'armée « régulière », se doivent de remplir une mission tenue pour secrète. Avec des perspectives aux antipodes les unes des autres, les deux petits groupes, finalement moins vulnérables ensemble que séparés, vont tenter de collaborer en vue de parvenir à leurs fins. Chose faite, ils rejoindront alors l'Assemblée Nationale, tombée aux mains de la Restauration, où un autre combat les attendra.
« Plaisirs »
Ces plaisirs naissent dans les personnages (vivants) qui animent l'histoire – (vrais) clochards d'un côté ; (pseudo) militaires de l'autre – et qui n'ont pas pour habitude de cohabiter ou de collaborer ; dans leur langage, évocateur de leur condition, de leur manière d'être et de penser. Isolément, ils ont tous un passé, une histoire, qui leur donne un minimum de profondeur pour qu'on s'y intéresse, qu'on les aime (ou pas), qu'on les comprenne (ou non). Ensemble, et pour des raisons qui leurs sont propres, ils représentent, dans leur misère physique ou morale, l'antichambre des morts qu'ils fuient et combattent.
Plaisirs qui se confirment dans les détails de l'univers dans lequel l'histoire prend racine et grandit. Ces détails sont d'une précision d'orfèvre, laquelle témoigne d'un sens de l'observation et d'une capacité à restituer l'existant très affûtés. Tous les usagers des lignes de métro dans lesquelles se plante une partie du roman, tous ceux qui connaissant les monuments de la capitale, ses rues et son histoire, tous ceux (probablement moins nombreux) qui connaissent les avions de chasse, les hélicoptères de combat ou de reconnaissance, pourront en témoigner. Cette précision rend le décor « ultra réaliste » au point de s'y projeter. Et pour ceux qui connaitraient moins Paris (car Paris n'est pas le centre de la France – ni du monde), son métro ou notre arsenal militaire, elle en donne une image très fidèle.
Des plaisir qui s s'achèvent dans les bribes de politique abordées par l'auteur dans un monde en déliquescence. Même là, et alors que leur survie est en jeu, les hommes trouvent le moyen de s'opposer sur des conceptions de la société qui n'ont plus lieu d'être compte tenu des circonstances et de s'entretuer sur l'autel du pouvoir et de l'influence.
D'une manière générale, enfin, ces plaisirs se trouvent dans la capacité réelle de l'auteur à conter.
« Regrets »
On regrettera, en premier lieu, une intrigue qui manque un peu d'originalité. Mais par force des choses, car l'essence même de la thématique exige, avant tout, que les vivants survivent aux morts, qu'ils leur échappent, qu'ils les éradiquent. Et presque tout est orchestré dans cette perspective. Si les lieux, les personnages et la plume font la différence, ils ne permettent pas au roman d'échapper à cette logique un peu binaire. Les autres constituants de l'action, qui sortaient pourtant des sentiers battus, s'en trouvent relégués au second plan.
On regrettera, ensuite, que les traits de certains personnages n'aient pas été davantage développés, et dès le début de l'histoire. On pense, en particulier, à ce qu'on découvre sur la Goutte et sur l'un des soldats en fin d'ouvrage. Ces révélations auraient pu conférer une dynamique plus soutenue et plus profonde aux interactions que les personnages développent entre eux, et créer un parallèle fort de symboles entre les Zombies et ce qu'avait vécu la Goutte, dans son lointain passé.
On regrettera, enfin, que la physionomie et le « fonctionnement» trop classiques des Zombies aient été conservés. Partant, le cheminement de la Goule (mort), tout au long de l'ouvrage, offre peu de relief (mis à part le chapitre sur ce qui se passe dans sa tête… et qui n'est pas une erreur de mise en page). Ce n'est guère que lorsque sont abordés les moments ayant précédé sa mutation que le véritable lien avec le personnage prend « vie ». Et ces moments ne nous sont pas suffisamment contés. Mais, ici encore, ces créatures (la Goule, comme toutes les autres) se doivent d'obéir à un certain standard. Ne pas le respecter les ferait évoluer vers d'autres formes de monstres, plus élaborés, moins « zombiesques ».
« Reproches »
S'il fallait en faire un seul : la plume de l'auteur est entravée par une thématique trop étroite pour les qualités qu'elle recèle. Cette thématique n'est en rien contestable, ou dénuée d'intérêt, mais la problématique dans laquelle elle enferme est, pour ainsi dire, insoluble. Conserver les Zombies « dans leur premier jus » piège dans les filets de la redite. Les faire évoluer éloigne définitivement du genre. Mais, pour tous les amoureux des morts-vivants qui ne s'embarrassent pas de cette dialectique, PariZ est un livre à lire ! Même si, au-delà de la thématique, l'auteur s'abandonne peut-être trop souvent à des descriptions qui confinent au catalogue, en particulier lorsqu'elles ne s'imposent pas (revers d'une trop grande précision).
En bref, nul doute qu'un auteur est né (ou qu'il a muté, lui aussi, mais du journaliste au romancier) et qu'il est porteur de belles promesses. Avec toute l'humilité qui doit caractériser l'avis du chroniqueur, on a très envie de l'inviter à s'essayer dans un genre plus large qui permettra à sa plume les embardées nécessaires à l'avènement d'une patte.
Darren Bryte
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