Roman de jeunesse du cubain
Alejo Carpentier, écrit pendant sa détention en tant qu'opposant à la dictature de Machado en 1927, remanié par la suite à Paris et publié en Espagne en 1933, Ekoué-Yamba-Ó (Dieu soit loué) est un fabuleux laboratoire littéraire où négrisme et surréalisme sont un prélude au futur réalisme merveilleux baroquisant de ses oeuvres suivantes.
Ekoué-Yamba-Ó, oeuvre caractéristique des années d'apprentissage de Carpentier, marquées par un fort intérêt pour la culture afro-cubaine, met en scène Menegildo Cué, un afro-cubain né dans le monde sucrier rural des trapiches et la misère de ses bohios où s'entassent les familles ouvrières de la culture et de l'industrie du sucre, c'est-à-dire dans la moitié Est de Cuba (la moitié Ouest étant consacrée au tabac).
De la naissance à la mort du protagoniste, l'auteur déploie un récit cyclique où l'espace narratif alterne de la campagne à la ville, de la liberté à la prison, de l'amour à la mort, de la mort à la naissance d'un fils, du monde rationnel à l'univers de la santería cubaine, spiritualité teintée de christianisme et dominée par l'héritage rituel africain yoruba.
Alejo Carpentier n'aimait pas ce premier roman Ekoué-Yamba-Ó, "une tentative ratée à cause de l'abus de métaphores, de comparaisons mécaniques, d'images d'un mauvais goût futuriste odieux et de cette fausse conception du national qu'avaient alors les hommes de ma génération" ajoute l'auteur. Bref pas assez baroque et trop conditionné par la mode ultraiste.
Ce premier roman de Carpentier est pourtant intéressant parce qu'influencé par les travaux de l'anthropologue cubain
Fernando Ortiz qui, dès les années 20, a réalisé des études qui aboutiront à son concept de transculturation au travers de l'émergence d'une culture spécifique cubaine née des cultures européenne, africaine, indigène et asiatique.
Fernando Ortiz a exercé une influence déterminante sur la génération des intellectuels cubains des années 30. D'ailleurs l'oralité populaire utilisée dans ce récit par
Alejo Carpentier est en partie issue du glossaire d'afronégrismes d'Ortiz. Son oeuvre majeure,
Contrapunto cubano del tabaco y el azúcar, marquera profondément la littérature et l'esthétique d'
Alejo Carpentier (par ailleurs ami d'Ortiz).
Héritier d'Ortiz mais aussi des romans cubains anti-esclavagistes et abolitionnistes du 19ème siècle, concentrés sur des protagonistes Noirs et leurs conditions sociales épouvantables, d'auteurs tels que Cirilio Villaverde, Juan Francisco Manzano ou
Gertrudis Gómez de Avellaneda, cette première oeuvre d'
Alejo Carpentier inaugure le prodigieux dialogue conflictuel des cultures latino-américaines dont il fera une dynamique synthèse esthétique. Enfin, cette oeuvre marque le début de sa future féconde et romanesque célébration historique et géographique de l'Amérique Latine.
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