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sur 1526 notes
Attention : roman époustouflant mais exigeant qui m'a demandé un temps d'adaptation à sa forme de narration inhabituelle et qu'il est quasiment impossible de résumer.
Pour autant, c'est une lecture solide, consistante et gratifiante, qui mérite le détour et le statut de chef d'oeuvre dans mon panthéon personnel. Un roman marquant donc, totalement inclassable !
J'ai beaucoup hésité à me lancer dans cette " critique ", uniquement motivée finalement par l'envie d'attirer l'attention sur un roman rare, original, foisonnant paru à la fin de l'été 2013, comme on en rencontre peu.

La trame principale du livre s'articule autour des confessions d'un homme dont la mémoire s'effiloche, Adrià Ardèvol y Bosch, qui permettent de suivre l'histoire de sa famille, enchevêtrée avec L Histoire européenne, du Barcelone des années cinquante en passant par l'Inquisition, l'Allemagne nazie à l'Espagne d'aujourd'hui. L'itinéraire d'un jeune garçon solitaire et brillant, dépositaire des espoirs familiaux et de lourds secrets hérités en même temps que le magasin d'antiquités aux provenances parfois douteuses. Et c'est justement la pièce la plus rare, un violon d'exception, un Storioni, qui sert de fil conducteur pour ne pas se perdre dans le dédale de ces presque 800 pages.

Ce qui m'a le plus déconcerté ici c'est évidemment l'absence de chronologie et de repères de ponctuation classiques. C'est bien sûr en cela que ce roman n'est pas d'un abord facile dans les premières pages. Il faut accepter qu'un paragraphe, et même une phrase parfois, s'achève à une époque et avec des personnages différents entre le début et la fin. Franchement je me suis demandé si je savais encore lire et surtout si j'étais encore apte à comprendre ce que je lisais. Insolite donc, inconfortable évidemment ; et puis, bien sûr, on s'habitue à cette structure flottante, à cette petite gymnastique intellectuelle. C'est sûrement excellent pour les neurones...
Jaume Cabré renforce ainsi sans doute la difficulté de son personnage à rassembler les bribes éparses de son histoire dans une mémoire qui se disloque. C'est tout à fait ingénieux. Côté écriture, le style reste limpide et clair, le propos érudit et ambitieux, dans ce roman aux pistes multiples.
L'art, la soif de connaissances, le Mal, le pardon sont les thèmes majeurs de cette fresque passionnante.

Confiteor, je confesse...je replongerai un jour avec plaisir dans cette fresque, comme j'ai apprécié de lire à nouveau les frères Karamazov il y a peu, pour savourer au-delà de la découverte la profondeur d'une pensée, la réflexion d'un écrivain majeur.
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Quel est l'intérêt d'écrire une critique négative ? C'est vrai, quoi ! Si l'on n'a pas aimé, on referme le livre au bout de cent pages et l'on n'en parle plus, un point c'est tout : pas la peine d'en faire des caisses. Certes… C'est ce que font beaucoup de gens et cela leur évite bien des désagréments, tant avec le livre qu'ils n'aiment pas (et qu'ils évitent ainsi de s'infliger trop longtemps) qu'avec les adorateurs dudit livre qui ne manqueront pas de leur tourner le dos ou de leur sauter sur le râble en leur indiquant qu'ils n'ont absolument rien compris à l'ouvrage, qu'ils devraient apprendre à lire ou à réfléchir ou un peu des deux, qui sait ?

Certes, certes et c'est un scénario connu, archiconnu et moult fois rejoué en ce qui me concerne. Étonnamment, on ne vous demande jamais de relire ou de réfléchir à deux fois quand vous dites que vous avez beaucoup aimé une oeuvre. C'est bizarre parce que, dans le fond, c'est tout aussi douteux, n'est-ce pas ? Certes, c'est plus consensuel, plus paisible de dire qu'on trouve tout bien, tellement plus simple de ne rien écrire quand on pense le contraire… Mais voilà comment on se retrouve, après, tout cumulé, avec des livres étrangement plébiscités, montés en épingle, des présidents ou des députés élus haut la main malgré une écrasante abstention.

Il est là le phénomène : sur Babelio comme ailleurs, les déçus trop souvent se taisent, s'abstiennent et leur pourcentage se retrouve minoré dans la population des lecteurs qui s'expriment sur un livre. Eh oui, c'est plus facile de passer sous silence son désamour car d'abord on s'évite un débat empoisonné avec les amoureux du livre et ensuite, on s'évite une douleur avec soi-même en ne remuant pas le couteau dans la plaie de ses propres désillusions. Puisque, c'est un fait, un livre est toujours une promesse, un espoir, un morceau de rêve avant qu'on ne l'ait lu, c'est toujours dur, quand la promesse s'avère non tenue, d'abandonner à jamais son espoir ou son morceau de rêve.

En ce qui me concerne, Confiteor, avant de l'avoir lu, c'était la promesse ou l'espoir d'enfin découvrir le premier vrai grand bouquin du XXIème siècle, celui qui fera date et dont on parlera encore dans cent cinquante ou deux cents ans. A priori, il y avait des tas de thèmes susceptibles de m'intéresser : la mémoire, l'histoire contenue dans les objets, l'amour des livres, l'évocation même du mal (quand c'est aussi savoureux qu'À l'est d'Eden), les relations parents/enfant, une histoire d'amour, une amitié, etc., etc. J'en avais même tellement bavé d'impatience que nous nous sommes mises bien d'accord Christelle (Cricri124) et moi, qu'on avait pris bien consciencieusement nos petits carnets de rendez-vous et qu'on avait voulu sabler le champagne ensemble… Histoire de ne rien rater de la fête, croyait-on…

Et puis… et puis est venue la lecture proprement dite. Alors on s'est un peu avachies dans nos fauteuils ou dans nos lits, Christelle et moi, tellement on n'en croyait pas nos yeux de ce qu'on lisait. On devait avoir la mine longue et dubitative, vous savez exactement comme Depardieu et Dewaere dans Préparez vos mouchoirs quand ils lisent les bouquins de Carole Laure. (Je vous refais la scène de mémoire :
Depardieu : Il est bien le tien ?
Dewaere : Bof… Ça casse pas des briques. Et toi ?
Depardieu : Je comprends rien !) Et on est restées là, elle et moi, allongées dans nos pieux, comme deux paquets de gélatine, avec nos gros bouquins qui nous tombaient des mains et dont les pages pesaient des tonnes à tourner. Lourdes, tellement lourdes, oh oui, combien lourdes…

Un jour, ma fille a regardé le dessin animé de Tintin, vous savez, L'Oreille cassée, celui où il y a le perroquet qui répète tout le temps : « Carrraaaamba ! Encorrre rrraté ! » Et je me suis dit moi-aussi : « Caramba, encore raté ! » Eh oui, encore raté ma vieille pour le premier grand roman du XXIème siècle ! Encore raté pour l'émotion, encore raté pour l'enthousiasme, encore raté pour le sublime…

Des tas de gens, et en qui j'ai pourtant toute confiance (d'où ce choix de lecture), sur Babelio ou ailleurs, m'avaient assuré que c'était du lourd. Moi, sans plus chercher, j'avais pensé que c'était du lourd comme vous savez mais en fait non, pour moi, ce fut du lourd autrement, du vrai, bon, gros lourd, quoi !

Alors quand après deux cents pages je me suis rendue compte que je m'emmerdais prodigieusement, j'aurais dû, comme je l'ai spécifié plus haut, abandonner sagement le machin et me reporter sur autre chose… mais j'ai un problème avec les livres : je suis obstinée.

Il est rare, très rare même, que j'abandonne en cours de route un livre qui, en raison du désintérêt qu'il m'inspire, m'a déjà volé beaucoup trop de temps (par pure idiotie congénitale, il faut croire, selon un phénomène connu sous le nom " d'erreur de jugement des coûts irrécupérables " — sunk cost fallacy en anglais). Donc, bêtement, je m'accroche, je peine, je chemine cahin-caha, je serre les dents et, malheureusement, à mesure que je m'ennuie ou m'agace, à mesure que je constate que le livre en question me déplaît singulièrement, que le temps que je lui consacre est définitivement du temps perdu, je sens monter en moi comme une colère froide, un ressentiment larvé contre le livre, contre l'auteur ou bien contre moi-même, car je sais parfois que le problème vient uniquement de moi.

Alors je vous le demande une nouvelle fois : quel est l'intérêt d'écrire une critique négative ? Eh bien, peut-être seulement d'éviter à d'autres lecteur(trice)s le surcroît d'attente (et donc de possible déception) que pourrait susciter ce livre. Rien de plus. Je n'avais lu quasiment dans les avis que du dithyrambe : c'était génial, c'était super, c'était trop bien, c'était le top du top. La narration était sensationnelle, d'une grande maîtrise et l'histoire fantastique, exquise et je ne sais plus trop quoi. Ouais… sans doute… si vous le dites…

Mais qu'est-ce que je me suis fait chier, tout de même ! C'est pas croyable, quand j'y repense ! Demandez à Christelle si vous ne me croyez pas. Parce qu'elle, elle en a entendu, elle, et bien plus que ce que je vous raconte là, car j'étais à moitié, comme qui dirait, vindicative, vous voyez le genre, pendant ma lecture. Parce que je lui aurais bien jeté au visage, moi, son gros pavé, à Jaume Cabré, et il aurait moins fait le malin derrière sa moustache, à jouer avec son petit shérif et son indien, avec ses ugh par-ci et ses crachats par-là, moi, je vous le garantis !

Bon, arrivée à ce stade, il faut sans doute quand même que je me décide à vous parler un peu du livre et de l'histoire, mais ça ne me réjouis pas, croyez-moi. Imaginez : si vous voulez aborder le mal en général, quel est le poncif le plus éculé, le cliché le plus usé, le lieux commun le plus commun que vous puissiez dégoter ? Allez-y. Non, ne cherchez pas trop loin, ne réfléchissez pas trop longtemps, voilà, juste comme ça, le premier qui vous vient, très bien : Auschwitz. Gagné ! Et même le tiercé gagnant : déportation / spoliation / expérimentation humaine. Non !? C'est pas vrai, il a pas osé !? Si, si, je vous jure, il l'a fait et même plutôt deux fois qu'une, et il l'a bien tartiné en plus, tout partout, plein les doigts. Sortez les violons, préparez vos Kleenex… Puis ensuite, pour changer, elle s'appelait Sara… Non, il ne l'a pas appelé Sara quand même ? (soupirs) À votre avis ?… Tiens, d'ailleurs, à propos de violons et de mouchoirs, comme par un fait exprès, justement, il y est aussi question de violons et de mouchoirs, ça tombe bien, non ?

N. B. : Ce qui suit est une longue et tortueuse digression que je ne vous oblige pas à vous coltiner.

J'ai dit ailleurs, dans d'autres critiques, (L'heure du Roi de Khazanov, L'école des cadavres de Céline, Si c'est un homme de Levi…) le bouillonnement de viscères, l'infinie tristesse que me provoque le fait, le simple fait de m'imaginer les détails concrets d'un génocide et l'urgence de ne jamais l'oublier. Mais voilà, personnellement, la seconde guerre mondiale, les nazis et la Shoah, JE N'EN PEUX PLUS : trop vu, trop lu, trop entendu, trop bu ; rabâchage, bourrage, gavage, foie gras, cirrhose, overdose, mégadose, explose : BOUM ! Pas moyen d'échapper (au minimum) à un doc par semaine sur Arte (pour les gens qui ont la mémoire fragile), un Goncourt sur deux, un film sur trois, un discours de président sur quatre… Voilà, c'est officiel, aujourd'hui, 16 février 2019, je pense être arrivée à mon seuil de saturation critique sur le sujet : une page de plus et ma dose létale sera dépassée, celle où j'écrirai, telle une Ghislaine Marchal sans jardinier, en capitales avec mon sang dans tous les livres à paraître : SHOAH M'A TUER (l'envie de les lire).

J'en viens même à me demander si l'on peut encore décemment écrire un livre sans parler de nazis ou de Shoah ? Non mais sans blague, je me questionne sincèrement, car, c'est vrai, tout bien considéré, quatre-vingts ans après les faits, et depuis quarante à soixante ans qu'on en parle à toutes les sauces, il n'y a plus tellement d'autres sujets valables, ni d'autres malheurs à l'heure actuelle dans le monde : « Exclusif ! On a retrouvé la mouche tsé-tsé kamikaze mise au point par les nazis » ; « Document : Comment fêtait-on le nouvel an chinois pendant la seconde guerre mondiale ? » ; « Écologie/développement durable : l'étude choc qui révèle l'impact insoupçonné de la Shoah dans le phénomène du réchauffement global » ; « Témoignage : le voisin du petit-fils du fournisseur de boucles de ceinture et de pendeloques de la SS raconte. »

Je sais même que rien qu'à écrire cela, des gens vont faire les indignés, d'autres vont me regarder de travers en me soupçonnant d'accointances diverses mais toutes fort peu recommandables. Et à ceux-là, j'aurai juste à répondre que je me sens terriblement fatiguée de lire ou d'entendre toujours les mêmes choses, qu'on remette toujours sur le tapis les mêmes malheurs quand il y en a tellement, en ce moment même, un peu partout, qu'on tait et qui n'émeuvent personne. D'ailleurs à mon simple échelon, moi qui ne me considère nullement comme une victime ou une proche de victime, si je remonte quelques décennies en arrière (pas besoin d'aller jusqu'à Azincourt) et bien je constate que moi aussi mes arrière-grands-pères se sont fait défoncer la gueule au XXème siècle, alors qu'ils n'avaient rien demandé, au nom d'idéaux à gerber et qu'ils n'épousaient pas. Eux aussi ont été jetés de force dans des trains et n'en sont pas revenus, eux aussi ont respiré du gaz (mais c'était en plein air, dans le confort et le luxe des tranchées, ce qui était de beaucoup préférable, j'en conviens) et eux aussi ont leur joli nom gravé sur une fausse plaque en marbre libellée « À nos morts ».

Je n'ai pas l'impression que cela ait été spécialement agréable comme mort pour mes arrière-grands-pères, ni follement récréatif pour mes arrière-grands-mères, notamment celle qui n'a reçu le certificat de décès de son mari qu'en 1921 quand lui était mort et oublié depuis la bataille de la Marne en 1915. Alors, certes, certes, à eux, mes arrière-grands-vieux, on n'a rien spolié, ni instruments rares, ni bijoux, ni tableaux de maître parce que, précisément, des instruments rares, des bijoux et des tableaux de maîtres ils n'en avaient pas tellement au fond de leurs musettes, les bougres (une bouteille de bibine, à la rigueur, c'était tout ce qu'ils portaient sur eux). On leur a peut-être volé deux ou trois silex au milieu de leurs champs pendant qu'ils s'envoyaient en l'air, un bras par-ci, une jambe par-là, mais on n'est pas trop rancunier dans la famille, on n'a pas porté plainte et on n'a rien demandé comme dédommagement. On est passé à autre chose, tout simplement.

J'ai souvent regardé des documentaires, écouté des émissions, tout ça, mais ils n'ont jamais parlé de la douleur et de l'horreur vécue par mes arrière-grands-vieux. On dirait bien qu'ils s'en foutent : c'était la guerre, c'était normal. J'ai souvent lu des livres aussi, pour savoir un peu plus dans le détail, et, pareil, jamais une ligne, jamais un mot sur eux, rien, que dalle. À l'ouest il n'y a jamais rien de nouveau. Et je ne vous parle que de mes arrière-grands-vieux parce que mes grands-vieux, eux aussi en ont vu passer des alizées, des souffles clairs, eux aussi ils s'en sont pris des kilos ferraille sur la tignasse, un certain matin de 1944, par exemple, mais pas seulement. Des frangins, des frangines, jamais retrouvés…

J'ai des amis d'un peu partout dans le monde (Algérie, Cambodge, Rwanda, Ukraine… liste non exhaustive) qui trouvent que, eux aussi, leurs ancêtres, ils ont morflé, tout bas, dans leur coin et qu'on n'en parle pas beaucoup. Mais ça, c'est pas des bonnes morts, ça : c'est pas des morts tragiques. Non, les vraies morts, les seules qui vaillent, les véritablement atroces, les authentiquement regrettables, ce sont celles que nous raconte, justement Jaume Cabré, ce sont celles d'Auschwitz mes p'tits amis. Ça c'est de la mort labellisée, estampillée, certifiée, de la mort AOC pourrait-on dire. Naïvement, moi, je pensais avant que la mort, c'était la mort, l'horreur, c'était l'horreur et la guerre, c'était la guerre ; qu'il fallait les combattre et les dénoncer partout et de tout temps avec la même vigueur, où qu'elles se nichent et qui qu'elles frappent. Mais apparemment non, il y a des morts plus mortelles, des horreurs plus horribles et des guerres plus belliqueuses que d'autres. Faut le savoir, c'est tout, maintenant je le sais.


Donc, Jaume Cabré entend parler du mal, de la mort et de la culpabilité. Pour ce faire, il va utiliser une technique dont il n'est ni l'inventeur ni le plus habile praticien, mais c'est un procédé qui jouit d'une certaine vogue parmi les auteurs hispanophones, notamment sud-américains : j'ai nommé la narration puzzle imbriquée pas baisante à suivre ni à comprendre, dont le brevet fut déposé jadis par un certain William Faulkner et dont le plus grand orfèvre demeure à ce jour Juan Rulfo dans Pedro Páramo. Et, malheureusement, n'est pas Juan Rulfo qui veut…

Jaume Cabré ne se facilite pas la tâche et surtout, ne facilite pas celle de ses lecteurs car, comme si cela ne suffisait pas, il dissémine par plaques un genre de fresque sur plusieurs époques et sur plusieurs générations à la façon de Gabriel Garcia Márquez, le Moyen-Âge ou le violon en plus et le talent en moins. Mais ce n'est pas tout, il souhaite encore faire abondamment étalage de sa grande culture (religieuse, médiévale, linguistique…) comme un ersatz d'Umberto Eco, mais qui serait de seconde main, juste pédant quoi. Et c'est tout ? Non, ce n'est pas tout, il en rajoute encore, une espèce de sauce mélasse narrative décousue aussi savoureuse et appétissante que l'inénarrable Marmite®, chère aux papilles de nos amis anglais, qui se situe quelque part au confluent d'un James Joyce en pleine forme, d'un André Gide fatigué et d'un Cormac McCarthy pas hyper sobre.

Pour moi, ce fut un calvaire à lire, des longueurs ahurissantes, du larmoyant ou supposé tel qui fait long feu, des dialogues creux à n'en plus finir, des gloses multilingues hautement dispensables, des insertions perpétuelles qui hachent et qui gâchent le propos sous couvert d'épouser la pagaille cérébrale occasionnée par Alzheimer. Bref, selon mes critères, une écriture maladroite et poussive et qui dure la bagatelle de 770 pages en grand format (900 version poche). La technique narrative employée a eu le don de m'éloigner systématiquement de toute tentative d'amorce d'empathie pour les personnages. Les personnages, parlons-en, à la pelle il y en a, quinze à la douzaine, tous plus inutiles et inintéressants les uns que les autres. On en rayerait les trois-quarts qu'on ne s'en porterait que mieux.

Et si on ne garde que les principaux, Adrià, Bernat, Sara, papa et maman d'Adrià et, à la limite, Lola Xica, je n'ai même rien à en dire : ils sont transparents, gélatineux, insipides et inodores, des méduses atones sans cnidocyste. J'ai passé un mois et demi à m'ennuyer ferme auprès d'eux et, j'en suis certaine, d'ici trois semaines, grand maximum, je n'en garderai pas même le plus petit souvenir mobilisable. D'authentiques et frêles coquilles vides ou, plus exactement, des vesses-de-loup perlées quand elles sont trop mûres : vous posez le pied dessus par inadvertance, pfffffuiit, la petite fumée et il ne reste plus rien (d'où leur nom, dont on ne saurait blâmer nos grands ancêtres, qui, s'ils n'étaient pas tous poètes, avaient néanmoins, pour certains, un sens aigu des réalités concrètes).

Alors bien sûr, je pourrais passer des heures à vous recopier mes arguments (par exemple le propos qui me donnait constamment le sentiment de m'imposer ce que je devais penser), ceux que j'ai développés semaine après semaine lors de mes échanges avec Christelle, les références que je suis allée rechercher pour étayer moindrement mes ressentis en temps réel, ce qu'ont dit ou écrit des théoriciens du roman bien plus savants et autorisés que moi. Mais à quoi bon ? En ce qui me concerne, une purge reste une purge, quant à celles et ceux qui ont adoré ce bouquin, ils ne changeront pas d'avis après les avoir lus et ils ont bien raison car leur ressenti vaut tout autant que le mien. À l'extrême rigueur ça pourrait peut-être — éventuellement — intéresser celles ou ceux qui s'apprêteraient à faire le grand saut dans la lecture, comme nous l'avons fait, Christelle et moi — et mal nous en a pris ! Si on me les demande, je les ajouterai en commentaires.

En guise de conclusion, une fois encore, une fois pour toutes, une fois pour toujours, ce que j'exprime ici n'est que mon avis, et ce n'est vraiment pas grand-chose, je le confesse, confiteor.
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Il me manque des étoiles...

Un roman magistral, envoûtant et d'une rare densité !!!

Un brillant érudit sentant sa mort prochaine,
fit venir son ami, lui parla sans témoin.
Prends cela, lui dit il, ces quelques papiers là sont toute ma mémoire.
N'y cherche aucun trésor.
Il n'en contient aucun ou plutôt un seulement
l'amour que je porte à Sara.
Quant au reste, tu verras, ce sont des mots,
les maux que seul l'homme peut infliger à l'homme.



Au début, la lecture est difficile. Mais une fois accepté le postulat de l'écrivain : l'écriture est celle d'un monologue dans lesquelles les idées bouillonnent et se succèdent les unes aux autres, le livre est d'une incroyable densité.
On se laisse entraîner par les aller-retour incessants dans L Histoire (inquisition, nazisme, franquisme...), dans des lieux différents (XVIIe en Italie ; Seconde Guerre mondiale à Auschwitz ; Barcelone années 50 ; etc), on y croise de nombreux personnages au passé quelquefois sulfureux, on s'intéresse à l'art sous n'importe quelle forme, à la connaissance dans de nombreux domaines, on y trouve l'amour et l'amitié, la foi, on y croise la violence, la barbarie, l'appât du gain, l'envie, le mal et quelquefois le pardon.
On est secoué, catapulté d'une époque à l'autre, d'un pays à l'autre, on traverse le roman comme dans un manège tournant rapidement captant de-ci de-là des images, des bribes de conversation, des morceaux de décors, des petites musiques, des silhouettes...
On est bouleversé, chahuté... Mais on ressort enchanté, subjugué par la puissance de ce roman.


Juste avant que sa mémoire ne disparaisse, Adrià Ardevol déverse ses souvenirs dévastateurs et plus rarement consolateurs, dans un flot impétueux, sans ordonnancement. Adrià se confesse.
Entre un père tyrannique et une mère sans coeur, Adrià n'a pour seule échappatoire que la curiosité qui le pousse à apprendre. Enfant solitaire, n'ayant qu'un seul ami, il va devenir un brillant universitaire, mais surtout il va découvrir l'origine douteuse de la richesse familiale à travers le magasin d'antiquités de haute facture ayant appartenu à son père. La première pièce remarquable est un violon qu'utilise parfois Adrià, un violon au passé chargé...
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Je me suis perdue avec infiniment de plaisir dans cet incroyable récit « Confiteor ».
Je me suis perdue dans le labyrinthe des pensées d'Adrià Ardèvol, le suivant pas à pas à mesure qu'il grandissait, à mesure que la maladie d'Alzheimer entremêlait ses souvenirs et ses connaissances érudites.

Ce roman nargue les règles de la narration, mêlant les périodes, les lieux historiques, les personnages dans le même paragraphe, dans la même phrase à s'en arracher les cheveux, à revenir en arrière en se disant que, vraiment, on ne comprend rien…
Mais, au fur et à mesure qu'on reconnaît les personnages, comme agrippé au fil d'Ariane, on les accompagne, et on chemine lentement dans les dédales de la mémoire d'Adrià. Fébrilement, comme hypnotisé, on avance dans le récit de ce garçon devenu homme, intelligent, intellectuel savant, solitaire, marqué par des parents intransigeants et distants.
C'est l'histoire de son amour pour une femme, Sara. C'est l'histoire de son amitié avec Bernat. C'est l'histoire d'un violon sur plusieurs générations que beaucoup convoiteront… C'est l'histoire d'amours obsessionnels, de passions, de collections, de possessions. C'est aussi l'histoire avec un grand H. car ce roman nous parle de l'esthétique, du beau, de la recherche de la perfection mais aussi du bien et du mal, des guerres, des religions, de l'horreur et de la haine.

Ce roman, vous l'aurez compris, est tout à fait singulier par sa construction. Durant la lecture, j'ai souvent pensé à l'énorme travail de création de l'auteur Jaume Cabré. Défiant les règles de l'écriture, il a créé ses propres règles, brillantes, afin de permettre au lecteur de continuer à le suivre (et à vouloir le suivre). L'auteur catalan sème ici ou là des indices (un prénom, un lieu, un objet, deux jouets) tels de petits cailloux qu'on trace pour ne pas perdre la piste de ce chemin de traverse.
Et, peu à peu, à chaque page tournée, les informations s'emboîtent comme des morceaux de puzzle tandis que les pensées d'Adrià, sous forme de « confessions », se font plus brumeuses et emmêlées.

Incroyable jeu de narration qui trouve double sens : à la fois par la maladie d'Alzheimer qui ronge et malmène les pensées du narrateur et, paradoxalement, justement, de par cet « entremêlement » des histoires, cela nous mène (et nous « force ») à une réflexion sur le monde, sur les hommes.
Certains pourront comprendre qu'on supporte le Mal grâce à la beauté du monde. Moi, j'ai (peut-être malheureusement) plutôt vu cela comme le mal qui s'infiltre partout à travers l'Histoire, dans toutes les histoires, perpétuellement. Comme si le beau et l'amour devaient côtoyer obligatoirement le sang, la haine et la cruauté. Ces envies, ces buts (pour un objet, un amour, une collection, une race « pure ») qui peuvent tourner à l'obsession, à la faute, à la traîtrise et à l'horreur indescriptible...
Cet enchevêtrement nous permet d'entrevoir peu à peu que ces périodes d'horreur et de haine sont comme des cycles, des boucles d'histoire, des prolongements. le mal qui s'insinue, le mal qui se prolonge…
Et, en même temps que nous viennent ces réflexions sur les hommes, toutes sortes d'émotions nous submergent :
face au nazisme, à l'inquisition, à la période franquiste, à la cruauté et la la folie des hommes,
ou encore ces autres émotions que l'on ressent pour Adrià qui vouait sa vie à la connaissance et dont la vie, par cette maladie, lui fait comme un pied de nez,
mais aussi ces émotions face à l'amitié, l'amour de certains personnages pour leur famille, leurs enfants, le grand amour…
…Tour à tour, sourires ou noeud dans la gorge…et les yeux embrouillés jusqu'aux larmes.

Ce roman nous ouvre les portes sur de multiples questions philosophiques et éthiques : le travail de l'écrivain,les oeuvres littéraires, l'art, l'esthétique, le beau versus le mal, les religions, le pardon, la faiblesse des hommes, l'humain contre l'inhumain, la mémoire et l'oubli…
Alors, c'est emplie de toutes ces émotions et tous ces questionnements que j'ai refermé ce livre, empressée d'en parler à mes amis lecteurs, impatiente de connaître et de partager avec eux leur ressenti et leur analyse.
Mais, je suis certainement plus anxieuse d'en faire une « critique », désirant qu'elle reflète un tant soit peu les qualités de ce roman et de ce que Jaume Cabré a souhaité raconter et exposer. J'espère que ce petit billet reflètera au moins tout le plaisir éprouvé durant cette lecture, ces palpitations du coeur face à la profondeur de cette oeuvre magique…
Ce roman fait partie de ces oeuvres qui nous rappellent pourquoi nous aimons tant lire. Il fait partie de ces oeuvres qu'on ne referme jamais vraiment car il nous marque pendant longtemps (et plus)...
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J'avais jusqu'ici la prétention d'avoir un cerveau pas trop mal fait.
Jaume CABRE m'en a un instant fait douter !
Oh certainement pas par défection de sa part bien au contraire, mais par la façon dont il a su capter ma concentration, voire la développer pour m'emporter avec lui dans cet ouvrage difficile à pénétrer de prime abord, c'est effectivement là où j'ai douté un moment de mes facultés de concentration…, mais absolument exceptionnel, que dis-je fabuleux qui perpétuellement vous absorbe en vous faisant sans cesse perdre puis retrouver le Nord!
Résumer ce phénomène littéraire serait bien trop audacieux de ma part. Simplement l'auteur se saisi d'un personnage qui s'extirpe avec force de son environnement bourgeois familial de Barcelone qui veut faire de lui un être exceptionnel au sens de l'art. Celui-ci choisira en fait de devenir professeur et se lancera dans une sorte d'autopsie du passé nauséabond de l'histoire avant en quelque sorte que la défection de la mémoire collective ne l'emporte dans l'oubli.
De l'inquisition à la dictature Franquiste en passant par Auschwitz, Jaume Cabré nous entraine à travers une intrigue romanesque puissante et bouleversante mêlant dans l'urgence de sa propre mémoire déclinante tantôt les sentiments du personnage central pour l'amour de la femme de sa vie à laquelle il dédie ce récit, tantôt conversations entre personnages morts et vivants qu'en les confondant par la symétrie de leurs actes à des siècles de différence il nous fait vivre l'horreur de la vilénie des hommes de pouvoir qu'au fil des jours ils s'évertuent en permanence à nous masquer sans pour autant jamais y parvenir.
On s'y perdrait. Sauf que Jaume Cabré, pour lien dans ses aller et retour permanents entre les époques et les situations, nous offre un fil conducteur qu'il a imaginé sous forme du parcours de mains en mains d'un violon dont il se sert comme symbole de l'immortalité de l'art face à la versatilité de l'humain …
Si comme moi vous éprouvez quelques difficultés à « forcer la serrure » pour entrer dans ce roman je vous invite à en faire autant, ce qu'il y a derrière la porte est tellement fascinant !
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Roman d'une rare puissance, somme de son auteur, d'une ampleur comparable à celle d'un Musil.

« Jo confesso », publié en 2011 en catalan, paraissant en août 2013 en français aux Actes Sud sous le titre de « Confiteor » dans une impressionnante traduction d'Edmond Raillard, dixième roman de l'auteur, aura bien des chances d'apparaître aux yeux des lecteurs aguerris du romancier-philologue de Barcelone comme une synthèse monumentale de ses principaux écrits précédents.

Pour ceux qui le découvriront seulement, je prends le pari qu'ils connaîtront un immense bonheur de lecture, égal au mien, et qu'ils seront d'accord, après cette plongée dans 800 pages d'une rare densité, pour l'installer – peut-être paradoxalement – sur le même type de piédestal que « L'homme sans qualités » de Robert Musil (qui aurait au passage absorbé avec subtilité « Les désarrois de l'élève Törless », pour parfaire son déguisement de roman d'apprentissage). Et, oui, je pèse ici mes mots.

Le roman épouse d'abord l'apparence du récit d'enfance d'Adria, principal narrateur et protagoniste de l'ensemble, qui, du bas de ses sept ans, dans la Catalogne de l'après-guerre franquiste, se voit signifier par son père, antiquaire très haut de gamme, spécialiste des manuscrits et objets culturels rarissimes, linguiste accompli, son destin, déjà décidé, de violoniste virtuose ET d'érudit hors normes, destiné à la connaissance la plus globale possible (notamment par l'apprentissage progressif d'au moins 14 ou 15 langues) avec peut-être toutefois, le moment venu, quelques retombées commerciales intéressantes pour le magasin familial d'antiquités…

Rapidement, toutefois, le roman prend son essor, quitte ce terrain d'apparence encore familière et prosaïque, pour parcourir avec ferveur, passion et terrible urgence (ce qui – lorsque la moitié du propos SEMBLE concerner les notions mêmes de connaissance, d'érudition et de talent artistique – relève ici d'une singulière prouesse), en les ancrant au plus profond de la chair et de l'intellect de ses personnages, l'ensemble des thèmes chers à Cabré, évoqués dans les romans précédents : valeur de la création artistique – et tout particulièrement musicale, combat pour le pouvoir dans la famille et hors de la famille – et corruption qu'entraîne le pouvoir, rôle de la connaissance dans la morale de l'individu et de la cité,… mais aussi hélas, impossibilité du pardon.

Pour mener à bien cette gigantesque fresque en forme d'histoire d'amour maudit malgré (presque) tous les efforts, et de formidable interrogation sur la possibilité pour la connaissance et l'art de jouer un rôle, si ce n'est d'antidote, par trop illusoire, au moins de ralentisseur face à la course à l'avidité et au mal dans laquelle l'humanité se plonge si souvent et si goulûment, Jaume Cabré convoque tour à tour, dans des volutes de narrations enchevêtrées, de temporalités multiples, de révélations, de liens qui se dérobent, d'hypothèses fallacieuses et de désolantes surprises, une extraordinaire galerie qui inclut, à travers les âges, en sus des étonnantes familles et proches du héros et de ses meilleur(e)s ami(e)s, un bûcheron émérite, un fabricant de violons rivalisant peu à peu avec Stradivarius, un colonel SS, un médecin allemand dévoyé, un inquisiteur adjoint résistant aux ordres les plus abjects de son supérieur Nicolas Eymerich (le « religieux » catalan historique, et non son génial pendant réinventé par Valerio Evangelisti), un ou deux philosophes et linguistes de réputation mondiale, un survivant de Birkenau, un commissaire de police catalan, un moine exilé au fin fond de l'Afrique, un nazi brièvement réfugié au Vatican, et bien d'autres… donnant au roman tout ce foisonnement érudit, subtil, et pourtant dynamique et bouillonnant, qui rapproche donc bien, malgré les apparences, Cabré de Musil, la sphère européenne de la pensée, ayant à digérer (et n'y parvenant guère) l'historicité du fascisme après 1945 de la Cacanie aux valeurs millénaires pourtant bien moribondes, et l'amour total pris dans le piège de l'impossibilité du pardon – ou de l'ironie tragique du sort, que ne renierait pas l'Anouilh d' « Antigone » - à celui, même platonique, qu'interdit la société viennoise de 1910.

Et au milieu de ce chaos et de ces rapides insensés, l'âme d'un violon gouverne peut-être néanmoins le fleuve horrible…

Un très grand roman, presque impossible à résumer, difficile à ne pas dévoiler de manière dommageable tant les rebondissements, les rires (parfois serrés), les intuitions de lecteur démenties et les surprises - sans recours à un deus ex machina, mais seulement à la mécanique cruelle de la tragédie – y sont belles et nombreuses. Un roman qui ne trahit jamais votre intelligence, et vous fait néanmoins pleurer d'émotion dans ses cinquante dernières pages. Un roman qu'il ne faudra vraiment pas rater à partir de sa sortie fin août, voilà.

En citation, pour ne rien déflorer par inadvertance, je me contenterai du tout premier paragraphe, qui donne le ton.
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On entre dans Confitéor à pas feutrés, suffoqué à l'avance par les 800 pages à ingurgiter, inquiet qui plus est des difficultés à surmonter, dans la narration notamment. Surtout quand on s'est renseigné au préalable.
On y entre aussi comme au cinéma, et le spectacle nous subjugue dès les premiers fondus narratifs qui bousculent le temps, sortes de flash-back littéraires, entre enfance du narrateur, inquisition, guerres mondiales, présent et j'en passe.
Il faut certes un temps d'adaptation à ce Confitéor. Quoique...
La complicité s'installe vite dès lors que l'on comprend à qui l'on a affaire : un narrateur fou, génial ou surdoué, capable dans une même phrase de parler de lui-même, Adrià, au je comme au il, tout en superposant plusieurs strates du passé, mais qui insidieusement respecte le lecteur, lui fait confiance, le flatte en l'invitant à le suivre dans les méandres tortueux de sa mémoire aujourd'hui défaillante et galopante, inter-connectée à la moindre association d'idées, à la plus folle pensée arborescente.
Et l'on est vite emporté par ce maelstrom narratif. Les personnages, qu'ils soient réels ou imaginaires, foisonnent. Les histoires s'enchaînent et s'emboîtent, les petites dans la Grande. Les objets ont une vie, et font souvent figures de transition dans le temps, avec dans le rôle principal un violon, le premier fabriqué par Storioni, dont la folle épopée servira de garde-fou, de fil conducteur à ce tourbillon romanesque.
Il est périlleux de résumer tout cela, il faut juste avoir le courage d'entrer dans les mémoires d'Adrià, et se laisser emporté par ce roman hors normes, sans être anormal pour autant. Un roman narmol, peut-être bien. Époustouflant à coup sûr. Et qui n'oublie pas d'être drôle.
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Paru en 2013, ce roman de Jaume Cabré a déjà fait l'objet de 224 critiques sur Babelio. Je n'aurai donc pas besoin d'en résumer l'intrigue, d'autant que c'est mission impossible car le roman est composé d'histoires à ce point entremêlées que l'on en vient à se demander où l'auteur veut en venir. Parle-t-il d'art, de connaissance, de haine, d'expiation ? Est-ce une histoire d'amour, le récit d'une amitié, les confessions d'un homme sur sa vie, ou bien la chronique d'un violon à travers les siècles, depuis celui qui a semé les graines des arbres ayant donné son bois et le luthier qui l'a fabriqué, jusqu'à tous ceux qui l'ont acquis, perdu, volé ou transmis au cours des siècles, l'histoire du bien et du mal provoqués par sa possession ?
Le narrateur est un être surdoué, plein d'érudition, mal adapté au monde réel. Il nous fait voir le monde à travers un regard distancié, perpétuellement étonné. Surtout, il écrit à la fin de sa vie, alors qu'il subit les premières atteintes de la démence sénile. C'est pourquoi récits et dialogues se mélangent d'un chapitre à l'autre, d'un paragraphe à l'autre, d'une phrase à l'autre. le narrateur confond les époques et les protagonistes, il passe sans avertissement du "je" au "il" en parlant de lui-même. Ayant parcouru plusieurs critiques avant d'ouvrir Confiteor, je m'attendais à une lecture éprouvante, du type "Manhattan transfer" de Dos Passos, ou "Le bruit et la fureur" de Faulkner, des oeuvres où le lecteur doit accepter de ne rien comprendre durant des pages. Rien de tout cela ici. Malgré la dislocation progressive de la mémoire du narrateur et sa prose décousue, cela fonctionne parfaitement. On ne peut qu'admirer la virtuosité d'écriture de Jaume Cabré qui arrive à nous conduire dans le labyrinthe d'un esprit aux strates superposées où nous manquons nous perdre à chaque pas.
Si la majorité des lecteurs ont adoré ce livre, certains n'ont pas aimé. Ceux-là l'ont trouvé touffu, difficile à suivre, il y a des longueurs, le fil conducteur du violon ne les a pas convaincus... Ont-ils vraiment tort ? Je dirais que non. Confiteor est un immense patchwork, tragicomique, exigeant, déconcertant, on aime ou on n'aime pas. Mais une chose au moins est sûre : c'est une expérience de lecture incomparable.
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Adrià Ardevol, petit garçon dans les années 50 à Barcelone, nous raconte son enfance entre ses deux parents, antiquaires, très désireux de faire de leur fils un savant qui connaît toutes les langues pour le père et un virtuose du violon pour la mère.
Le violon, pièce historique exceptionnelle semble faire le lien entre les différentes époques abordées dans le livre au travers de ses différents possesseurs.
Certains l'aimeront pour en jouer, d'autres pour en tirer profit.
Ses souvenirs, Adrià les livre à la femme qu'il aime, Sara tant qu'il en est encore temps car il se sait atteint d'une forme de la maladie d'Alzheimer.
On apprendra les provenances douteuses des objets rares possédés par ses parents , on sera introduit dans des époques tortueuses du Moyen-Age à la période nazie;
L'originalité du livre se situe dans la narration. L'auteur passe du "je" au "il" dans le même paragraphe.
De même, on voyage dans une autre époque et on revient subitement dans les années 1950, à Barcelone avec Adrià.
Le Mal généré par l'homme est abordé largement ainsi que le questionnement sur le pourquoi du Mal.
Question que je me pose souvent et je crois que je n'aurai jamais la réponse.
La volonté de ne faire tort à personne est une préoccupation du narrateur.
"Confiteor",, confession, est un livre très prenant, un peu déroutant dans les premières pages mais tellement addictif ensuite.
La personnalité du petit garçon et sa vision des choses m'a totalement séduite.
J'étais très occupée ces derniers jours et pour pouvoir le lire, j'ai un peu raccourci mes nuits car ce n'est pas un roman qu'on lit par petites parties.
C'est la première fois que je lis une oeuvre de Jaume Cabré. Traduit du Catalan, il offre une vision et un langage vraiment hors du commun.

Challenge pavés 2018
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« Je ne sais pas où est le mal. (...) Je sais que ce n'est pas à l'intérieur d'un individu. A l'intérieur de beaucoup d'individus ? le mal est-il le fruit d'une volonté perverse ? Ou alors il vient du diable, qui l'inocule dans les individus qui lui semblent propices. le problème, c'est que le diable n'existe pas. Et Dieu, où est-il ? le Dieu sévère d'Abraham, le Dieu inexplicable de Jésus, Allah le cruel et l'aimant...Il suffit de le demander aux victimes de n'importe quel acte pervers. Si Dieu existait, son indifférence face aux conséquences du mal serait scandaleuse. Qu'en disent les théologiens ? Ils ont beau mettre toute la poésie du monde, au bout du compte ils atteignent leurs limites : mal absolu, mal relatif, mal physique, mal moral, mal de faute et mal de peine...Mon Dieu. Cela ferait rire si ce n'était qu'avec le mal apparaît la douleur ».

Et nous voilà embarqués, et même totalement immergés dans cette mer de philosophie, de sensibilité, de certitudes non dites et de proclamations de faiblesse.

Dieu que ce livre est riche ! Riche de tout ce que la vie offre et reprend, riche de ce 20e siècle qui n'est lui-même que l'aboutissement d'une longue série de souffrances et de joies, malgré tout.
L'art, la religion, la philosophie, l'amour, la famille, l'amitié, l'intelligence, la raison et l'émotivité, le désir, la lecture, les langues – de l'araméen au catalan –, l'éducation, l'imagination, le besoin d'être reconnu, le calcul, le meurtre, la souffrance et le mal, la culpabilité, la solitude, la mort, la maladie qui fait plier l'être humain sous son joug, la vengeance...Arrêtez-moi !
Jaume Cabré, lui, parle de tous ces thèmes essentiels avec une telle richesse, un tel foisonnement, qu'il m'est impossible de rendre compte de cette montagne de savoir où la vie palpite à chaque page.
Car nous passons d'une époque à l'autre, de l'Inquisition au nazisme, de Barcelone à Tübingen, des hautes sphères du cheminement intellectuel à la maladie d'Alzheimer...Rien ne nous est épargné.

Même la narration bouscule, car si la phrase débute avec un narrateur, elle se termine avec un autre, sans transition. L'auteur ne nous ménage pas, et par là, il nous élève et nous lie à lui à travers une relation ambigüe car qui, à part le lecteur, peut lui rendre hommage?

A travers l'histoire d'un être humain surdoué, Adria Ardevol, dont l'intelligence est honteusement exploitée par ses parents, l'auteur traverse la famille et les époques. L'imagination d'Adria n'a pas de limites, son coeur contient le monde dont il voudrait faire le tour. Il connait un grand amour, il bénéficie d'une amitié exceptionnelle, et malgré tout, il est rongé par la culpabilité. Il ne peut que plier sous les coups de la vie, malgré ses dons. Comme tout le monde. Un autre écrivain sensible à notre monde, Laurent Gaudé, parle de cela dans « Ecoutez nos défaites ».
« Confiteor », c'est l'acceptation de la défaite. Entière.
Et puis nous suivons aussi un violon....C'est là que je me tais. Je laisse la place à sa sonorité unique.

Confiteor...J'avoue que j'ai eu du mal par moments. Que j'ai souffert. Que j'ai peiné. Mais qu'au final, j'ai adoré. Car la vie, malgré nos défaites, y explose en mille étincelles fulgurantes qui atteignent le coeur de notre fragilité.
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