Ce texte "L'homme est un accident", édité en 2021 et réédité en 2023, est un entretien du dessinateur et auteur
Enki Bilal, dirigé par
Adrien Rivierre dans lequel, Bilal évoque sa vision du monde et l'avenir de la planète.
Je n'ai jamais été une grande lectrice de science-fiction. J'ai lu certains classiques, comme tout le monde (
R. Bradbury, F. Herbert, K. Dick,
Asimov…) et d'autres plus contemporains. Je suis peut-être encore moins connaisseuse de bande-dessinée de science-fiction. Pourtant, et je ne saurais dire pourquoi, pendant un certain nombre d'années j'ai suivi régulièrement les sorties BD de Bilal.
Intéressée par le sujet et connaissant le travail de Bilal, c'est donc avec curiosité que j'ai abordé cette lecture.
Les nouvelles dans l'hexagone et sur cette planète sont déprimantes et terrifiantes. Si on peut se mettre des oeillères pour respirer de temps en temps, en tant que citoyens, on se doit cependant de rester informés, être les plus lucides possible (pour ne pas dire actifs), et pour cela, utiliser tous les media à notre disposition (les débats politiques et sociétaux, les essais, les journaux, etc.). Cet ouvrage s'avère être un support supplémentaire pour affiner notre propre vision du monde.
L'auteur de bande-dessinée est né en 1951 d'origine bosniaque et tchèque. Il est arrivé en France à l'âge de 9 ans. Peut-être que le côté solitaire de ce gamin ajouté à un temps d'adaptation et d'intégration l'ont amené à se plonger dans le dessin. Et son histoire bien entendu explique en grande partie que son univers tourne autour de sujets politiques, sociaux et qu'il porte également sur la mémoire et l'identité dans un contexte de guerre et/ou post-apocalyptique.
Autant prévenir de suite, si on est à la recherche d'un message d'espoir sur l'avenir de la planète et des hommes, ce n'est pas dans cet entretien qu'on va le trouver. le regard d'
Enki Bilal est assez plombant. Lucide mais plombant.
Le titre à lui seul résume la pensée de Bilal. Selon lui, l'homme est un accident. Sa présence sur cette planète est un accident. Il n'y a plus de réelles solutions pour nous sauver. Nous sommes en train de nous autodétruire. Et tant pis pour nous. La planète Terre -même si elle a perdu et continue à perdre nombre d'espèces animales et végétales- va réussir à survivre et, d'ailleurs s'en trouvera bien mieux sans nous.
Pour valider son constat, il s'appuie sur différents évènements, faits de sociétés, observations... Il fait référence à de nombreux domaines, à certains personnages publics ou encore à ses albums. Ainsi en partant du sujet de l'état de la Planète, il ne se limite pas à un discours écologique, il élargit le champ sur une vision du monde multidisciplinaire parce que tout est lié, comme un effet domino…
J'ai été assez impressionnée par ses connaissances dans des secteurs divers et variés, sa soif d'informations (médical, géopolitique, écologique, numérique).
Bilal considère que le numérique et ses avancées spectaculaires (avec l'IA en particulier) peuvent être considérées comme la nouvelle révolution -après celle industrielle-. le numérique (l'IA) va faire tout accélérer et modifier considérablement nos comportements en quelques années.
Le risque est qu'à tout nous mâcher, nous allons perdre notre capacité à être curieux. L'information va certes nous arriver plus vite, presque instantanément mais nous risquons de nous limiter aux informations prémâchées, résumées, synthétisées sans chercher à approfondir, à les décortiquer (ou même la critiquer) ni même à nous en souvenir. Avec pour exemple, certains réseaux sociaux ou encore les chaines d'informations qui tournent en boucle et qui ont déjà quasi supplanté les journaux papiers, les journalistes d'investigation …
L'entretien a été réalisé en 2021, c'est-à-dire pendant la période covid et de confinement. Une période presque apocalyptique qui collait bien avec son travail, ses récits. Mais également à sa vision assez sombre.
Tout au long du récit, A. Rivierre ajoute quelques notes explicatives sur le travail du dessinateur, les albums sortis et les rapproche du sujet en cours. Ces notes permettent au lecteur une meilleure compréhension et analyse de l'entretien mais aussi de Bilal.
Pour ma part, l'insertion de certaines planches (de la trilogie Nikopol, etc.) en lien avec les thèmes abordés ont ajouté au plaisir de lecture. Dessins qui m'ont bien entendu rappelée toutes ces heures passées dans l'univers futuriste (et finalement, pas tant que ça) de l'auteur.
L'interview s'avère très intéressante, riche et instructive. le lecteur est rapidement happé par l'échange entre Bilal et Rivierre. On suit assez facilement les opinions, le fil de la pensée de Bilal, grâce son discours clair, structuré, cultivé, ponctué de nombreuses références. (Pour le petit bémol : j'avoue que j'aurais aimé quelques notes d'espoir, et avoir regretté que Bilal concède ne pas être actif en termes écologiques ou encore ne plus voter.)
Une lecture qui donne à réfléchir, qui incite et invite à s'informer plus encore sur certains des sujets évoqués. Il est fort possible d'ailleurs que je relise cet entretien dans quelques temps.